Article Droit du travail et de la protection sociale | 03/06/16 | 23 min. | Virginie Devos
Il ne peut être dit que l’été a été calme et qu’il ne s’est rien passé. Deux lois très importantes et attendues ont été publiées au Journal Officiel au mois d’août : la loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques ainsi que la loi portant réforme du dialogue social du 18 août 2015. Même si pour un certain nombre de mesures, il conviendra d’attendre des décrets d’application qui s’échelonneront entre septembre et décembre 2015, certaines mesures sont d’ores et déjà entrées en application, respectivement le 7 août et le 19 août 2015. Nous vous proposons, dans ce premier volet, un panorama des principaux changements d’ores et déjà opérés. Suivra un second volet traitant des principales mesures qui devraient s’appliquer d’ici la fin de l’année et celles qui entreront en vigueur qu’au 1er janvier 2016 ou au-delà.
Mesures relatives aux institutions représentatives du personnel
Articulation des réunions Comité Central d’Entreprise « CCE » et Comité d’établissement « CE »
Pour éviter la double consultation du CCE et du CE, la loi prévoit que le CCE sera seul consulté sur les projets décidés au niveau de l’entreprise ne comportant pas de mesures d’adaptation spécifiques à un ou plusieurs établissements, ou sur les projets décidés au niveau de l’entreprise dont les mesures de mises en œuvre ne sont pas encore définies.
L’avis du CCE ainsi que les documents relatifs au projet sont transmis par tout moyen aux CE.
Le CE sera quant à lui consulté sur les mesures d’adaptation du projet, spécifiques à son établissement et relevant de la compétence du chef de cet établissement.
Remarque :
Il s’agit en réalité d’une codification de la jurisprudence existante. Il peut être espéré que la précision du caractère spécifique à l’établissement des mesures d’adaptation sera de nature à résoudre les difficultés rencontrées actuellement sur la notion de mesures d’adaptation à l’établissement.
Réunions communes des instances représentatives du personnel
Il sera désormais possible pour un employeur d’organiser des réunions communes de plusieurs des instances représentatives du personnel (DP, CCE, CE, Comité de groupe, comité européen, CHSCT ou instance de coordination CHSCT) lorsqu’un projet nécessite leur information ou leur consultation.
L’ordre du jour doit être transmis au minimum 8 jours avant la tenue de la réunion.
Les règles de composition et de fonctionnement de chaque IRP doivent être respectées.
L’ordre du jour devra donc être arrêté avec chacun des secrétaires des instances concernées.
Lorsqu’un avis doit être recueilli, il le sera selon les règles propres à chaque instance mais dans le cadre de la réunion commune.
Remarque :
L’article ne vise que la transmission 8 jours avant de l’ordre du jour. Persiste une interrogation si cela couvre également le délai de transmission de la note d’information. En effet, en l’état des textes sur le CHSCT, la note d’information doit être transmise 15 jours avant la tenue de la réunion.
La question qui se pose est le point de savoir si la tenue de réunions communes peut s’appliquer lorsque le législateur a expressément prévu que le comité d’établissement se tient après la réunion du comité central comme c’est le cas en cas de consultation des instances sur un projet de licenciement pour motif économique de 10 salariés ou plus(article L1233-36 du code du travail). Tel ne semble pas être le cas.
Suppression du CE
L’employeur peut supprimer le CE lorsque l’effectif n’atteint pas 50 salariés pendant 24 mois consécutifs ou non au cours des 3 ans précédant la date du renouvellement du CE, sans devoir conclure un accord aux fins de le supprimer ou solliciter l’administration.
Suppression de la peine d’emprisonnement dans certains cas d’entrave
Il a été supprimé la peine d’emprisonnement lorsqu’il est porté ou il a été tenté de porter atteinte au fonctionnement des instances représentatives du personnel.
De même, a été retiré la peine d’emprisonnement en cas de non soumission au CE du bilan social
Mesures spécifiques au CHSCT et instance de coordination
Instance de coordination CHSCT
Le caractère temporaire de l’instance a été précisé. De même, il lui appartient à elle seule de désigner un expert.
Son rôle consultatif est également précisé puisque son avis sera requis sur les mesures d’adaptation du projet communes à plusieurs établissements.
Les CHSCT concernés sont, quant à eux, consultés sur les éventuelles mesures d'adaptation du projet spécifiques à leur établissement et qui relèvent de la compétence du chef de cet établissement.
Clarification sur le périmètre de mise en place de CHSCT
Dans le cas où aucun des établissements n’a un effectif supérieur à 50 salariés, un CHSCT devra être mis en place au niveau de l’un des établissements et les autres salariés devront lui être rattachés.
Remarque :
Il aurait été apprécié que l’article L4611-3 du code du travail qui dispose que dans les établissements de moins de 50 salariés, les délégués du personnel font office de CHSCT soit modifié afin d’éviter les incohérences.
Règlement intérieur du CHSCT
Les modalités de fonctionnement et l’organisation de ses travaux seront déterminées dans un règlement intérieur. L’employeur peut participer au vote.
Durée de la mandature du CHSCT
La durée du mandat des membres du CHSCT est alignée sur celle du CE qui les a désignés.
Cette règle est applicable lors du renouvellement de l’instance.
Fixation unilatérale de l’ordre du jour des réunions CHSCT
Il a été repris à l’identique la rédaction actuelle figurant pour le comité d’entreprise permettant de fixer unilatéralement l’ordre du jour du CHSCT lorsque que la consultation est rendue obligatoire par une disposition législative ou règlementaire ou par accord collectif de travail.
Remarque :
Il est à craindre que les juges du fond transposent la jurisprudence rendue en la matière pour le CE conduisant à devoir essuyer un refus du secrétaire de fixer l’ordre du jour avant de pouvoir le fixer unilatéralement.
Valorisation des parcours des élus et des titulaires d’un mandat syndical
Elargissement du contenu de l’accord qui avait pour objet de fixer des mesures à mettre en œuvre pour concilier vie professionnelle et carrière syndicale
La loi complète les dispositions de l’article L2141-5 du code du travail en ajoutant que cet accord doit fixer les mesures à mettre en œuvre pour concilier la vie personnelle, vie professionnelle et l’exercice de fonctions syndicales et électives. Ces mesures doivent par ailleurs favoriser l’égal accès des hommes et des femmes.
La tenue d’un entretien individuel lors de la prise du mandat
Au début de son mandat, le représentant du personnel titulaire, le délégué syndical ou le titulaire d’un mandat syndical, peut demander à bénéficier d’un entretien individuel avec son employeur portant sur les modalités pratiques d’exercice de son mandat au sein de l’entreprise au regard de son emploi. Il peut se faire accompagner par une personne de son choix. Cet entretien ne se confond pas avec l’entretien professionnel.
Remarque :
En pratique, cette mesure s’appliquera pour les mandats électifs lors de la prochaine mandature.
En revanche, pour les mandats désignatifs, cette mesure s’applique dès désignation. La demande doit émaner du salarié et non de la Société. En revanche, si une telle demande est formulée, l’employeur ne peut refuser de tenir l’entretien.
Précision sur le contenu de l’entretien professionnel
Lors de l’entretien professionnel qui doit se tenir à l’issue du mandat, il conviendra de procéder au recensement des compétences acquises au cours du mandat et de préciser les modalités de valorisation de l’expérience acquise, pour le représentant titulaire, le délégué syndical ou le titulaire d’un mandat syndical dont le nombre d’heures de délégation représente sur l’année au moins 30% de la durée fixée au contrat ou de la durée applicable dans l’établissement.
Remarque :
En l’état de la règlementation relative à l’entretien professionnel (article L6315-1 du code du travail), l’entretien professionnel à l’issue du mandat ne concernait que les salariés titulaires d’un mandat syndical. Ce texte n’a pas fait l’objet de modification dans le cadre de la loi Rebsamen qui pourtant en élargit le champ d’application ! Il est à noter qu’une liste des compétences correspondant à l’exercice du mandat de représentant du personnel ou du mandat syndical va être établie par les ministres chargés du travail et de la formation professionnelle.
Garanties salariales
Sont concernés par la garantie salariale :
- le délégué syndical, le délégué du personnel, le membre élu au CE, le représentant syndical au CE, le membre du groupe spécial de négociation et représentant au comité de la société européenne, le membre du groupe spécial de négociation et représentant au comité de la société coopérative européenne, le membre du groupe spéciale de négociation et représentant au comité de la société issue de la fusion transfrontalière, le représentant au CHSCT, le représentant de section syndicale ainsi que le délégué syndical conventionnel, le délégué du personnel conventionnel et le représentant au CHSCT conventionnel.
- dont le nombre d’heures de délégation sur l’année dépasse 30% de la durée de travail fixée au contrat ou de la durée applicable dans l’établissement.
Cette garantie porte sur une évolution de rémunération au moins égale, sur l’ensemble de leur mandat, aux augmentations générales et à la moyenne des augmentations individuelles perçues pendant cette période par les salariés relevant de la même catégorie professionnelle et à l’ancienneté comparable ou, à défaut de tels salariés, aux augmentations générales et à la moyennes individuelles perçues dans l’entreprise. Cette garantie s’applique à défaut d’accord collectif (de branche ou d’entreprise) fixant des garanties d’évolution de la rémunération équivalentes.
Utilisation des heures de délégation par le délégué syndical
Le délégué syndical pourra utiliser ses heures de délégation (excepté celles réservées à la négociation d’entreprise) pour participer, au titre de son syndicat, à des négociations ou aux réunions d’instances organisées dans l’intérêt des salariés de l’entreprise ou de la branche.
Dispositions relatives au licenciement pour motif économique
Licenciement de moins de 10 salariés dans les entreprises de plus de 50 ans
Il est supprimé l’obligation de notifier à la Direccte tout projet de licenciement de moins de 10 salariés dans les entreprises de plus de 50 salariés.
Remarque :
Cette suppression est une bonne chose, cette obligation n’avait pas beaucoup de sens. Demeure, en revanche, l’obligation d’informer par écrit la Direccte dans les 8 jours suivant l’envoi des lettres de licenciement.
Critères d’ordre de licenciement
Les Sociétés tenues de mettre de mettre en place un plan de sauvegarde de l’emploi peuvent fixer par accord collectif le périmètre d’application des critères d’ordre de licenciement dès lors que cet accord collectif est un accord collectif majoritaire. Les procédures visées sont celles engagées après la publication de la loi.
Remarque :
Cette loi met fin, dans les entreprises tenues de mettre en place un plan de sauvegarde de l’emploi et engageant une procédure d’information/consultation à ce titre après la publication de la loi Macron, aux arguments pouvant être évoqués selon lesquels un accord collectif de droit commun pouvait être conclu sur le périmètre d’application des critères d’ordre de licenciement. Ces arguments restant, en revanche, pertinents pour les procédures engagées avant la publication de la loi ou après l’adoption de la loi pour les entreprises n’étant pas soumis à l’obligation de mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi. En revanche, la loi Macron vient mettre un terme aux incertitudes liées à la jurisprudence Mory-Ducros en permettant la fixation unilatérale d’un tel périmètre. Cependant, sur ce dernier point, un décret doit préciser le périmètre minimal en deçà duquel il ne pourra être appliqué unilatéralement les critères d’ordre. En outre, la loi ne définit pas ce qu’il convient d’entendre par procédure engagée. Par référence à la loi de sécurisation du marché de l’emploi, il est vraisemblable qu’il s’agisse de celles ayant fait l’objet d’une convocation en vue de la première réunion (ce qui suppose que soit transmise avec la convocation la note d’information sur le projet).
Réduction du périmètre de contrôle de la Direccte aux fins d’homologuer le plan de sauvegarde de l’emploi
Pour les entreprises en redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire, le pouvoir de contrôle de la Direccte aux fins d’homologuer un plan de sauvegarde de l’emploi (établi donc unilatéralement) se limitera, s’agissant de l’appréciation du contenu du plan de sauvegarde, à en apprécier les mesures uniquement au regard des moyens de l’entreprise et non des moyens du groupe.
Remarque :
Il est dommage que pour les sociétés in bonis il n’ait pas été donné une définition de l’appréciation des moyens du groupe. En effet, la simple analyse des décisions rendues sur le sujet montre que cette notion est à géométrie variable en fonction des groupes concernés et des compétences économiques et financières que peuvent avoir les Direcctes.
Possibilité pour la Direccte de régulariser un défaut de motivation de sa décision d’homologation ou de validation sans pénaliser financièrement les entreprises
En cas d’annulation par le juge d’une décision de validation ou d’homologation d’un plan de sauvegarde, il appartiendra au Direccte de prendre une nouvelle décision suffisamment motivée, dans les 15 jours de la notification du jugement. Cette nouvelle décision devra être portée à la connaissance des anciens salariés par tout moyen.
Cette nouvelle décision est sans incidence sur la validité des licenciements et ne peut ouvrir droit au versement d’une indemnité à la charge de la Société.
Précisions sur les accords de maintien dans l’emploi
Il est introduit la possibilité de pouvoir suspendre l’accord en cas d’amélioration ou d’aggravation de la situation économique de la Société.
De même, le licenciement individuel pour motif économique qui pourrait être prononcé repose nécessairement sur une cause réelle et sérieuse.
Elections professionnelles
Le recours contre les décisions prises par la Direccte en matière de contentieux électoral relèvera du juge judiciaire. L’employeur est tenu après la proclamation des résultats d’adresser par tout moyen et dans les meilleurs délais une copie des PV aux organisations syndicales de salariés qui ont présenté des listes de candidats aux scrutins concernés ainsi qu’à celles qui ont participé à la négociation du protocole électoral.
Remarque :
Il s’agit bien d’adresser les procès-verbaux aux organisations syndicales et non aux délégués syndicaux qui viendraient à être désignés. L’envoi en LAR est recommandé.
Travail le dimanche
Virginie Devos, associé