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En bref

Avec l’avènement du télétravail, des milliers de mètres carrés de bureaux, que le Grand Paris Express devait remplir, restent vides en petite couronne. Les investisseurs, les promoteurs et avec eux les banques cherchent à composer avec les pouvoirs publics mais peinent à trouver des solutions, augurant une crise profonde. C’est ce qu’observe Antonia Raccat, associée au sein du pôle Immobilier et Construction chez August Debouzy.

Plus de deux fois plus de bureaux qu’avant la pandémie se trouvent vides aujourd’hui en Île-de-France : 4,5 millions de mètres carrés cherchent preneurs ; des acteurs du secteur anticipent même l’offre à 10 millions d’ici trois ans. Longtemps fantasmé, le phénomène est aujourd’hui réalité du moins en périphérie de Paris. Dans le quartier central d’affaires (l’ouest et le centre de la capitale), le taux de vacance n’est, en effet, que de 2,9% au premier trimestre 2023, un taux frictionnel lié au fait qu’il y a toujours un délai entre le départ d’un ancien locataire et l’arrivée d’un nouveau. De 8% à Boulogne-Billancourt, Rueil Centre ou Saint-Cloud, il monte à 20% dans des communes telles que Colombes, Issy-les-Moulineaux ou Saint-Denis. La Défense même n’y échappe pas avec un taux mesuré à 16,2%.
Un développement du marché de l’immobilier de bureaux était attendu, notamment aux abords des futures stations du Grand Paris Express ; un certain nombre d'immeubles, parfois complètement neufs, restent pourtant vides. Et le vide attire le vide : si aucune entreprise n’est présente, cela ne donne à aucune envie à d’autres de venir car, à moins d'occuper tout l'espace, personne ne souhaite évoluer dans un immeuble déserté. Qu'une seule organisation se décide peut, au contraire, enclencher une spirale positive.

Depuis la pandémie liée au coronavirus, les quartiers d'affaires se désertifient avec le développement du télétravail. Les entreprises ont découvert plusieurs façons de travailler alors que les modèles de type flex office avaient auparavant du mal à s'installer. Elles ont remarqué par là même qu'elles disposaient de beaucoup d'espaces qui n'étaient pas indispensables et effectuent désormais des arbitrages différents. Le budget qui n'est plus dépensé en mètres carrés supplémentaires va l'être en localisation, au centre de Paris, près des hubs de transports. L’objectif est notamment d’attirer les jeunes talents qui ont envie de se déplacer à vélo ou à pied. Le même mouvement s’observe outre-Manche ou HSBC a annoncé quitter son siège de Canary Wharf pour un immeuble au centre de Londres d’une taille réduite de moitié. Le phénomène est encore plus accentué aux États-Unis ou les quartiers entiers de certaines villes New York, San Francisco et Boston par exemple, sont désertés et forment des quartiers fantômes où les bureaux sont vides et les commerces périclitent.
On pressentait qu’il y aurait une nécessaire adaptation du marché de l'immobilier de bureau notamment avec une conversion de certains espaces avec notamment plus de surfaces de coworking. Certaines entreprises avaient initié cette démarche et avaient contraint, par leurs modèles disruptifs, les investisseurs à repenser leurs actifs de bureaux de manière différente. Personne ne pouvait anticiper cependant la portée de la crise actuelle, qui est aussi une crise de dettes, et dont les portes de sortie pour l’immobilier de bureaux comme les reconversions dépendront pour une large partie des décideurs publics.

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Le mur de la dette

Ces bâtiments vides posent de vraies difficultés. Taxe foncière, assurances, entretien, gardiennage, leurs coûts de portage restent énormes. Ces problématiques ont émergé déjà l'an passé mais s’intensifient plus encore cette année avec la hausse des taux d'intérêt et l'inflation. La première a complètement impacté les volumes de transactions qui reposent, pour les acquéreurs, sur l'espoir que joue à plein un effet de levier : s'endetter doit être le gage d'une forte rentabilité future. Des taux faibles, voire négatifs le rendaient possible il y a peu de temps encore. Avec des emprunts plus coûteux et une valorisation plus incertaine des investissements qu'ils financent, le marché est entré dans une forme de paralysie.

En sus des sujets de vacance, ces bâtiments génèrent donc aussi des problèmes de dette. Les emprunts contractés précédemment pour leur réalisation arrivent pour beaucoup à maturité. Il s’agit souvent de prêts « bullet » ou « in fine », c’est-à-dire dont on ne paie que les intérêts durant la durée de l’emprunt pour les rembourser uniquement à terme. Il y a deux façons pour cela : vendre l’actif ou trouver quelqu’un pour se refinancer et contracter un nouveau prêt. La seconde option est délicate aujourd’hui en raison des taux élevés et de la frilosité des établissements bancaires à financer les opérations ; la première l’est encore plus car il n’y a pas d’acheteurs. Un mur de la dette commence ainsi à poindre à l’horizon.

Il existe en droit français un certain nombre de leviers de protection des débiteurs face à leurs banquiers, et à cet égard nous recommandons souvent ces derniers temps la conciliation, une procédure confidentielle qui permet de trouver un point d’équilibre entre les intérêts de chacun. Elle a en outre l’avantage de présenter des moyens coercitifs qu’il n’y a pas dans le mandat. Cela suppose néanmoins une viabilité financière de part et d’autre.

Ne serait-ce qu’une crise passagère ? Pourrait-on demander deux ou trois ans de plus à son banquier en espérant un retournement de conjoncture ? C’est un vrai sujet pour les investisseurs qui font face à des banques profondément inquiètes des défaillances des emprunteurs qui commencent à rendre des clefs, et pour certaines se préparent à céder de nouveaux portefeuilles de non performing loans. A cela se rajoute les récentes annonces de SCPI de premier plan en bureaux sur des baisses de la valeur de leurs titres, créant un mouvement de retrait des épargnants dont on ne mesure pas encore l’ampleur.

Pour sortir de l’impasse, reconvertir ?

Le sort de beaucoup d’immeubles est ainsi questionné. Les ébauches de solution semblent à rechercher du côté des conversions. Nous avons récemment accompagné une levée de fonds d’une entreprise spécialisée dans cette activité et tout laisse à penser qu’elle a de beaux jours devant elle. Des procédés juridiques commencent d’ailleurs à prendre en considération les potentiels changements de fonction des bâtiments pour les infrastructures neuves.

La plupart des acheteurs se placent dans cette logique de reconversion : certains ont pour ambition de racheter des bâtiments à prix extrêmement bas pour en faire autre chose. Des opportunités sont à saisir en la matière. Certains pourraient être tentés de prendre le pari de faire des acquisitions à petit prix pour raser, en se disant que le foncier, dont la rareté augmente à mesure que l’on s’approche de Paris, vaut déjà davantage que ce que l’on a investi. Cela nécessitera en tout état de cause d’obtenir des autorisations administratives pour ce faire et il sera très difficile de les obtenir.

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Pour que la stratégie de conversion soit payante, il faudrait néanmoins que le marché du résidentiel se porte mieux, ce qui est loin d’être certain. En plus de l’inflation et de la hausse des taux d’intérêt, les représentations des ménages semblent moins valoriser socialement le fait d’accéder à la pleine propriété et sont dans un mouvement de retrait face aux incertitudes de l’avenir économique. Les banques sont de plus en plus regardantes par ailleurs sur les dossiers de prêts. Les réservations dans le neuf chutent : certains promoteurs immobiliers enregistrent même plus d’annulations de réservation de logements neufs que de demandes et d’autres se retrouvent face à des difficultés telles qu’ils n’ont d’autre choix que de demander la protection des tribunaux ou procéder à des plans sociaux massifs.

Convertir demande en outre du temps, trois, quatre ans parfois, ce qui veut dire trois ou quatre ans de portage des actifs et un impact certain en termes de fonds propres.

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Qu’attendre des pouvoirs publics ?

Pareils délais ont notamment trait aux démarches administratives car transformer du bureau en logement n’est pas forcément aisé : cela suppose de modifier les plans locaux d’urbanisme, et donc d’avoir la mairie avec soi. Or, une mairie qui convertit du bureau en résidentiel perd la partie de ses revenus constitués par la taxe bureau. Celle-ci n’est plus compensée par la taxe d’habitation dont la suppression a été actée au cours du premier mandat d’Emmanuel Macron. Qui dit logement dit en outre la nécessité de procurer des infrastructures, besoins en crèches ou en écoles par exemple qu’il faudra financer.

Avec une opération qui engendre moins de revenus et plus de dépenses, peu de communes sont, par conséquent, enclines à donner leur feu vert, à moins peut-être que le promoteur ne finance lui-même ces équipements, ce qui rend l’investissement moins rentable. De 2020 à 2022, les autorisations d’urbanisme pour transformer des bureaux en autre chose ont ainsi reculé de 20% en moyenne par rapport à 2015-2019, les mises en chantier de 15%.

Faut-il alors attendre une réponse des échelons supérieurs et du gouvernement à ce sujet ? Les récentes annonces issues du Conseil national de la refondation ont largement déçu les professionnels du secteur, qu’il s’agisse des gros promoteurs ou de la Fondation Abbé Pierre. Le paradoxe est en effet qu’on traverse en parallèle une crise sociale du logement d’ampleur. Des incitations fiscales ou des dispositifs orientés vers les municipalités auraient été, pour cette raison, jugés bienvenus.

Des valorisations en trompe-l’œil ?

Que va-t-il advenir de ces immeubles donc ? On risque de voir apparaître des villes fantômes en petite couronne, à l’image de ce que l’on observe à Midtown à New York où les bureaux se sont vidés avec le télétravail, où les petits commerces ont fermés au pied des immeubles et où les investisseurs vont devoir composer avec le dilemme de convertir ou reconstruire.

Une vraie crise est à craindre, plus profonde que celle de la fin des années 2010 qui était pour beaucoup une crise de liquidités. Soit une vraie décote survient, qui amènera son lot d’investisseurs opportunistes, soit on observera des défaillances de prêts en cascade obligeant à des mises forcées sur le marché ou à des cessions de portefeuilles de non performing loans (NPL). La dette risque de précipiter la dévaluation du marché mais rien ne garantit que des acquéreurs se montreront intéressés par ces actifs dont le futur reste incertain.  

À observer ce schéma, on peut aussi se dire que les valorisations au 30 juin 2023 semblent se voiler un peu la face, actant assez peu le phénomène. Les investisseurs semblent se réfugier dans un « il n’y a pas de comparables » pour attribuer une valeur élevée aux biens qu’ils possèdent. S’il n’y a pas de comparables, c’est pourtant parce qu’il n’y a que peu de transactions, cœur du problème, les récentes transactions phares du marché du luxe (LVMH, Kering) n’étant pas représentatives du marché de bureau. Toutefois en suite de la demande de l’AMF de procéder à des valorisations à déposer au plus tard le 15 septembre, un certain nombre de SCPI ont du afficher des baisses allant de 8% à 18%, entrainant ainsi un mouvement de retrait des épargnants qui voient fondre leur patrimoine investi dans l’immobilier. Il y a fort à parier que cela n’entraine une nécessaire mise sur le marché de certains actifs des portefeuilles de SCPI et par la même une correction des prix. Mais cela est aussi générateur d’opportunités pour des fonds qui peuvent aussi regarder les immeubles et même des prises de participations dans les SCPI plus modestes ayant démontré leur résistance à la crise du bureau.