Réelle lucidité ou stratégies de survie ? Quelles que soient leurs motivations, les entreprises se préoccupent de plus en plus de leur impact sociétal et ont indubitablement un rôle à jouer dans l’un des grands défis de notre siècle : la transition énergétique.
Afin d’en débattre et d’identifier comment le droit constitue un vecteur de la décarbonation[1], nous avons réuni François Graux, Secrétaire Général adjoint du groupe Engie et directeur juridique, Vincent Brenot et Astrid Mignon Colombet, tous deux avocats-associés d’August Debouzy. Nous vous livrons un aperçu de leurs éclairages sur le sujet.
Ces dernières années ont marqué un tournant dans la perception des enjeux environnementaux. Les entreprises intègrent désormais les impératifs de transition écologique et de développement durable au cœur de leur ADN, passant pour certaines d'une simple façade de greenwashing[2] ou de la peur du bâton à une véritable prise de conscience.
Pour Vincent Brenot, quatre principaux facteurs ont contribué à ce changement. En premier lieu, les entreprises ont réalisé que les ressources qui fondent leur activité ne sont pas inépuisables et que de leur préservation dépend la pérennité de leur activité. Elles ont également pris la mesure de leur image en matière environnementale et ont donc inclus cette dimension dans leur stratégie. Leur implication écologique constitue également un critère de choix pour les jeunes talents, lesquels n’hésitent pas à se détourner des entreprises éloignées de leurs valeurs. Enfin, de plus en plus de poches d’investissement (fonds verts) sont dorénavant réservées aux acteurs vertueux.
D’autres signaux forts ne manquent pas d’interpeler sur la nécessité d’opérer une transition énergétique. L’État français est en effet lui aussi rappelé à ses responsabilités comme dans l'affaire « Commune de Grande-Synthe[3] » dans laquelle il est sommé par le Conseil d'État de réduire ses émissions de gaz à effet de serre.
Bien avant que n’intervienne cette prise de conscience d’une nécessaire décarbonation, le droit a joué et joue encore un rôle incitatif déterminant via divers axes.
Il peut ainsi fixer des objectifs de développement d’énergies renouvelables accompagnés d’échéances. Sans pour autant induire une distorsion de concurrence puisque ces objectifs sont imposés à l’ensemble des opérateurs d’un même secteur.
En période de crise, le droit assure la régulation de certains secteurs. Comme celui du stockage du gaz en France, sur lequel « la réglementation a eu un impact fort en assurant l’accès aux infrastructures à tous les acteurs économiques, favorisant ainsi une saine concurrence », selon François Graux.
Des mesures spécifiques sont également mises en œuvre pour favoriser la réalisation de projets d’énergies renouvelables. Elles tendent à accélérer les processus d’instruction de permis en réduisant les délais de recours ou de jugement (cf. la procédure dite du « toboggan[4] »).
Autre levier incitatif, les certificats d’économie d’énergie, pures créations juridiques, valorisent le résultat de comportements vertueux et encouragent ainsi les entreprises à les adopter.
Le droit joue aussi un rôle de vecteur de l’information auprès des investisseurs en les orientant vers les entreprises les plus responsables sur le plan environnemental.
Les contentieux climatiques ou, plus exactement comme le rappelle Astrid Mignon Colombet, les contentieux liés au changement climatique ne concernent plus seulement les états mais aussi les entreprises. Avec, pour grande nouveauté, de retenir la responsabilité civile d’une partie non pas en sanctionnant un acte après avoir établi une faute, un dommage et un lien de causalité entre les deux, mais en appréciant sa stratégie globale à l’instar d’une politique étatique. On ne cherche pas dans ce type de contentieux à sanctionner une entreprise pour le non-respect d’une norme mais pour ne pas avoir engagé des trajectoires suffisamment précises en matière de transition énergétique.
En effet, depuis la loi relative au devoir de vigilance de mars 2017[5], les multinationales doivent publier un plan de vigilance complet des risques que leur activité fait porter aux droits humains et à l’environnement. Si elles ne se conforment pas à cette obligation ou aux engagements qu’elles y ont pris, toute personne justifiant d’un intérêt à agir peut les mettre en demeure de s’exécuter.
Or on constate qu’avec ces contentieux climatiques, le rôle du juge en la matière se transforme : il incite les parties à dialoguer et à rechercher une trajectoire de progrès.
Comment s’y prend-il ? En quoi consistent, par ailleurs, les autres contentieux environnementaux tels que les contentieux CJIP environnement et écoblanchiment ? Quel rôle les intelligences artificielles pourront-elles jouer dans l’instruction des autorisations environnementales ?
[1]Qui, pour rappel, définit l’ensemble des mesures et des techniques permettant de réduire les émissions de dioxyde de carbone. Cf. Transition écologique : une planification pour accélérer la décarbonation des sites industriels
[2]Sur ces procédés de communication et de marketing « donnant une image trompeuse d’écologisation », cf. Laure Teulières, Le greenwashing a permis de faire diversion en se satisfaisant de demi-mesures ou de fausses solutions, Le Monde, juillet 2022. (Re)Découvrez également les 7 pêchés du greenwashing selon Tom Lyon, How corporations use greenwashing to convince you they are battling climate change, The Conversation, mai 2023
[3]À l’initiative de la commune de Grande-Synthe et de plusieurs ONG, l’État français est poursuivi en justice sur la question du réchauffement climatique pour « inaction climatique ». Cf. Muryel Jacque, Climat : le Conseil d’État maintient la pression sur le gouvernement, Les Echos, mai 2023
[4]Cette procédure prévoit que lorsque la juridiction saisie dépasse un certain délai pour statuer, le dossier instruit remonte automatiquement à la juridiction supérieure.
[5]Mathilde Golla, Comment les grandes entreprises s'emparent de leur devoir de vigilance, Les Echos, mai 2023,