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Les actions individuelles ou collectives en réparation des dommages concurrentiels facilitées et promues par une directive européenne

Article Droit de la concurrence, consommation et distribution Contrats commerciaux et internationaux | 14/11/14 | 10 min. | Renaud Christol

La directive relative aux actions en dommages et intérêts pour infraction au droit de la concurrence, qui devrait être promulguée à la fin du mois de novembre, facilite la réparation des victimes de dommages concurrentiels et les incite à engager de telles actions, individuelles ou collectives.

Sur une initiative de la Commission européenne (« la Commission ») en 2013, le Conseil des ministres de l’Union européenne (« l’UE ») a adopté le 10 novembre 2014 une proposition de directive (« la Directive ») relative aux actions en dommages et intérêts qui peuvent être initiées, individuellement ou collectivement, par les victimes – entreprises, consommateurs ou autorités publiques – d’infractions aux règles de concurrence relatives aux ententes et aux abus de position dominante.

Uniformisation des principes procéduraux

La Commission avait constaté que si le droit des victimes de pratiques anticoncurrentielles à demander réparation devant les juridictions nationales existait dans tous les États Membres, seules 25% de ses décisions de condamnation étaient effectivement suivies d’actions en dommages et intérêts initiées par les victimes de ces infractions au droit de la concurrence[1].

Elle souhaitait donc faciliter la tâche des victimes et effacer les obstacles majeurs qui étaient susceptibles de leur barrer la route de la demande d’indemnisation. Ce sont les objectifs poursuivis par la Directive.

La Directive consacre tout d’abord au rang de principe le droit à réparation intégrale. Les victimes d’infractions au droit de la concurrence devront pouvoir obtenir non seulement la réparation du dommage réellement subi (surcoûts ou pertes de chiffre d’affaire), mais également du manque à gagner[2].

La Directive affirme ensuite qu’une décision définitive d'une autorité nationale de concurrence (« ANC ») qui constate une infraction constitue la preuve irréfragable de l'existence de cette infraction devant les juridictions de l'État membre concerné et une « preuve prima facie » devant les juridictions des autres États membres[3].

La Directive ne circonscrit pas pour autant les actions en réparation à celles qui interviennent après la condamnation définitive par une ANC et laisse aux victimes la possibilité d’engager une action en réparation alors qu’aucune procédure n’a été engagée devant une ANC ou qu’une procédure est toujours en cours devant l’ANC.

La Directive ajoute que les victimes devraient disposer d'au moins un an à compter de cette décision pour introduire une action en dommages et intérêts, et, en tout état de cause, d’au moins cinq ans à compter du moment où l’infraction a cessé et où elles ont eu connaissance de l’infraction[4].

La Directive se penche ensuite sur la question cruciale de l’accès aux éléments de preuve nécessaires à la démonstration du préjudice et du lien de causalité entre la pratique illicite et le préjudice allégué[5]. Elle prévoit que les juridictions nationales devraient pouvoir enjoindre au défendeur, mais également au demandeur ou à des tiers, de divulguer tous les éléments de preuve nécessaires pour cette démonstration, sous réserve que la demande soit justifiée, proportionnée et limitée aux informations pertinentes. Les juridictions nationales devraient également disposer de mesures efficaces pour protéger les informations confidentielles contenues dans les preuves dont elles ordonnent la production[6].

Conserver l’attrait des procédures alternatives aux sanctions

En ce qui concerne plus spécifiquement les pièces du dossier d’une ANC, les juridictions nationales peuvent, sauf exceptions, ordonner à l’ANC de les produire à tout moment dans le cadre d’une action en dommages et intérêts lorsqu’elles ne peuvent être raisonnablement fournies par une partie ou un tiers[7].

Cela étant, la Directrice prévoit deux exceptions à cette communication. En premier lieu, pour ne pas empiéter sur les enquêtes en cours, les « informations préparées par une personne physique ou morale expressément aux fins d’une procédure engagée par une autorité de concurrence » (réponse à une demande d’informations ou déclarations de témoins) ou « établies par l’autorité de concurrence et envoyées aux parties au cours de sa procédure » (notification de grief) ainsi que les propositions de transaction qui ont été retirées ne peuvent être produites qu’une fois que l’ANC a clos sa procédure[8]. En second lieu, une juridiction nationale ne pourra jamais ordonner la production des déclarations effectuées en vue d’obtenir la clémence ou de proposer une transaction[9]. Elle pourra uniquement, sur requête d’un demandeur, en prendre connaissance pour s’assurer, seule ou avec l’aide de l’ANC concernée et des auteurs de ces éléments de preuve, que leur contenu ne sort pas du cadre des définitions des déclarations de clémence et des propositions de transaction données par la Directive[10]. Si seule une partie des documents correspond à ces définitions, l’autre partie pourra être produite dans le cadre d’une action en dommages et intérêts[11]. Toute preuve qui sera produite en méconnaissance de ces principes devra être déclarée irrecevable[12].

Enfin, la Directive aborde la problématique du passing on defence[13] et prévoit que si une infraction a provoqué des hausses de prix qui ont été répercutées le long de la chaîne de distribution, seules les personnes qui auront réellement subi le préjudice seront en droit de bénéficier de la réparation. Les victimes qui auront répercuté le surcoût sur leurs propres clients ne pourront prétendre à indemnisation, sauf en cas de répercussion partielle de ce surcoût ou de manque à gagner[14].

Conséquences de la Directive sur le droit français

Le droit français contient d’ores et déjà certaines dispositions de la Directive. Il prévoit que la décision qui constate les infractions aux règles de concurrence et qui n'est plus susceptible de recours établit les manquements de manière irréfragable et que l’action en réparation peut être introduite dans les cinq ans de cette décision définitive[15].

Des modifications du droit français seront toutefois nécessaires, dans les deux ans à compter de l’entrée en vigueur de la directive, pour intégrer les autres dispositions de la Directive. Si l’article L.462-3 du code de commerce prévoit depuis 2012 que l’Autorité de la concurrence (« l’ADLC ») « peut transmettre tout élément qu’elle détient concernant les pratiques anticoncurrentielles concernées (…), à toute juridiction qui la consulte ou lui demande de produire des pièces qui ne sont pas déjà à la disposition d’une partie à l’instance » à l’exclusion des pièces recueillies ou élaborées dans le cadre d’une demande de clémence, il ne prévoit pas que les déclarations de non contestation des griefs sont également exclues des pièces qui peuvent être produites par l’ADLC devant les juridictions nationales. Il ne fait pas non plus de distinction entre les documents qui peuvent être fournis en cours de procédure et ceux qui peuvent être fournis uniquement lorsque la procédure devant l’ADLC est close.

Surtout, l’action de groupe en réparation des dommages concurrentiels n’est actuellement possible que pour les consommateurs et uniquement lorsque le constat d’infraction et devenu définitif[16].

Dès lors, les modifications législatives qui devront être adoptées pour mettre le droit français en conformité avec le texte de la Directive pourraient être l’occasion d’élargir le champ de l’action de groupe aux entreprises victimes d’infractions au droit de la concurrence, ainsi qu’aux pratiques qui n’ont pas fait l’objet d’une décision d’une ANC[17]

 

 

Renaud Christol, Counsel

Elsa Pinon, Avocat

 

 

[1] Voir le communiqué de presse de la Commission du 11 juin 2013, IP/13/525.

[2] Article 3§3 de la Directive.

[3] Article 9 de la Directive.

[4] Article 10 de la Directive.

[5] Voir nos flashs sur le sujet « Les pièces du dossier de l’Autorité de la concurrence peuvent, sous certaines conditions, être obtenues par les demandeurs à une action en réparation » de septembre 2012, « Transmission des dossiers de l’Autorité de la concurrence dans les procédures indemnitaires » de décembre 2012 et « Le plaignant peut utiliser les pièces du dossier de l’Autorité de la concurrence dans une procédure indemnitaire » de novembre 2013.

[6] Article 5 de la Directive.

[7] Article 6§9 de la Directive.

[8] Article 6§5 de la Directive.

[9] Article 6§6 de la Directive.

[10] Article 6§7 de la Directive.

[11] Article 6§8 de la Directive.

[12] Article 7 de la Directive.

[13] L’argument du « passing-on defence» consiste pour le défendeur à faire échec à l’action en dommages et intérêts de l’acheteur direct en soutenant que celui-ci a répercuté le surcoût causé par l’infraction sur ses propres clients et qu’il ne peut se prévaloir d’aucune perte.

[14] Article 12 de la Directive.

[15] Article L.423-17 du code de la consommation et arrêts de la CJUE C453/99, Courage, du 20 septembre 2001 et C295/04, 296/04, 297/04 et 298/04, Manfredi et a., du 13 juillet 2006.

[16] Voir notre flash « La class action à la française pour la réparation des dommages concurrentiels » du mois de mars 2014.

[17] Ces modifications sont notamment envisagées par l’ADLC (voir l’interview de Bruno Lasserre, président de l’ADLC, dans la synthèse du rapport annuel 2013 de l’ADLC).

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