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Programme de rémunération supplémentaire porté à la connaissance du salarié : condition suffisante mais pas nécessaire pour mettre en route la prescription de l’action en rémunération supplémentaire de l’inventeur salarié

Article Droit de la propriété intellectuelle, média et art | 08/04/22 | 10 min. | Grégoire Desrousseaux Océane Millon de La Verteville Martin Brion

Propriété Intellectuelle

Cour d’appel de Paris, 5.2., 1er avril 2022, RG n° 21/09523 (disponible sur Doctrine[1]) : appel de TJ Paris, 3.2, ord. JME, 7 mai 2021, RG20/04369 (disponible ici).

Par un arrêt du 1er avril 2022, la Cour d’appel de Paris confirme l’application des règles de prescription de l’action en rémunération supplémentaire des inventeurs salariés découlant de la réforme de la prescription de 2008 : le délai de prescription triennal court à partir du moment où le salarié avait connaissance des faits lui permettant d’exercer l’action. L’arrêt infirme le jugement dont appel, qui avait considéré que la prescription ne pouvait courir avant que la salariée n’ait été informée de l’existence du programme de rémunération supplémentaire en vigueur dans l’entreprise. Ainsi l’existence d’un programme de rémunération supplémentaire et le fait qu’il ait été porté à la connaissance du salarié, constitue une condition suffisante pour que le délai de prescription commence à courir, mais ne doit pas être considérée comme une condition nécessaire. S’il existe un programme de rémunération supplémentaire, le porter à la connaissance du salarié peut faire courir la prescription. Mais, même dans le cas inverse, l’employeur peut toujours invoquer la prescription s’il rapporte la preuve par d’autres moyens que le salarié avait connaissance de son droit ou aurait dû en avoir connaissance.

L’action en rémunération supplémentaire est aujourd’hui soumise à la prescription de droit commun de l’article 2224 du Code Civil issu de la loi de 2008 portant réforme de la prescription en matière civile. Le point de départ de la prescription de cette action est donc le « jour où le titulaire [du droit à rémunération supplémentaire] a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».

Avant l’entrée en vigueur de la loi de 2008, aucune disposition légale ne fixait ce point de départ mais la jurisprudence considérait qu’il s’agissait de la date à laquelle le salarié avait connaissance des éléments nécessaires au calcul de sa rémunération supplémentaire[2]. En pratique, cela revenait à une quasi-imprescribilité de l’action comme nous l’avons relevé dans de précédents articles[3]. En effet, la preuve de la connaissance par le salarié des « éléments nécessaires » était presque impossible à rapporter pour l’employeur, d’autant plus que la détermination de quels étaient ces « éléments nécessaires » faisait elle-même débat.

Les dispositions transitoires de la loi de 2008 ont eu pour effet de prolonger l’application, au moins en partie, des principes jurisprudentiels dégagés antérieurement à cette loi[4].

Ce n’est qu’à partir de juin 2013, à l’issue de cette période transitoire, que les premières décisions constatant la prescription de l’action en rémunération supplémentaire ont été rendues.

Un mouvement jurisprudentiel s’en est suivi, initié par une décision du tribunal de grande instance de Paris du 23 mars 2018 qui retenait, d’une part qu’il n’était plus nécessaire de subordonner le point de départ à la connaissance par le salarié de tous les éléments pour déterminer le montant de la créance en rémunération supplémentaire et, d’autre part qu’en l’absence des éléments mentionnés à l’article L.611-7 du code de la propriété intellectuelle pour déterminer la rémunération supplémentaire, il convenait « d'apprécier concrètement, au regard des circonstances de l'espèce et notamment des fonctions du salarié au sein de l’entreprise ou de celles qu'il a exercées après son départ en relation ou non avec l'invention dont il se prévaut ou encore de l'accessibilité parce dernier à des informations nécessaires à l'exercice de son action en paiement, la date à laquelle il a eu ou aurait dû avoir connaissance de ces éléments » [5].

Le tribunal[6] retenait donc une appréciation in concreto des éléments permettant de démonter la connaissance par le salarié des faits lui permettant d'exercer son droit[7].

Néanmoins, on pouvait considérer que le meilleur moyen pour démontrer que la condition de connaissance (ou présomption de connaissance) requise par l’article 2224 du code civil, était de démontrer (i) l’existence d’un programme de rémunération supplémentaire dans l’entreprise et (ii) que ce programme avait été porté à la connaissance du salarié.

La Commission nationale des inventions de salariés (CNIS) nous semble aussi attacher une importance au fait qu’il existe un programme de rémunération supplémentaire – et que ce programme soit porté à la connaissance des salariés.

L’arrêt présentement commenté est, à notre connaissance, la première décision rendue en appel sur la question de l’application des dispositions de l’article 2224 du code civil à la rémunération supplémentaire des inventeurs salariés.

En l’espèce, le juge de la mise en état (« JME ») avait considéré que :

- pour des inventions exploitées : le délai de prescription avait commencé à courir à compter de la participation de la salariée à des négociations relatives à une licence sur les inventions en cause ;
 
- pour des inventions non-exploitées : le délai de prescription n’avait commencé à courir qu’à compter de l’entrée en vigueur du programme de rémunération supplémentaire (le « dispositif IRIS »)[8].

ne peut être suivi lorsqu’il retient qu’avant la diffusion auprès de la salariée du dispositif IRIS, le 21 janvier 2016, celle-ci n’était pas informé de son droit à rémunération complémentaire alors que l’article L.611-7 du code de la propriété intellectuelle avait vocation à s’appliquer aux inventions de mission et que Mme X avait bénéficié de paiements à ce titre ».Par son arrêt du 1er avril 2022, la Cour d’appel de Paris sanctionne le JME sur le deuxième point en considérant qu’il « 


La Cour semble ainsi considérer que l’existence d’un programme de rémunération supplémentaire et le fait qu’il ait été porté à la connaissance du salarié, constitue une condition suffisante pour que le délai de prescription commence à courir, mais ne doit pas être considérée comme une condition nécessaire.

Autrement dit, s’il existe un programme de rémunération supplémentaire qui a été porté à la connaissance du salarié, la prescription a bien sûr commencé à courir, mais, s’il n’en existe pas, l’employeur peut tout de même soulever la prescription s’il rapporte la preuve par d’autres moyens que le salarié avait connaissance de son droit ou aurait dû en avoir connaissance.

Cet arrêt invite donc le juge de la prescription à rechercher, en l’absence de programme de rémunération supplémentaire, si le salarié avait été mis en connaissance de son droit par d’autres moyens.

En l’espèce, c’est notamment parce qu’elle avait reçu, avant la mise en œuvre du programme IRIS, des primes pour l’une des inventions exploitées, que la salariée avait connu son droit à rémunération supplémentaire.

Cette appréciation in concreto des éléments dont avait connaissance le salarié, était bien celle préconisée dans le jugement du 23 mars 2018 précité. Dans cette affaire, le tribunal avait en effet considéré que la prescription avait commencé à courir, non pas du fait de l’existence d’un programme de rémunération supplémentaire, mais du fait de la connaissance par le salarié d’éléments relatif à l’exploitation de l’invention.

En pratique, nous restons persuadés qu’invoquer la prescription est plus simple (i) lorsqu’il existe un programme de rémunération supplémentaire et (ii) qu’il est possible de prouver que ce programme a été porté à la connaissance du salarié. La cour d’appel rappelle, avec raison, qu’écarter la prescription en l’absence d’un tel programme est contra legem : il convient d’examiner si le salarié, pour d’autres raisons, avait connaissance des faits permettant d’exercer l’action. 

 

[2] Voir notamment Cass. Com., 22 février 2005, n° 03-11027

[3] Voir notre article : M. Brion, G. Desrousseaux, « Rémunération supplémentaires pour les inventions de missions – les effets de la réforme de la prescription de 2008 », Propriété Intellectuelles, juill. 2020, n°76, p. 45 ; voir aussi le Webinar du 19 juin 2020 « Atelier 4 - Inventions de salariés, partage d'expériences » disponible sur notre chaîne Youtube : https://www.youtube.com/user/AugustDebouzy/videos

[4] Voir notamment Cass. Com., 12 juin 2012, n° 11‐21990

[6] Nous parlons uniquement du tribunal ici car les décisions en cause n’ont pas fait l’objet de décisions d’appel

[7] Voir notamment TJ paris, 3.2., ord. JME, 25 juin 2021, RG19/08281 commenté dans notre flash disponible sur ce lien : https://www.august-debouzy.com/fr/blog/1711-prescription-de-la-remuneration-supplementaire-la-tendance-jurisprudentielle-se-confirme-encore#_ftn10 ; TGI Paris, 3.1, 5 déc. 2019, N° RG 16/16036, commentée dans notre flash disponible sur ce lien : https://www.august-debouzy.com/fr/blog/1400-prescription-de-la-remuneration-supplementaire-la-tendance-jurisprudentielle-se-confirme ; voir également TGI Paris, 3.4, 2 mai 2019, RG 17/07995 et TGI Paris, 22 nov. 2019, RG 16/11325, commentées dans l’article Propriété Intellectuelles précité

[8] TJ Paris, 3.2, ord. JME, 7 mai 2021, RG20/04369

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