
Article IT et données personnelles Droit de la concurrence, consommation et distribution Contrats commerciaux et internationaux Droit de la propriété intellectuelle, média et art | 17/01/12 | 5 min. | Mahasti Razavi Alexandra Berg-Moussa
Les dispositions de l’article L. 442-6, I 2° du code de commerce prévoient que le fait « de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties » peut engager la responsabilité de celui qui en est l’auteur et l’article L. 442-6, III du code de commerce inclut un dispositif spécifique permettant notamment au ministre chargé de l’économie de prendre l’initiative d’intenter une action contre l’auteur d’une telle pratique afin notamment de tenter d’obtenir la cessation des pratiques concernées, la nullité des clauses et contrats en cause, la répétition de l’indu, une amende civile, et des dommages et intérêts.
Fin 2009, Hervé Novelli, alors Ministre de l’Economie, initiait une série d’assignations sur le fondement de l’article L.442-6 du code de commerce et notamment du « déséquilibre significatif ».
Des Questions Prioritaires de Constitutionnalité (QPC) posées à l’initiative de certains distributeurs ont ralenti la plupart des procédures. Les QPC ayant été tranchées, les procédures en cours ont repris. Sur les cinq décisions rendues à la suite de ces assignations (dont quatre au cours des derniers mois), trois d’entre elles permettent une première approche quant aux pratiques susceptibles de créer un « déséquilibre significatif » :
- accepter le principe d’une révision des tarifs du fournisseur négociés contractuellement, tout en prévoyant que la révision à la baisse interviendra automatiquement et immédiatement alors que la révision à la hausse est soumise à la justification objective du fournisseur, à l’accord du distributeur et, le cas échéant, à des délais d’application différés (2 ou 4 mois selon les cas) (TC Lille, 7 sept 2011, Auchan) ;
- imposer à ses fournisseurs des clauses « taux de service minimum » types, pré-rédigées, imprécises et générales, sans tenir compte notamment des spécificités du fournisseur, produit ou magasin concernés, et donnant lieu à l’application de pénalités notamment disproportionnées par rapport au manquement en cause et au préjudice réel subi (TC Lille, 7 sept. 2011, Auchan) ;
- laisser la possibilité au distributeur de résilier le contrat (et donc déréférencer le fournisseur) en cas de « contre-performance du produit », dans la mesure où « le défaut de performance d’un produit est directement fonction des conditions dans lesquelles le distributeur le présente à la vente » (TC Meaux, 6 déc. 2011, Provera) ;
- prévoir des délais de paiement des prestations de coopération commerciale plus courts que les délais de paiement applicables aux achats de marchandises, et des systèmes d’acomptes pour les prestations de coopération commerciale, ayant pour effet de créer un déséquilibre de trésorerie au détriment du fournisseur (TC Meaux, 6 déc. 2011, Provera) ;
- imposer au fournisseur le paiement d’acomptes mensuels sur des ristournes devant en principe être versées au distributeur en fin d’année en fonction de l’atteinte d’un certain niveau de chiffre d’affaires, prévoir des délais de paiement de ces acomptes plus courts que les délais de paiements applicables aux achats de marchandises et prévoir des pénalités de retard de paiement de ces acomptes calculées sur la base d’un taux exorbitant qualifié d’ « usuraire » (TC Lille, 6 janv. 2010, Castorama).
C’est donc bien les idées de réciprocité et de symétrie dans les droits et obligations des parties qui semblent prévaloir.
Mais le rebondissement évoqué est intervenu à l’occasion de deux décisions, rendues par le tribunal de commerce de Créteil le 13 décembre 2011.
L’une des QPC évoquée ci-dessus avait donné lieu à une décision du Conseil constitutionnel du 13 mai 2011 (Décision n° 2011-126) dans laquelle l’action du ministre visant à obtenir la nullité des conventions illicites, la restitution des sommes indûment perçues et la réparation des préjudices causés par des pratiques abusives a été jugée conforme à la Constitution sous réserve cependant que les parties aux contrats (et notamment le(s) fournisseur(s) lésé(s)) soient informées de l’introduction de l’action.
Dans les deux décisions du 13 décembre 2011, le tribunal refuse dans un premier temps de se prononcer de manière générale sur les clauses insérées dans les contrats-types de Le Galec/Leclerc, et de Système U : « (…) le Tribunal ne peut généraliser à l'ensemble des fournisseurs sur la base des 124 contrats (72 pour Système U) en statuant de manière générale sans référence à des contrats précis et donc à des fournisseurs précis ». Puis dans un second temps, le tribunal se réfère expressément à la réserve du Conseil constitutionnel en précisant « Attendu que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 13 mai 2011 a dit l'action du Ministre conforme à la Constitution, dès lors que les parties au contrat ont été informées de l'introduction d'une telle action ; Attendu que le Ministre n'a pas justifié avoir informé les 58 fournisseurs concernés (56 pour Système U). Attendu qu'en conséquence, le Tribunal ne pouvant ni statuer de manière générale ni statuer sur les 124 contrats (72 pour Système U) versés aux débats relatifs aux 58 fournisseurs (56 pour Système U) », et déclare que l’action du Ministre contre Le Galec/Leclerc et Système U est irrecevable.
Ces deux décisions sont surprenantes à plusieurs titres : d’une part, dans la décision susvisée contre Auchan, le tribunal de commerce de Lille a prononcé sa sanction contre Auchan sur la base des seuls contrats-types. D’autre part, dans les deux décisions contre Auchan et Provera, les tribunaux de commerce de Lille et Meaux s’étaient également penchés sur la question et avaient reconnu la recevabilité de l’action du Ministre car l’action ne visant pas la nullité des clauses illicites ou la répétition de l’indu, la condition préalable relevée par le Conseil constitutionnel ne trouvait pas à s’appliquer. Enfin, à la suite de la décision du Conseil Constitutionnel du 13 mai 2011, le Ministre de l’économie avait modifié ses demandes devant le tribunal de commerce de Créteil pour les restreindre à la cessation des pratiques constatées pour l’avenir et le prononcé d’amendes civiles (et donc ni la nullité des conventions concernées ni la restitution de sommes indûment perçues par les distributeurs).
Décisions divergentes et nouvelles incertitudes, la « saga » n’est pas terminée et promet de passionnants débats devant la Cour d’appel ./.
Mahasti Razavi- Associée
Alexandra Berg-Moussa- Counsel