Article Droit de la propriété intellectuelle, média et art | 02/01/25 | 12 min. | Pierre Pérot Inès Bouzayen Camille Abba
Le « parent pauvre » des droits de propriété intellectuelle a enfin vécu sa première réforme d’ampleur. Rapide tour d’horizon des nouveautés introduites par le « Paquet Modèle » (Directive et Règlement) récemment publié au Journal Officiel de l’Union européenne.
Le 18 novembre 2024, les deux textes composant le nouveau « Paquet Modèle » ont été publiés au Journal Officiel de l’Union européenne. Il s’agit de la Directive (UE) 2024/2823 du 23 octobre 2024[1], que les Etats membres devront transposer en droit national avant le 9 décembre 2027[2], et du Règlement (UE) 2024/2822 du 23 octobre 2024, dont la majorité des dispositions seront applicables à compter du 1er mai 2025.
Cette refonte des textes en vigueur depuis plus de vingt ans vise à moderniser la protection des dessins et modèles au sein de l’Union, afin de la rendre plus « accessible, pérenne, efficace et cohérente ». Le Paquet Modèle introduit plusieurs modifications à la règlementation actuelle, qu’il s’agisse de la définition des dessins et modèles, des conditions de protection ou de la portée des droits ainsi que les aspects procéduraux en matière de dépôt et d’annulation.
Définition et dépôt de dessins et modèles : simplification et prise en compte accrue des innovations
L’article 3 du Règlement et l’article 2 de la Directive élargissent la définition du dessin ou modèle, qui pourra désormais protéger l’apparence d’un produit physique ou non physique. Les caractéristiques du produit pourront comporter des mouvements, transitions ou autres types d’animations, là où seule l’apparence, à savoir les lignes, contours, formes, couleurs, textures et matériaux, n’était jusqu’alors protégée. Cette nouvelle définition répond à la nécessité de tenir compte des évolutions technologiques qui élargissent le champ des caractéristiques protégeables d’un produit.
Les possibilités de représentation sont désormais étendues, l’exigence de représentation graphique étant assouplie pour permettre la représentation du dessin ou modèle par tout moyen approprié, incluant la vidéo, l’imagerie informatique ou modélisation informatique.
Le Règlement prévoit aussi en matière de dessins et modèles communautaires une augmentation des taxes de renouvellement qui s’élèveront à 150 euros (contre 90 euros aujourd’hui) pour le premier renouvellement, 250 euros (contre 120 euros aujourd’hui) pour le deuxième renouvellement, 400 euros (contre 150 euros aujourd’hui) pour le troisième renouvellement et 700 euros (contre 180 euros aujourd’hui) pour le quatrième et dernier renouvellement[3]. L’objectif de cette modification étant d’ouvrir l’accès à la protection à un grand nombre de déposants, notamment les personnes physiques et PME, mais de maintenir une protection dans la durée uniquement aux dessins et modèles ayant encore vocation à être utilisés 15 ans après leur dépôt. La taxe de dépôt, dont le montant avait initialement été également revu à la hausse dans les propositions dans la proposition de Règlement publiée à la fin de l’année 2025, reste finalement inchangée.
Possibilité d’ajournement de la publication de la demande d’enregistrement
Les déposants auront désormais la possibilité, au moment du dépôt, de demander l’ajournement de la publication du dessin et modèle pendant un délai maximal de trente mois à compter de la date de dépôt (ou de la date de priorité le cas échéant)[4]. Le dessin et modèle sera alors enregistré sans représentation graphique sur le registre.
Cette nouvelle disposition permet de conserver pendant trente mois supplémentaire le secret sur les dessins et modèles enregistrés et retarder ainsi leur divulgation au public.
Une légère évolution des conditions et de la portée de la protection
Si les conditions de nouveauté et de caractère individuel restent inchangées, une condition supplémentaire, issue de la jurisprudence, est ajoutée : la visibilité des caractéristiques de l’apparence des dessins et modèles[5].
Par ailleurs, le Paquet Modèle modifie légèrement la date de renouvellement des dessins et modèles, qui peuvent être renouvelés dans un délai de six mois « précédant l’expiration de l’enregistrement »[6] alors que le titulaire avait aujourd’hui jusqu’au « dernier jour du mois au cours duquel la période de protection prend fin » pour procéder au renouvellement[7]. Ainsi, suivant le même régime que celui applicable aux marques, c’est la date exacte de l’échéance qui déterminera la fin du délai, les titulaires de dessins et modèles ne pourront plus se prévaloir des quelques jours supplémentaires s’écoulant jusqu’à la fin du mois en cours pour procéder au renouvellement.
L’élargissement de la portée d’un dessin et modèle et la clause de réparation
Au-delà de la définition du dessin et modèle, la prise en compte de ces évolutions technologiques a également conduit le législateur européen à enrichir la liste d’actes prohibés, tombant dans le champ de protection conférée par les dessins ou modèles. La liste établie par l’article 12 de la Directive de 1998 - qui comprenait la fabrication, l’offre, la mise sur le marché, l’importation ou l’exportation et le stockage - a été complétée par « la création, le téléchargement, la copie et le partage ou la distribution à autrui de tout support ou logiciel enregistrant le dessin ou modèle en vue de permettre la fabrication d’un produit » (article 16 de la Directive). Un tel élargissement des actes de contrefaçon vise notamment à prévenir la contrefaçon de dessin ou modèle au moyen d’impression 3D permettant la production rapide de copies non autorisées.
L’insertion de dispositions relatives à la clause de réparation est également une nouveauté du Paquet Modèle, cette clause constituant une exception à la protection conférée par les dessins ou modèles sur les pièces de rechange[8]. Ainsi, une pièce d’un produit complexe ne bénéficiera pas de la protection si elle permet « la réparation du produit complexe en vue de lui rendre son apparence initiale ». Cette clause a pour objectif de pérenniser la clause transitoire actuellement en vigueur pour les titres communautaires en application du règlement (CE) n°6/2002. La rédaction de cet article diffère de celle du nouvel article L.513-6 du code de la propriété intellectuelle, entré en vigueur le 1er janvier 2023 en France, qui limite l’application de la clause de réparation aux « actes visant à rendre leur apparence initiale à un véhicule à moteur ou à une remorque, au sens de l'article L. 110-1 du code de la route, et qui : a) Portent sur des pièces relatives au vitrage ; b) Ou sont réalisés par l'équipementier ayant fabriqué la pièce d'origine ». La clause de réparation insérée au Paquet Modèle semble avoir une portée plus large que sa version française, qui limite son application au secteur de l’automobile.
La mise en place d’une nouvelle procédure administrative en nullité
Point très important, l’article 31 de la Directive oblige les Etats membres à prévoir, sur le modèle de la procédure instaurée en matière de marques, une procédure administrative en nullité des dessins ou modèles devant les offices nationaux (l’INPI en France), laquelle devra être « efficace et rapide ». Le choix semble toutefois ouvert quant à la possibilité pour les Etats membres de choisir entre une compétence exclusive ou alternative des offices pour de telles procédures. La mise en place de mesures de suspensions de procédure et la possibilité d’ordonner des mesures provisoires ou conservatoires devront certainement être aménagées afin de garantir l’efficacité du système.
La prise en compte de nouveaux motifs de rejet des demandes d’enregistrement
Nouveauté supplémentaire par rapport aux projets de Règlement et Directive publiés par la Commission européenne à la fin de l’année 2022, la Directive prévoit désormais la possibilité pour les Etats membres de refuser à l’enregistrement les dessins et modèles qui contiennent « une reproduction totale ou partielle d’éléments appartenant au patrimoine culturel qui présentent un intérêt national »[9].
Les Etats membres restent toutefois libres d’intégrer ou pas une telle disposition dans leur législation nationale.
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Ces nouveaux textes marquent de nombreuses avancées afin de moderniser le droit des dessins et modèles, lequel n’avait pas subi d’évolution depuis des décennies. Reste à voir si le Paquet Modèle, y compris dans sa transposition de la Directive en droit national, conduira les entreprises et les particuliers à davantage utiliser ce mécanisme de protection au niveau national et communautaire, plutôt boudé jusqu’alors.
[1] Textes accessibles via les liens suivants : Directive (UE) 2024/2823 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2024 sur la protection juridique des dessins ou modèles : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=OJ:L_202402823 et Règlement (UE) 2024/2822 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2024 modifiant le règlement (CE) n° 6/2002 du Conseil sur les dessins ou modèles communautaires et abrogeant le règlement (CE) n° 2246/2002 de la Commission : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=OJ:L_202402822
[2] Article 36, 1. de la Directive (UE) 2024/2823.
[3] Règlement (UE) 2024/2822, Annexe 1, paragraphe 6 renvoyant à l’article 50 quinquies.
[4] Article 50 du Règlement (UE) 2024/2822 et Article 30 de la Directive (UE) 2024/2823.
[5] Article 18 bis du Règlement (UE) 2024/2822 et article 15 de la Directive (UE) 2024/2823.
[6] Article 50 quinquies du Règlement (UE) 2024/2822 et article 32 de la Directive (UE) 2024/2823.
[7] Article 13 du Règlement (CE) 6/2002 (anciennement applicable).
[8] Article 20 bis du Règlement (UE) 2024/2822 et article 19 de la Directive (UE) 2024/2823.
[9] Article 13, 3. de la Directive (UE) 2024/2823.