
Article | 31/01/11 | 9 min. | Marie Danis
Le décret n°2011-48 du 13 janvier 2011 portant réforme de l’arbitrage apporte d’importantes modifications au droit français de l’arbitrage interne comme international (nouveaux articles 1442 à 1527 du Code de Procédure Civile, ci après le « CPC »). Cette réforme doit être saluée en ce qu’elle réduit l’écart qui s’était créé entre la pratique de l’arbitrage en France, reflétée par une jurisprudence moderne très favorable à ce type de procédure, et les textes. En offrant une lecture claire des principes applicables, cette réforme facilite l’accès des praticiens étrangers au droit de l’arbitrage français. Son objectif est ainsi de permettre à la France, et notamment à Paris, de demeurer une des places privilégiées de l’arbitrage. Pour ce faire, la réforme améliore la célérité, la transparence et réaffirme l’exigence de loyauté dans la procédure arbitrale. Le décret renforce également l’autorité du « tribunal arbitral », terme désormais consacré au détriment de celui d’arbitre, témoignant de la nature juridictionnelle de l’institution.
Les principales dispositions de cette réforme, qu’elles concernent l’arbitrage interne ou international, sont présentées ci-après.
L’ARBITRAGE INTERNE
1° La convention d’arbitrage
Les régimes de la clause compromissoire, conclue préalablement au litige, et du compromis d’arbitrage, qui est l’accord des parties d’arbitrer leurs différends conclu postérieurement à la naissance du litige, sont partiellement unifiés sous le vocable « convention d’arbitrage ».
L’innovation principale du décret à cet égard est de ne plus sanctionner par la nullité la clause compromissoire qui ne prévoit pas les modalités de désignation du tribunal arbitral. En l’absence de telles dispositions, les parties pourront désormais solliciter l’assistance du « juge d’appui » pour permettre la constitution du tribunal arbitral (article 1452) (i.e. le président du tribunal de grande instance du siège de la procédure arbitrale (article 1459)).
De manière générale, la réforme peut être considérée comme assouplissant les conditions de validité de la clause compromissoire mais rendant plus strictes celles relatives au compromis d’arbitrage. Par exemple, l’exigence d’un écrit à peine de nullité (nouvel article 1443) n’existait pas pour le compromis d’arbitrage. Toutefois, la convention d’arbitrage « peut résulter d'un échange d'écrits ou d'un document auquel il est fait référence dans la convention principale » (même article).
En outre, le principe de l’autonomie de la convention d’arbitrage en vertu duquel celle-ci n’est pas affectée par l’invalidité du contrat dans lequel elle est insérée, est dorénavant consacré à l’article 1447.
En matière de répartition des compétences entre juge judiciaire et tribunal arbitral, une clarification d’importance, bien qu’acquise de longue date en jurisprudence, est insérée à l’article 1449 : « la convention d'arbitrage ne fait pas obstacle, tant que le tribunal arbitral n'est pas constitué, à ce qu'une partie saisisse une juridiction de l'Etat aux fins d'obtenir une mesure d'instruction ou une mesure provisoire ou conservatoire ».
2° Le tribunal arbitral
La réforme consacre le rôle du « juge d’appui » en matière de constitution du tribunal arbitral. L’article 1459 désigne à cette fin le président du tribunal de grande instance du siège de la procédure arbitrale, l’intervention du président du tribunal de commerce demeurant possible lorsqu’elle a été prévue par les parties (même article).
3° L’instance arbitrale
L’article 1466 consacre le principe selon lequel : « La partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir ». Ce principe, qui encourage les parties à être d’une particulière loyauté procédurale, avait déjà été affirmé par la jurisprudence à de très nombreuses occasions (par exemple, Cass. Civ. 1ère, 28 mai 2008, n°04-13.999).
Les pouvoirs du tribunal arbitral en matière de mesures d’instruction sont clarifiés. Par exemple : « Si une partie détient un élément de preuve, le tribunal arbitral peut lui enjoindre de le produire selon les modalités qu'il détermine et au besoin à peine d'astreinte. » (article 1467).
Autre nouveauté importante à saluer : en l’absence de stipulation contraire des parties à cet effet, le décès, l’empêchement, l’abstention, la démission, la récusation ou la révocation d'un arbitre ne fait que suspendre l’instance arbitrale « jusqu'à l'acceptation de sa mission par l'arbitre désigné en remplacement » et n’est plus une cause d’extinction de l’instance comme auparavant (article 1473).
4° La sentence arbitrale
Quelques détails qui importeront en premier lieu aux praticiens : les nouvelles dispositions permettent aux parties de prévoir que la notification de la sentence sera effectuée par une autre voie que celle de la signification, par exemple la lettre recommandée avec accusé de réception ou la notification électronique.
Egalement, le délai du recours en rectification d’erreur matérielle est écourté à trois mois (article 1486) tandis que sous le régime actuel, ce délai est d’un an (article 463 CPC, applicable par renvoi de l’article 1475 ancien).
En ce qui concerne l’exequatur, le nouveau texte confirme son caractère non contradictoire depuis longtemps affirmé par la jurisprudence (article 1487). Dorénavant, l’exequatur pourra être apposé sur une simple copie de la sentence dès lors que celle-ci réunit « les conditions requises pour [son] authenticité », ce qui devrait faciliter la circulation des sentences (même article).
5° Les voies de recours
Le nouvel article 1489 prévoit que : « La sentence n'est pas susceptible d'appel sauf volonté contraire des parties. » Ainsi, le principe selon lequel l’appel est la règle et le recours en annulation l’exception est inversé.
Le point de départ du délai des voies de recours ne commence plus à compter de la signification de la sentence revêtue de l’exequatur mais à compter de la notification de celle-ci (article 1494).
La possibilité de solliciter un sursis à exécution ou l’exécution provisoire de la sentence est précisée par le nouvel article 1497. L’arrêt ou l’aménagement de l'exécution provisoire sont ouverts lorsque celle-ci risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives, tandis que le juge peut également ordonner l’exécution provisoire même si celle-ci n’avait pas été ordonnée par le tribunal arbitral. Cette nouveauté est d’importance dans la mesure où elle permet l’aménagement de l’exécution provisoire en fonction de la situation des parties.
Le recours en révision est quant à lui dorénavant porté devant le tribunal arbitral (article 1502 al. 2).
A noter que les plus importantes de ces modifications sont également applicables par renvoi en matière d’arbitrage international (par exemple, la possibilité de présenter une copie de la sentence dans le cadre de l’exequatur, etc.).
L’ARBITRAGE INTERNATIONAL
1° La convention d’arbitrage international
Le principe selon lequel « La convention d'arbitrage n'est soumise à aucune condition de forme » est affirmé avec force dans le nouvel article 1507. Pour autant, la réforme aurait pu faire preuve de davantage d’audace et consacrer la règle matérielle affirmée par la jurisprudence française en matière de validité des conventions d’arbitrage international consacrant la preuve de la volonté commune des parties (Cass. Civ. 1ère, 8 juillet 2009, n°08-16025).
2° Compétence du juge d’appui
Le décret ajoute deux nouveaux cas de compétence du juge d’appui français, qui demeure le président du tribunal de grande instance de Paris (sauf clause contraire) : celui de l’éventualité d’un déni de justice et celui dans lequel les parties ont choisi de donner compétence aux juridictions étatiques françaises pour connaître des différends relatifs à la procédure arbitrale (article 1505). Préalablement, le juge d’appui ne pouvait être saisi que pour un arbitrage international se déroulant en France ou lorsque les parties avaient convenu d’appliquer la loi de procédure française à l’arbitrage.
3° La sentence
Une nouveauté apportée par la réforme est l’affirmation que la sentence est rendue à la majorité des voix du tribunal arbitral, et, à défaut, par le président du tribunal arbitral, l’article 1513 alinéa 3 précisant qu’ : « A défaut de majorité, le président du tribunal arbitral statue seul. En cas de refus de signature des autres arbitres, le président en fait mention dans la sentence qu'il signe alors seul. » Cette remise en cause du principe de délibération à la majorité semble justifiée par le souhait de faciliter la prise de décision du tribunal arbitral. Cette modification est le reflet de l’article 25.1 du Règlement d’arbitrage de la CCI qui donne un rôle prépondérant au président du tribunal arbitral.
De surcroît, en vertu du nouvel article 1515 al. 2, il n’est plus requis que la sentence soit traduite par un traducteur assermenté stricto sensu pour que celle-ci soit reconnue dans l’ordre juridique français. Cette nouveauté est destinée à faciliter la reconnaissance de la sentence rendue en matière d’arbitrage international.
4° Les voies de recours
Le décret permet de distinguer plus facilement les dispositions applicables aux sentences rendues en France et celles applicables aux sentences rendues à l’étranger (respectivement Section 1 – articles 1518 à 1524 et Section 2 – article 1525) tout en prévoyant des dispositions communes (Section 3 – articles 1526 à 1527).
Les sentences rendues en France peuvent être notifiées par une autre voie que la signification et, de même qu’en arbitrage interne, le délai de recours en annulation est donc de ce fait écourté.
Une nouveauté d’importance est également la possibilité offerte aux parties de renoncer au recours en annulation conférée par le nouvel article 1522 : « Par convention spéciale, les parties peuvent à tout moment renoncer expressément au recours en annulation.
Dans ce cas, elles peuvent toujours faire appel de l'ordonnance d'exequatur pour l'un des motifs prévus à l'article 1520. (…) ». Cette modification renforce l’efficacité de la sentence arbitrale.
Enfin, le nouveau texte octroie expressément la possibilité de demander l’annulation lors de l’appel de l’ordonnance d’exequatur lorsque la sentence a été rendue en France (article 1523).
Alors qu’auparavant les recours à l’encontre de la sentence ou de l’ordonnance prononçant l’exequatur étaient suspensifs de l’exécution de la sentence (article 1506 ancien du CPC), le décret prévoit l’absence d’effet suspensif de l’appel et du recours en annulation sous la réserve que l’exécution ne soit pas de nature à léser gravement l’une des parties (article 1526). Dans cette hypothèse, le décret prévoit que la partie concernée peut alors saisir le premier président de la cour d’appel en référé aux fins d’arrêter ou d’aménager l’exécution de la sentence (article 1526). Là encore, le décret favorise l’efficacité de l’arbitrage international.
Les praticiens de l’arbitrage attendent donc avec impatience l’entrée en vigueur de ce décret prévue pour le 1er mai 2011.
Toutefois, c’est uniquement dans le cas des conventions d’arbitrage conclues après le 1er mai 2011 que le nouveau régime s’appliquera à l’ensemble de la procédure. En effet, pour les conventions d’arbitrage conclues avant le 1er mai 2011, il est prévu, dans les cas où la constitution du tribunal arbitral ou le prononcé de la sentence est postérieur au 1er mai 2011, l’application de certaines dispositions du nouveau régime seulement. Les conséquences de la cohabitation de ces textes restent à appréhender.
Marie Danis - Associé
Carine Dupeyron - Of Counsel