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A travers la remise sur le métier des directives CSRD et CS3D et des obligations créées par celles-ci pour les entreprises, l’Union européenne est en fait appelée à réévaluer ses priorités et ses objectifs dans leur contexte politique, économique et stratégique.

Article Compliance Droit européen | 16/06/25 | 5 min. | Bernard Cazeneuve Pierre Sellal

Face au constat des déficits de compétitivité des entreprises européennes soulignés par le rapport Draghi, ce dernier évoquant à ce titre notamment les surcharges normatives et bureaucratiques, rendue plus attentive aussi aux difficultés concrètes d’application par les sociétés concernées des exigences en matière de durabilité qui leur étaient imposées par ces textes, la Commission a déclaré, au début de cette année, s’engager résolument dans une démarche de simplification. Dans ce cadre, elle a proposé en février dernier un premier train de mesures « omnibus », visant en premier lieu à reporter d’un an le calendrier initialement prévu pour la mise en application des nouvelles obligations de reporting créées par les directives CSRD et CS3D, pour toutes les catégories d’entreprises concernées. Elle y a ajouté une série d’allègements et de clarifications des dispositions de substance figurant dans ces directives. L’autorité législative (le Parlement européen et le Conseil) ont entériné le report de calendrier ; le travail de négociation sur les modifications de substance à apporter à chacun des deux textes est en cours, avec l’objectif, nécessaire compte tenu de la situation juridique confuse créée par les changements, de finaliser celui-ci d’ici la fin de l’année.
 

On ne saurait considérer l’exercice ainsi engagé comme relevant d’un simple toilettage de dispositions administratives, ou le réduire à l’octroi aux entreprises assujetties d’un délai technique supplémentaire pour s’y conformer. Il soulève en effet des enjeux de grande importance que l’on souhaite ici résumer.

1. En premier lieu, l’Union européenne, sous couvert de simplification, s’engagerait-elle dans la révision des objectifs qu’elle s’était fixés en matière d’action contre le changement climatique ? Malgré les doutes exprimés ici et là sur la faisabilité et le coût de la mise en œuvre des objectifs du Green Deal (qui rassemble des politiques visant, pour l’Union européenne, à assurer le respect de la limitation du réchauffement à 1,5 °, ainsi qu’à atteindre la neutralité carbone en 2050),  la majorité des Etats membres, comme probablement une majorité au Parlement européen, n’entendent pas renoncer au cap fixé.

Cependant, comme l’a souligné la Commission elle-même ; il s’agit désormais d’associer ces objectifs climatiques à des recherches d’une plus grand compétitivité, et de les asservir à une stratégie de croissance. Un tel signal est important car des interrogations et des doutes s’étaient fait jour, dans certaines régions du monde, au sujet d’une Europe qui, notamment par les contraintes qu’elle imposait à ses entreprises, serait encline à tourner le dos à la croissance, voire à la sacrifier au nom de ses objectifs climatiques ou sociétaux.

2. Une deuxième question sous-jacente à cet exercice de simplification est celle de l’autonomie règlementaire de l’Union européenne par rapport aux Etats-Unis. Les visions longtemps partagées d’une convergence normative entre l’Europe et les Etats-Unis, en matière de régulation financière, de réglementation bancaire ou de fiscalité internationale des grands groupes se sont dissipées avec la mise en place de la nouvelle administration Trump. Bien plus, le leadership américain en matière de lutte contre la corruption, qui avait amené l’Europe à se doter progressivement d’instruments dédiés dans ce domaine, s’est évanoui avec la suspension (temporaire ?) des poursuites fondées sur le FCPA.

Malgré les menaces brandies par l’exécutif américain vis-à-vis des règlementations européennes, notamment celles qui encadrent l’économie numérique, l’UE n’entend pas, à raison, renoncer à son autonomie de décision en matière de normes organisant son propre marché. Cependant, sans qu’il s’agisse pour autant de suivre les Etats-Unis dans leur démarche dérégulatrice, la voie de la simplification s’impose également dans le souci de prévenir un différentiel trop lourd de charges et de contraintes entre sociétés européennes et américaines, que les dispositions relatives à l’application des règles de l’Union aux entreprises désireuses d’accéder à son marché ne peuvent suffire à éviter.

3. Un troisième enjeu est celui de la différenciation des obligations imposées aux entreprises en fonction de leur taille, afin de ne pas faire peser sur les plus petites des charges disproportionnées. La Commission a proposé de limiter le champ de la CSRD aux entreprises de plus de 1000 salariés (au lieu de 250 dans la directive initialement adoptée), une modification entrainant selon elle une réduction de 80 % du nombre d’entreprises assujetties à la directive. Ce seuil pourrait encore être augmenté, un effectif seuil de 3000 salariés a été avancé dans le cadre des discussions au sein des commissions compétentes du Parlement européen).
En outre, la proposition « omnibus » comporte des dispositions destinées à éviter qu’une petite entreprise hors du champ d’application de la directive du fait de sa taille, puisse être contrainte de fournir autant d’informations que si la directive lui était applicable, en raison de sa qualité de fournisseur ou de sous-traitant d’un groupe auquel la directive s’impose. S’y ajouteront probablement des modifications pour limiter, par rapport à la directive initiale, l’extension des chaines de valeur pour lesquelles les entreprises devront procéder à une évaluation des risques et des impacts de leurs activités.

4. Un dernier sujet de vigilance concerne l’unité juridique du marché intérieur. C’est à la fois un enjeu d’égalité des conditions de concurrence entre les entreprises actives sur ce marché et une exigence de simplification pour des sociétés parfois contraintes de s’adapter à des logiques juridiques différentes selon les Etats membres.
Compte tenu des divergences qui se sont exprimées au sujet du principe et de l’ampleur des simplifications à réaliser, des tendances à rechercher des compromis par des flexibilités pour les Etats membres ou pour les entreprises elles-mêmes pourraient se manifester. Il sera important de veiller à ce que celles-ci soient réduites au minimum, dans une situation d’ores et déjà confuse, car  les dispositions de la CSRD initiale ont déjà été transposées en droit national dans certains Etats membres, et où nombre d’entreprises, mais pas toutes, avaient entamé voire mis en œuvre les procédures de reporting requises. Il y aura lieu de rechercher, notamment dans la CS3D révisée, le plus haut degré possible de dispositions obligatoires, de manière à éviter des transpositions inégales entre les Etats membres.

La France, qui avait été pionnière dans la transposition de la CSRD, devra naturellement veiller à revoir sa loi nationale une fois achevé le processus de révision de la directive pour la mettre en conformité avec celle-ci. Et s’abstenir de céder à des tentations de surtransposition s’agissant de la CS3D.

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