Article Gestion patrimoniale Droit fiscal Private Equity | 20/02/17 | 6 min. | Clara Ferrari Xavier Rohmer
La loi de finances pour 2017 (article 7) a mis en place un mécanisme anti-abus permettant à l’administration fiscale de réduire les effets du plafonnement d’ISF en cas d’interposition de holdings contrôlées par le contribuable.
Désormais, s’il est avéré que la holding a pour but principal de minorer l’ISF, l’administration fiscale pourra réintégrer dans le calcul du revenu de référence les revenus distribués à cette holding.
Retour sur les notions clefs de cette nouvelle mesure.
Quel est l’objectif de cette nouvelle mesure anti-abus ?
Un deuxième alinéa au I de l’article 885 V bis du CGI a été créé selon lequel les revenus distribués à une société passible de l'IS contrôlée par le redevable sont réintégrés dans le calcul du plafonnement, si l'existence de cette société et le choix d'y recourir ont pour objet principal d'éluder tout ou partie de l’ISF, en bénéficiant d'un avantage fiscal allant à l'encontre de l'objet ou de la finalité du plafonnement d’ISF. Cette clause anti-abus s’applique à l’ISF dû à compter de 2017.
On le rappelle, le plafonnement d’ISF permet d'éviter que le total dû au titre de l'ISF et de l’IR n'excède 75 % des revenus de l'année précédente. En cas d'excédent, celui-ci vient en diminution de l'ISF à payer.
Ainsi, l’ISF étant plafonné en fonction du revenu du contribuable concerné, la façon la plus simple d’en réduire le poids serait donc de minorer ses revenus. La technique de l’ « encapsulage » des dividendes au sein d’une société holding aboutit à ce résultat en logeant des actifs dans une société interposée qui ne distribue elle-même pas ou très peu de dividendes.
L’objectif du dispositif introduit par la loi de finances pour 2017 vise donc à déjouer ces stratégies d’optimisation de plafonnement d’ISF consistant pour un contribuable à capitaliser ses revenus de capitaux mobiliers dans une holding interposée, appelée en pratique « cash box », tout en finançant son train de vie par le recours à l’emprunt reposant sur les actifs ou les titres de cette société.
Quelles sont les conditions d’application de cette mesure anti-abus ?
L’article 885 V bis nouveau du CGI vise les revenus distribués à une société passible de l’IS contrôlée par le redevable. Or, du point de vue fiscal, les revenus distribués comprennent non seulement les dividendes mais encore toutes les appréhensions de profits sociaux qui peuvent prendre des apparences diverses.
Ainsi, conformément à l’article 109 du CGI, les revenus distribués s'entendent de (i) tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital et (ii) de toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés et non prélevées sur les bénéfices. En outre, l’article 111 du CGI précise que les revenus distribués sont notamment constitués (i) sauf preuve contraire, des sommes mises à la disposition des associés à titre d'avances, prêts ou acomptes (ii) des sommes ou valeurs attribuées aux porteurs de parts bénéficiaires ou de fondateur au titre de rachat de ces parts, (iii) des rémunérations et avantages occultes, (iv) de la fraction des rémunérations qui n’est pas déductible du résultat de la société, et (v) des dépenses somptuaires.
L’administration fiscale devra donc préciser si la mesure anti-abus est limitée ou non aux dividendes distribués à la holding. En tout état de cause, les éventuelles plus-values de cession de titres inscrits à l’actif de la holding en seraient exclues.
La notion de contrôle n'est pas précisée par le nouveau texte. Cependant, le rapport n°4125 de la commission des finances de l'Assemblée nationale renvoie à la définition de l'article L 233-3 du Code de commerce.
Quelle preuve doit apporter l’administration fiscale ?
Pour procéder à la réintégration des revenus logés dans la holding, l'administration fiscale doit établir que l'existence de la holding et le choix d'y recourir ont pour objet principal d'éluder tout ou partie de l'ISF en bénéficiant d'un avantage fiscal allant à l'encontre de l'objet ou de la finalité du plafonnement.
Il ne s’agit pas de démontrer un but exclusivement fiscal comme c’est le cas en matière d’abus de droit, mais de rechercher un but principalement fiscal, notion bien plus large qui n’est pas définie par le nouveau dispositif mais qui se glisse de manière maintenant furtive dans notre droit positif.
En pratique, pour établir cette preuve, l'administration devra analyser le train de vie du redevable et son mode de financement. Parmi les indices qui pourront être retenus par l'administration, l'exposé des motifs de ce dispositif cite le recours à l'emprunt via par exemple des lignes de crédit garanties sur des actifs imposables à l'ISF des redevables (dont les contrats d’assurance-vie) et qui ne sont remboursables qu’in fine.
Quels montants seront réintégrés dans le calcul du plafonnement?
Lorsque la stratégie abusive sera démontrée, l’administration pourra réintégrer dans le calcul du plafonnement la part des revenus distribués correspondant à une diminution artificielle des revenus pris en compte dans le calcul du plafonnement. Cette rédaction floue qui laisse une marge d'appréciation très importante à l'administration fiscale a conduit le Conseil constitutionnel à émettre une réserve d’interprétation en indiquant que la réintégration pourra être effectuée à hauteur des dépenses ou revenus du contribuable dont l'administration fiscale aura pu prouver qu'ils ont été, au cours de l'année de référence du plafonnement, assurés, directement ou indirectement, par la société de manière artificielle (décision du 29 décembre 2016 n°2016-744 DC). C’est à cette condition que le Conseil constitutionnel a validé ce texte alors qu’il avait refusé 4 ans auparavant (n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012), un projet de texte similaire concernant les contrats d’assurance-vie et certains revenus réputés réalisés, dans la mesure où il méconnaissait l’exigence de prise en compte des facultés contributives en intégrant les sommes qui ne correspondent pas à des bénéfices ou revenus que le contribuable a réalisés ou dont il a disposé au cours de la même année.
Quels moyens de défenses du contribuable concerné ?
En cas de désaccord sur les rectifications notifiées par l'administration fiscale sur le fondement de la clause anti-abus, le contribuable vérifié pourra soumettre pour avis son différend au comité de l’abus de droit fiscal. Ainsi, si l’administration ne se conforme pas à l’avis du comité, elle devra apporter la preuve du bien-fondé de la rectification.
A noter que, bien que la majoration automatique de 40 % ou 80 %, selon les cas, prévue en cas d’abus de droit ne s’appliquerait pas en l’espèce, le Gouvernement a toutefois précisé qu'il « serait logique que les rappels d'impôt effectués sur cette base se voient appliquer une majoration de 40 % pour manquement délibéré, voire de 80% pour manœuvres frauduleuses » tel que prévu par l’article 1729 du CGI au titre des pénalités d'assiette de droit commun (Rapport Sénat n° 140). Finalement, ce n’est pas de l’abus de droit, mais les conséquences seront les mêmes.
Conclusion
Les termes employés par le législateur tels que « revenus distribués », « objet principal » ou « artificielle » laissent une marge de manœuvre à l'administration fiscale de nature à craindre de nouveaux contentieux.
En outre, ce mécanisme anti-abus crée une présomption d’ « abus de plafonnement d’ISF » propre à l'utilisation d'une holding patrimoniale soumise à l’IS, qui permet à l'administration fiscale de remettre en cause des stratégies de transmission patrimoniale mises en place par un contribuable faute de distributions de dividendes jugées suffisantes par elle. Paradoxalement, la thésaurisation de revenus au sein d’un contrat d’assurance vie n’est pas visée.
Enfin, après la clause anti-abus de l’article 119 ter dans le cadre du régime société mère fille, il s’agit d’une nouvelle progression de la notion d’objectif principalement fiscal en marge de la notion d’abus de droit.
Les commentaires de l’administration fiscale, précisant les critères d'application de cette nouvelle disposition anti-abus sont donc attendus avec impatience.
Xavier Rohmer, associé
Clara Ferrari, avocat senior