News

retour

FSR : la Commission ouvre une première enquête approfondie au sujet des trains chinois

Article Droit de la concurrence, consommation et distribution Contrats commerciaux et internationaux | 21/02/24 | 7 min. | Renaud Christol Paul Vialard

Le 16 février 2024, la Commission européenne (la « Commission ») a officiellement annoncé avoir ouvert la première enquête approfondie dans le cadre de l’application du Règlement relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur[1] (en anglais « Foreign Subsidies Regulation » ou « FSR »)[2].

Pour rappel, depuis son entrée en vigueur le 12 juillet 2023, le FSR confère à la Commission le pouvoir de contrôler les subventions étrangères, c’est-à-dire toute contribution financière par laquelle tout pays tiers à l’Union européenne (« UE ») finance, directement ou indirectement, une entreprise active sur le marché intérieur et lui permet de bénéficier d’un avantage concurrentiel.

L’objectif de cette nouvelle règlementation est de détecter et de lutter contre les distorsions de concurrence dont les États non-membres de l’UE peuvent être à l’origine : la définition particulièrement large des contributions financières permet d’appréhender une grande variété de situations[3].  

Deux mécanismes permettent à la Commission d’exercer son contrôle : 

  • elle peut, de sa propre initiative, examiner des informations relatives à des subventions étrangères susceptibles de fausser le marché intérieur dont elle aurait connaissance ;
  • lorsque les seuils définis par le FSR sont franchis[4] et préalablement à la réalisation de l’opération ou à l’attribution du marché ou de la concession, les entreprises parties à une opération de concentration (prise de contrôle, fusion, ou création d’une entreprise commune) ou engagées dans une  procédure de passation d’un marché public ou d’une concession, qui ont bénéficié de contributions étrangères, doivent adresser une notification à la Commission et lui communiquer des informations détaillées sur ces contributions.


La Commission procède alors à un examen préliminaire. Si à l’issue de cette première phase, elle dispose de suffisamment d’éléments qui indiquent qu’une entreprise a bénéficié d’une subvention étrangère de nature à fausser le marché intérieur, elle ouvre une enquête approfondie afin d’analyser plus précisément la situation.

En l’espèce, cette première affaire concerne la société CRRC Qingdao Sifang Locomotive, une entreprise spécialisée dans la conception et la fabrication de trains, détenue par une société d'État sous le contrôle direct du gouvernement de la République populaire de Chine. Le groupe CRRC fournit déjà certaines entreprises ferroviaires européennes depuis plusieurs années.

L’ouverture de l’enquête fait suite à une notification adressée par cette entreprise le 22 janvier 2024, dans le contexte d’un marché public lancé par le ministère bulgare des transports et des communications, pour la fourniture de trains électriques et des services de formation et de maintenance associés. Le montant de ce marché est estimé à 610 millions d’euros.

D’après la Commission, il ressort de l’examen préliminaire que CRRC Qingdao Sifang Locomotive a bénéficié de subventions qui ont pu lui permettre de « soumettre une offre indûment avantageuse ».

L’enquête approfondie doit permettre à la Commission d’obtenir des informations supplémentaires et de mener une analyse détaillée sur l’existence d’éventuelles distorsions de concurrence. Elle peut durer jusqu’à 110 jours et donnera lieu à l’une des trois décisions suivantes :

  • si l’entreprise en cause propose des mesures qui remédient totalement et de manière effective à la distorsion du marché intérieur (par exemple le remboursement de la subvention étrangère reçue ou une réduction de sa présence sur le marché), la Commission adoptera une décision d’engagements qui s’imposera à l’entreprise concernée ;
  • en l’absence de tels engagements, la Commission pourra interdire l’attribution du marché à CRRC Qingdao Sifang Locomotive et le ministère bulgare devra rejeter l’offre de cette entreprise ;
  • enfin, si la Commission conclut à l’absence de distorsion de concurrence, elle décidera de ne pas omettre d’objection à cette attribution.

Cette première procédure d’enquête approfondie confirme que la Commission est déterminée à contrôler les interventions des États tiers sur le marché intérieur et à mettre en œuvre ses nouvelles prérogatives à cette fin.

Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive de la Commission, s’est d’ailleurs exprimée en ce sens : l’ouverture de cette première enquête approfondie constitue un « signal très important pour le monde des affaires en Europe et en dehors de l’Europe, qui montre que [la Commission est] absolument disposé[e] à utiliser [ses] outils pour garantir une concurrence loyale ». Maintenant que le FSR est pleinement applicable, la Commission a « l’obligation de l’utiliser ».  

La commissaire à la concurrence a ajouté que d’autres secteurs économiques étaient susceptibles d’être visés par une telle enquête et a également écarté l’idée selon laquelle la Commission ciblerait particulièrement les interventions du gouvernement chinois pour soutenir les activités et investissements de ses entreprises en Europe.

Il n’existe en effet aucune limite sectorielle ou géographique à l’application du FSR : toute entreprise active dans l’UE qui a bénéficié d’une mesure de soutien de la part d’un État tiers quel qu’il soit (telle qu’un prêt ou une garantie de prêt, ou encore une exonération fiscale), ou même qui a simplement contracté avec un tel État pour lui vendre ou lui acheter des biens ou des services (par exemple le Royaume-Uni ou les États du continent africain), est susceptible d’être concernée par le FSR.



 

[1]  Règlement (UE) 2022/2560 du Parlement européen et du Conseil relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur.

[2] Communiqué de presse publié par la Commission le 16 février 2024 : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_24_887.

[3] Voir notre précédent article sur le sujet : https://www.august-debouzy.com/fr/blog/2013-reglement-sur-les-subventions-etrangeres-entree-en-vigueur-des-obligations-de-notification-pour-les-operations-de-concentration.  

[4] Les concentrations qui font intervenir une contribution financière de pouvoirs publics d’un État non-membre de l’UE doivent être notifiées lorsque i) l'entreprise acquise, une des parties à la fusion ou l'entreprise commune génère un chiffre d'affaires dans l'UE d'au moins 500 millions d'euros et ii) la contribution financière étrangère est de plus de 50 millions d'euros. Les entreprises doivent également notifier toute participation à des procédures de passation des marchés publics lorsque i) la valeur estimée du marché est d’au moins 250 millions d’euros et ii) la contribution financière étrangère concernée est d'au moins 4 millions d'euros par État non-membre de l’UE.

 
Explorez notre collection de documents PDF et enrichissez vos connaissances dès maintenant !
[[ typeof errors.company === 'string' ? errors.company : errors.company[0] ]]
[[ typeof errors.email === 'string' ? errors.email : errors.email[0] ]]
L'email a été ajouté correctement