
Article IT et données personnelles Droit de la concurrence, consommation et distribution Contrats commerciaux et internationaux Droit de la propriété intellectuelle, média et art | 11/01/11 | 5 min. | Mahasti Razavi Florence Chafiol
Traditionnellement la jurisprudence française a toujours refusé de consacrer la théorie dite « de l’imprévision » qui permet aux parties et le cas échéant au juge de réviser voire résilier un contrat en cas de changement imprévisible des circonstances (jurisprudence classique depuis l’arrêt « Canal de Craponne » de 1872).
Depuis quelques années, certains arrêts avaient toutefois amorcé sinon un revirement, du moins, un infléchissement de cette jurisprudence, en incitant les parties à renégocier le contrat en cas de modification du contexte, sur le fondement non pas de la théorie de l’imprévision mais de la bonne foi et de l’équité, lorsque cette évolution du contexte rend le contrat ruineux pour l’une des parties (Cass. Com. 3 novembre 1992 ; Cass. Com. 24 novembre 1998) ou du moins, l’expose à des difficultés sérieuses (CA Nancy, chambre commerciale, 26 septembre 2007).
Un arrêt récent du 29 juin 2010 rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation semble aller encore plus loin : dans cette espèce, les sociétés SEC et Soffimat avaient conclu en 1998, pour une durée de 12 ans, un contrat de maintenance de matériel industriel moyennant le paiement d’une redevance annuelle. Depuis la signature du contrat, le coût des pièces de rechange utilisées par la société Soffimat pour assurer la maintenance avait triplé, si bien que la redevance annuelle était devenue dérisoire. Arguant de ce changement du contexte économique, la société Soffimat refusait d’exécuter le contrat qu’elle estimait caduc. La société SEC l’a assigné en référé pour obtenir l’exécution forcée du contrat. Elle a obtenu gain de cause en première instance et en appel.
L’arrêt confirmatif de la Cour d’appel a été cassé par la Cour de cassation au motif que la Cour d’appel aurait dû rechercher si « l’évolution des circonstances économiques […] n’avait pas eu pour effet […] de déséquilibrer l’économie générale du contrat […] et de priver de toute contrepartie réelle l’engagement souscrit par la société Soffimat ».
Ainsi, la Cour de cassation admet implicitement la possibilité pour le juge de prononcer la caducité du contrat en cas d’imprévision.
Toutefois, la portée exacte de ce dernier arrêt reste encore incertaine notamment en raison de son absence de publication au bulletin officiel.
En tout état de cause, la Cour semble limiter le champ d’application de la théorie de l’imprévision aux seuls cas « extrêmes » où le changement des circonstances économiques ne créé pas un simple déséquilibre dans le contrat mais prive une obligation contractuelle de toute contrepartie réelle et donc de toute « cause ».
A noter qu’un projet de réforme du droit des obligations actuellement à l’étude prône l’introduction de la théorie de l’imprévision dans le Code de commerce (à l’instar de ce qui existe dans de nombreux pays en Europe et aux Etats-Unis), lorsqu’un changement de circonstances « imprévisible et insurmontable » rend l’exécution du contrat « excessivement onéreuse pour une partie ». La jurisprudence actuelle devrait créer un contexte favorable à cette réforme dont la mise en œuvre reste toutefois repoussée depuis plusieurs années.
Vente d’ordinateur avec logiciel pré-intégré – une approche au cas par cas
C’est à la suite de longs et difficiles débats doctrinaux, initiés notamment par les partisans du « logiciel libre », que la Cour de cassation avait finalement validé dans un arrêt du 5 juin 2008 la pratique des ventes d’ordinateurs avec logiciels pré-intégrés. La Cour a en effet estimé que cette pratique ne constituait pas une « vente liée » prohibée par l’article L.122-1 du code de la consommation, faisant valoir notamment que le client avait la possibilité d’obtenir le remboursement du logiciel non souhaité.
Dans une espèce récente la Cour de cassation (Civ. 1ere, 15 nov. 2010) a eu à se prononcer dans un cas où, cette fois-ci, le consommateur n’avait pas la possibilité d’obtenir le remboursement des logiciels pré-intégrés : il pouvait se faire rembourser l’achat dans sa globalité et non uniquement les logiciels.
La Cour a cassé le jugement du juge de proximité qui avait refusé d’accueillir la demande du consommateur de remboursement des logiciels. Reprenant les principes posés par un arrêt de la CJCE du 23 avril 2009, elle a jugé que le tribunal aurait dû, avant de débouter le consommateur, vérifier si la pratique commerciale dénoncée ne constituait pas une pratique déloyale au sens de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005. Ce faisant, si la Cour ne considère pas nécessairement que la pratique incriminée est illicite, elle vient en revanche s’opposer à une validation généralisée des pratiques de ventes d’ordinateurs avec logiciels pré-intégrés et invite à une analyse au cas par cas.
Ainsi, la vente d’ordinateur avec logiciels préinstallés, si elle n’est pas nécessairement illicite en tant que telle, est susceptible d’être invalidée par les juges (sur le fondement non pas de la vente liée mais de la pratique commerciale déloyale) notamment lorsqu’aucune possibilité de remboursement du ou des logiciels n’est proposée au consommateur.
Obligation de conseil du vendeur professionnel – Une obligation de moyens « renforcée »
Dans un arrêt du 28 octobre 2010, la Cour de cassation (Chambre Civile) a jugé, dans un arrêt rédigé sous la forme d’un arrêt de principe, que le vendeur professionnel doit non seulement fournir à son client toutes les informations utiles à son choix mais également le conseiller sur le choix approprié en fonction de l’usage particulier auquel il destine le produit acheté.
En l’espèce, un couple avait acheté du carrelage en terre cuite pour entourer leur piscine. Au moment de l’achat, les clients n’avaient toutefois pas informé le vendeur de l’usage exact qu’ils souhaitaient en faire. Ce carrelage, une fois posé, s’est désagrégé.
Une expertise a permis de révéler que ce phénomène était lié non à un défaut des carreaux mais à l’incompatibilité entre la terre cuite et le traitement de l’eau de la piscine. Les juges du fond avaient débouté les clients de leur demande de dommages et intérêts en retenant que s’il appartient au vendeur de fournir à son client toutes les informations utiles relatives au produit et de le conseiller dans ses choix, le client doit également de son côté informer le vendeur de l’usage qu’il entend faire du produit commandé.
Cet arrêt à été cassé par la Cour de cassation, cette dernière estimant que le devoir de conseil du vendeur implique que ce dernier « se renseigne sur les besoins de l’acheteur afin d’être en mesure de l’informer quant à l’adéquation de la chose proposée à l’usage qui en est prévu ».
La Cour fait ainsi peser sur le vendeur professionnel une obligation de conseil « renforcée ».
Mahasti Razavi, Associée
Florence Chafiol-Chaumont, Associée