retour

Renforcement du cadre juridique européen sur les exportations de technologies et équipements militaires : les nouvelles orientations de la Décision (PESC) 2025/779

Article Compliance Droit européen | 28/04/25 | 8 min. | Olivier Attias Sophie Peter Noureen Nhari

Le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 14 avril 2025, la décision (PESC) 2025/779, modifiant les règles communes de l’Union en matière de contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires, précédemment définies par la position commune 2008/944/PESC.

  1. Contexte et objectifs

Adoptée à l’origine en 2008 pour encadrer les exportations d’armements, la position commune nécessitait une actualisation pour répondre aux évolutions géopolitiques et normatives, tant à l’échelle internationale qu’européenne.

L’adoption de cette décision s’inscrit dans une volonté affirmée de l’UE d’harmoniser les pratiques nationales et de renforcer la cohérence de son action extérieure, conformément à l’article 21 du traité sur l’Union européenne.

Ainsi, dans le prolongement des conclusions du Conseil du 16 septembre 2019, qui avaient mandaté le groupe COARM pour une réévaluation de la position commune, la décision 2025/779 met à jour les critères d’autorisation d’exportation et clarifie certaines obligations procédurales, dans un objectif affiché de coopération interétatique.

  1. Principales modifications introduites

La décision 2025/779 introduit plusieurs modifications :

  • Précision des critères d’évaluation des demandes d’exportation, qui sont au nombre de huit :
    1. le respect des obligations internationales (notamment les embargos et traités multilatéraux) ;
    2. le respect des droits de l’homme et du droit international humanitaire dans le pays de destination finale et respect du droit international humanitaire dans ce pays ; La décision ajoute notamment que les Etats membres refuseront « l’autorisation d’exportation s’il existe un risque manifeste que la technologie ou les équipements militaires dont l’exportation est envisagée servent à commettre des actes de répression interne » mais également en cas de risque manifeste « des actes graves de violence fondée sur le sexe ou des actes graves de violence contre des femmes et des enfants, ou d’autres graves violations des droits de l’homme, ou à en faciliter la commission ». Les obligations en matière de respect des droits de l’homme sont donc renforcées.
    3. la situation intérieure dans le pays de destination finale, en fonction de l’existence de tensions ou de conflits armés ;
    4. la préservation de la paix, de la sécurité et de la stabilité régionales ;
    5. la sécurité nationale des États membres et des territoires dont les relations extérieures relèvent de la responsabilité d’un État membre, ainsi que celle de pays amis ou alliés ;
    6. le comportement du pays acheteur ou destinataire à l’égard de la communauté internationale, en ce qui concerne notamment son attitude à l’égard du terrorisme, la nature de ses alliances et le respect du droit international ;
    7. l’existence d’un risque de voir la technologie ou les équipements militaires détournés dans le pays destinataire ou réexportés dans des conditions non souhaitées ;
    8. la compatibilité des exportations de technologie ou d’équipements militaires avec la capacité technique et économique du pays de destination finale, compte tenu du fait qu’il est souhaitable que les États répondent à leurs besoins légitimes de sécurité et de défense en consacrant un minimum de ressources humaines et économiques aux armements.
  • Renforcement des exigences en matière de vérification de l’utilisateur final : la décision prévoit qu’une autorisation repose désormais sur des informations fiables, accompagnées d’un certificat d’utilisateur final ou d’une documentation équivalente, assortie de possibilités de contrôle a posteriori. Des mécanismes de vérifications spécifiques pourront également être demandés par les Etats membres et il conviendra de prendre en compte le risque de détournement du produit en question lors de l’octroi de l’autorisation d’export. Cette modification n'est pas sans rappeler les dispositions du Règlement (UE) 833/2014 concernant les sanctions contre la Russie, qui tendent elles aussi à restreindre l’octroi d’autorisations et dérogations en cas de risque de contournement, notamment par le biais d'exports effectuées via des filiales étrangères et/ou de pays tiers.     
  • Extension du champ d’application de la Décision aux biens et technologies à double usage énumérés à l’annexe I du règlement (UE) 2021/821, lorsque leur destination finale implique une utilisation militaire ou sécuritaire. En effet, les 8 critères d’évaluation cités plus haut leur seront également applicables « lorsqu’il existe des raisons valables de penser que ce seront les forces armées ou les forces de sécurité intérieure ou des entités similaires du pays concerné qui constitueront l’utilisateur final de ces biens et technologies ».
  • Promotion accrue de la convergence entre États membres dans l’évaluation des risques, par l’échange d’informations, la consultation sur les politiques d’exportation et l’harmonisation progressive des positions nationales.
  • Mise en place de mécanismes spécifiques pour les projets de défense communs, afin de faciliter les décisions d’exportation conjointes.
 
  1. Portée juridique et implications pratiques

Cette réforme ne transforme pas la nature juridique de la position commune, qui demeure un instrument de la politique étrangère et de sécurité commune. Toutefois, les critères révisés acquièrent une force normative renforcée dans le droit interne des États membres, notamment par leur intégration dans les régimes nationaux de licences.

Elle accentue également la responsabilité juridique et politique des États, et, indirectement des entreprises, dans le respect de leurs obligations internationales, en exigeant une professionnalisation accrue des autorités compétentes (analyse des risques, connaissance géopolitique, coordination interministérielle) et des directions juridiques et/ou conformité chargées de réaliser des due diligences renforcées en amont de toute demande d’exportation lorsque cela apparaitra nécessaire.

Ce texte marque ainsi une réforme significative dans la consolidation d’une politique de défense européenne harmonisée en matière de commerce des armements. Il impose une approche rigoureuse et coordonnée, fondée sur la prévention des risques humanitaires et sécuritaires, faisant ainsi échos aux travaux de la Commission européenne en matière de politiques de contrôles des exportations de biens susceptibles d’être utilisés à des fins militaires (initiés par le White paper on export control publié 2024 et complétés, le 8 avril dernier, par les Recommandations (UE) 2025/683 de la Commission concernant la coordination des listes de contrôle nationales).

La prochaine révision de la position commune est d’ores et déjà prévue avant le 15 avril 2030, ce qui souligne la volonté de l’Union de maintenir une dynamique d’adaptation continue face aux enjeux militaires et stratégiques globaux.

Explorez notre collection de documents PDF et enrichissez vos connaissances dès maintenant !
[[ typeof errors.company === 'string' ? errors.company : errors.company[0] ]]
[[ typeof errors.email === 'string' ? errors.email : errors.email[0] ]]
L'email a été ajouté correctement