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La bombe (à retardement) sur le droit à congés payés du salarié malade vient d’exploser !

Article Droit du travail et de la protection sociale | 02/10/23 | 7 min. | Virginie Devos Ghislaine Zaidi

Le malaise des juridictions françaises sur le sujet a pris fin.

Les dispositions du code du travail privant le salarié malade de droits à congés payés viennent d’être jugées inapplicables par la Cour de cassation dans une série de décisions du 13 septembre 2023 (22-17.340 à 22-17.342 ; 22-17.638 ; 22-10.529, 22-11.106).

Cette dernière juge désormais que les dispositions du Code du travail conditionnant l’acquisition de droits à congés payés à un travail effectif sont contraires à l’article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne posant comme principe que tout travailleur a droit à une période annuelle de congés payés (CJUE, 6 novembre 2018, aff. 569/16).

Ce contentieux n’est pas récent. Les salariés invoquaient régulièrement devant le juge l’application de l’article 7 de la directive européenne 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et notamment le principe que tout salarié a droit à un congé payé d’au moins 4 semaines par an, sans aucune restriction.

Toutefois et jusqu’à cette série d’arrêts, la Cour de cassation se limitait, lorsqu’elle se trouvait confrontée à un litige portant sur le droit à congés d’un salarié malade à rappeler l’absence d’effet direct horizontal de la directive (Cass. Soc. 13 mars 2013, n°11-22.285). En parallèle, la Haute juridiction appelait régulièrement de ses vœux le législateur à une mise en adéquation des règles nationales avec le droit européen sans que ce dernier ne réagisse.

En 2018, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est venue au secours des juridictions nationales face à l’inertie du législateur en reconnaissant le caractère directement invocable – par un particulier - de l’article 31§2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Ce revirement de jurisprudence place aujourd’hui les entreprises dans une situation très délicate.

 

Rappel des règles existantes

Jusque-là, en cas d’absence du salarié pour maladie, à défaut d’accomplir un travail effectif, condition sine qua non pour acquérir des droits à congés payés, le salarié était privé de droits (article L.3141-3 du code du travail), sauf dispositions conventionnelles plus favorables.

Une exception à ce principe concernait le salarié dont l’absence trouvait son origine dans un accident du travail ou une maladie professionnelle. Dans cette hypothèse, les périodes de suspension du contrat de travail étaient assimilées à du temps de travail effectif et ouvraient droit à des congés payés mais uniquement pendant une durée ininterrompue d'un an (article L.3141-5 du code du travail).

 

Portée de la décision

Dorénavant, la situation est simple. L’absence maladie du salarié quelle qu’en soit l’origine - professionnelle ou non - lui ouvre des droits à congés payés, soit 30 jours ouvrables pour une année complète. Cette règle vaut également pour les congés payés conventionnels.

 

Impact de la décision

Si dans l’hypothèse d’arrêts de courte durée, cette situation pose à notre sens peu de difficultés, il en va différemment des absences de longue durée.  

Or, bon nombre d’entreprises comptent dans leurs effectifs des salariés qu’elles n’ont pas revu depuis des années et qui ne reviendront peut-être jamais, avant d’être mis d’office à la retraite par la sécurité sociale lorsque les conditions seront réunies.

De même, des salariés ont pu quitter l’entreprise dans le cadre d’une procédure de licenciement pour désorganisation de l’entreprise, inaptitude ou motif économique alors même que leur période d’absence n’a pas généré de droits à congés payés.

Les incidences tant financières que pratiques résultant de ces arrêts sont importantes pour les entreprises et le passif social qui en résulte est loin d’être neutre.

La prescription est à cet effet un vrai sujet. Dans un quatrième arrêt du même jour, la chambre sociale a également abordé la question épineuse de la prescription et, surtout celle du point de départ de la prescription de l’action en paiement de l’indemnité de congés payés (Cass. Soc. 13 septembre 2023, n°22-10.529).

Pour rappel, il est de jurisprudence constante que les congés payés sont soumis à la prescription triennale applicable aux salaires. La chambre sociale fixait, jusqu’ici, le point de départ de la prescription de l’action à l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés auraient pu être pris (Cass. Soc. 23 mars 2017, n°15-22.057).

La Chambre sociale ajuste sa position pour tenir compte, là encore, de la jurisprudence récente de la CJUE selon laquelle la perte de droit au congé annuel payé en vertu de la prescription ne peut intervenir qu’à la condition que l’employeur justifie avoir mis le salarié en mesure d’exercer ce droit en temps utile (CJUE, 22 septembre 2022, aff. 120/21).

Il appartient donc à l’entreprise de démontrer que le salarié a été mis en mesure d’exercer son droit à congés payés.  Des moyens existent et ils doivent être mobilisés pour limiter le risque judiciaire.

S’imprégnant en cela de la jurisprudence de la CJUE, le droit de l’Union européenne ne s’oppose d’ailleurs pas à ce que des dispositions ou des pratiques nationales limitent la durée de la période de report des congés payés à la condition que la période de report dépasse, selon la CJUE, substantiellement la durée de la période de référence pour laquelle elle est accordée (CJUE, 22 novembre 2011, aff. 214/10). 

Il a ainsi été jugé qu’une période de report des droits à congés de 15 mois était suffisante. La question se pose de savoir si une telle période de 15 mois serait jugée suffisante au vu de la période de référence légale d’acquisition des congés de 12 mois (entre le 1er juin de l’année précédente et le 31 mai de l’année en cours).

A l’inverse, une période de report de 9 mois a été jugée insuffisante (CJUE 3 mai 2012, aff. 337/10).

Cette jurisprudence pourrait inspirer les entreprises dans un souci de gestion pragmatique et prévisible des congés payés même si cette solution n’est pas exempte de risques, en l’état du droit actuel.

 

A charge pour le juge d’apprécier si les actions déployées par les entreprises sont de nature à faire courir le délai de prescription.

En tout état de cause, une intervention du législateur serait utile mais rien n’est moins sûr au vu de sa passivité sur le sujet jusqu’à présent.

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