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Note sur la Directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité des entreprises

Article Droit européen | 25/07/22 | 12 min. | Marc Mossé Pierre Sellal

La directive dite « CRSD », relative à la publication d’informations en matière de durabilité des entreprises fera l’objet dans les prochaines semaines d’une adoption définitive, après l’accord réalisé sur sa substance entre les deux branches de l’autorité législative, le Parlement européen et le Conseil, au cours du mois de juin. S’agissant de ce dernier, le Comité des représentants permanents a déjà approuvé le texte le 29 juin dernier. Le vote final du Parlement est attendu pour l’automne 2022.

Techniquement et juridiquement, cette nouvelle directive modifie et complète le droit européen aujourd’hui en vigueur en matière d’informations non financières dont la publication s’impose aux entreprises, en particulier la directive 2014/95/UE (dite directive relative aux informations non financières) qu’elle est appelée à remplacer.

Sur un plan politique, la nouvelle législation est inspirée par la volonté, qui s’est renforcée au cours des dernières années, d’inviter les entreprises à « jouer tout leur rôle dans la société », selon les termes du communiqué du Conseil accompagnant la décision de celui-ci. L’objectif poursuivi est d’obtenir des entreprises la publication d’informations à la fois plus détaillées et correspondant à un périmètre plus étendu autour des questions dites de durabilité, comme les droits environnementaux, les droits sociaux, les droits de l’homme et les facteurs de gouvernance.

A ce titre, la nouvelle directive s’inscrit dans un mouvement règlementaire plus large au niveau européen et multilatéral, dont la proposition de directive relative au devoir de vigilance, en cours de discussion, ou le règlement relatif à la Taxonomie de l’UE (acte délégué relatif aux objectifs climatiques visant à accélérer la décarbonation) constituent des composantes supplémentaires.

La présente note résume les principales novations introduites par ce texte et souligne les points de vigilance qui paraissent s’imposer dans la période à venir.

 

1. Le périmètre des entreprises appelées à publier les informations requises est considérablement élargi par rapport au droit actuel.


L’extension du périmètre des entreprises couvert par la directive relative aux informations non financières constituait une demande forte du Parlement européen et d’autres parties prenantes.
 

• La nouvelle directive s’appliquera à toutes les « grandes entreprises », qui dépassent deux des trois seuils suivants : total de bilan supérieur à 20 000 000 euros, un chiffre d’affaires net supérieur à 40 000 000 euros et un nombre de salariés moyen supérieur à 250 ;

• Les petites et moyennes entreprises cotées sont également concernées en suivant des normes de publication proportionnées à leur secteur, à leur taille et à leurs ressources. Ces dernières pourront toutefois bénéficier d’une dérogation temporaire pendant une période transitoire prenant fin en 2028 et uniquement si elles en font la demande, selon une procédure d’opt out. Les PME non cotées pourront décider sur une base de volontariat de respecter ces nouvelles obligations.


Selon l’estimation de la Commission, le nombre d’entreprises européennes concernées par les nouvelles dispositions devait être de l’ordre de 50 000, contre 11 000 à l’heure actuelle.

Les entreprises non européennes seront elles aussi soumises aux obligations de la directive, dès lors que leur chiffre d’affaires dans l’UE est supérieur à 150 millions d’euros et qu’elles ont au moins une filiale ou succursale au sein de l’UE.

 

2. Les informations dont la publication est requise couvrent un champ sensiblement plus étendu.


Le concept de durabilité est entendu par la directive comme comprenant les aspects « environnementaux, sociaux, de droits de l’homme et de gouvernance ». L’approche retenue est celle du principe dit de « double matérialité », à savoir l’obligation pour les entreprises de rendre compte à la fois des incidences de leur activité sur les questions de durabilité, et de l’impact de ces dernières sur leur propre situation.

(i) S’agissant des aspects environnementaux, l’entreprise devra publier les plans d’actions, y compris sur le plan financier et des investissements, illustrant la prise en compte, dans son modèle économique et sa stratégie, des objectifs de l’accord de Paris sur le climat et de la neutralité carbone à atteindre en 2050. Ces plans d’action devront comporter un calendrier concernant les émissions de gaz à effet de serre aux échéances 2030 et 2050.

En outre, l’entreprise sera tenue de publier des informations relatives à l’impact de ses activités et aux mesures qu’elle met en œuvre en matière de gestion des ressources en eau, des ressources marines, d’économie circulaire, de prévention des pollutions, de préservation de la biodiversité et des écosystèmes.

(ii) S’agissant des informations relatives aux facteurs sociaux et liés aux droits de l’homme, la directive inclue en particulier dans le champ des informations à publier :

• l’égalité des chances, l’égalité entre les hommes et les femmes, la formation, l’emploi des personnes handicapées ;

• les conditions de travail, le dialogue social, la négociation collective, l’environnement du travail, les conditions d’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle ;

• le respect des droits de l’homme, des libertés fondamentales, des principes et normes établis dans les chartes et les « conventions fondamentales » des Nations-Unies, de l’OIT et la charte des droits fondamentaux de l’UE.

(iii) En matière de gouvernance, les informations dont la publication est requise portent notamment sur :

• le rôle des instances de direction en ce qui concerne les questions de durabilité, et leur « expertise et compétences » dans ces domaines ;

• l’existence de plan d’incitation dans le cadre de la rémunération des employés et notamment des cadres dirigeants en lien avec l’objectif de durabilité ;

• l’éthique des affaires et la culture d’entreprise, y compris la lutte contre la corruption ;

• les activités d’influence politique et de lobbying ;

• la qualité des relations avec les clients, les fournisseurs et les communautés concernées par les activités de l’entreprise.

 

3. Des obligations nouvelles sont destinées à assurer la qualité du reporting par les entreprises.


D’abord, la directive dispose que les informations devront être clairement identifiables et figurer dans le rapport dans une section dédiée facilement accessible.

Ensuite, la directive introduit, pour la première fois à l’échelle de l’UE, une obligation d’assurance et d’audit en matière d’information relative à la durabilité. Cette obligation sera mise en œuvre de manière progressive, l’objectif poursuivi étant d’atteindre à terme un niveau équivalent de garantie pour les informations financières et les informations relatives à la durabilité.

Les rapports publiés devront être certifiés par un auditeur ou un certificateur indépendant accrédité. Ceux-ci auront la responsabilité de garantir la conformité des informations publiées relative à la durabilité aux normes de certification adoptés par l’UE.

 

4. La directive organise un important travail de normalisation destiné à assurer une mise en œuvre cohérente des obligations qu’elle comporte.


La directive renvoie à des actes délégués ultérieurs la définition de « normes d’information en matière de durabilité ». Celles-ci préciseront les « informations prospectives et rétrospectives », qualitatives et quantitatives que les entreprises devront publier, tout en tenant compte des difficultés quelles peuvent rencontrer pour recueillir des informations auprès des acteurs de leur chaine de valeur. Sur ce dernier point, un délai complémentaire sera accordé aux entreprises en cas de non-disponibilité des informations relatives aux entités de leur chaine de valeur.

Dans l’élaboration de ses actes délégués, la Commission est invitée à tenir compte des travaux existant au niveau mondial sur les sujets concernés[1], notamment en matière de comptabilisation du capital naturel et des gaz à effet de serre. Elle devra en outre veiller à la cohérence entre ces normes et les règles ou critères définis par les autres réglementations européennes en matière financière ou environnementale, notamment le règlement « Taxonomie » et ses actes délégués. La Commission devra, au moins tous les 3 ans, évaluer et réviser le cas échéant lesdits actes délégués.

La Commission est invitée à s’appuyer dans son travail sur l’expertise du groupe consultatif pour l’information financière en Europe (EFRAG). Elle consultera également au moins une fois par an le Parlement européen, le groupe d’experts des Etats membres sur la finance durable et le comité de réglementation comptable, ainsi que les institutions (notamment la BCE) et les agences compétentes de l’UE (notamment l’agence des droits fondamentaux et l’agence pour l’environnement).[2]

Ces normes relatives aux informations à publier constitueront des références importantes dans le cadre de l’appréciation de conformité et des procédures de certification.

 

5. La directive prévoit une mise en œuvre progressive et différenciée de ses obligations.


Une fois définitivement adoptée et publiée au Journal Officiel de l’Union européenne (d’ici quelques semaines), la directive, qui entrera en vigueur 20 jours après la date de sa publication, prévoit une mise en œuvre en trois étapes :

• le 1erjanvier 2024 pour les entreprises déjà soumises à la directive sur la publication d'informations non financières ;

• le 1erjanvier 2025 pour les grandes entreprises non soumises aujourd'hui à la directive sur la publication d'informations non financières ;

• le 1erjanvier 2026 pour les PME cotées, ainsi que pour les établissements de crédit de petite taille et non complexes, et pour les entreprises captives d'assurance.

Par ailleurs, les Etats membres disposeront d’un délai de 18 mois à compter de l’entrée ne vigueur de la directive pour assurer sa transposition en droit interne. Pour la France, cette transposition impliquera des modifications et des compléments aux dispositions actuelles du code du commerce (notamment l’article L.225-102-1 du code du commerce relatif à la déclaration de performance extra-financière, dans une nécessaire perspective de cohérence avec l’article L.225-102-4 du code de commerce relatif au devoir de vigilance).
 

6. A court terme, dès l’entrée en vigueur de la directive, il y aura lieu d’être attentif à une série de recommandations.


• Identifier rapidement, à la lumière des obligations de la directive d’une part, de la pratique et des informations aujourd’hui rassemblées par l’entreprise d’une part, les domaines et sujets pour lesquels il est nécessaire ou très souhaitables de disposer de précisions et de délimitations supplémentaires au sujet des informations à publier.

•  Etablir, pour chaque entreprise concernée, un état de disponibilité des données ayant vocation le moment venu à figurer dans les rapports exigés d’elle, afin d’apprécier aussi précocement que possible les domaines dans lesquelles des lacunes ou des difficultés spécifiques pourraient apparaitre. Une telle démarche est d’autant plus recommandable que la directive, en plusieurs endroits, évoque la possibilité de prendre en compte certaines « spécificités » liées notamment à la nature des activités de l’entreprise.

• Réaliser un « stress-test » des pratiques existantes de l’entreprise au regard des nouvelles obligations introduites par la directive, afin le cas échéant d’éclairer par des suggestions concrètes l’élaboration des actes délégués et la transposition de la directive.

•  Se préparer à effectuer ensuite les démarches appropriées auprès de la Commission d’une part, responsable de la préparation des actes délégués ; des autorités nationales d’autre part, notamment au titre du rôle consultatif de l’EFRAG. Il sera également utile d’entretenir des contacts de travail avec le Parlement européen qui sera consulté chaque année sur les normes d’information.

• Anticiper les évolutions organisationnelles internes à l’entreprise nécessaires. A cet égard, notamment, il convient d’envisager des actions de formations spécifiques tenant compte de ce nouveau cadre juridique, y compris pour les membres des organes de gouvernance.

• Evaluer et, le cas échéant, adapter les conditions de consultation des partenaires sociaux et du comité social et économique sur les informations de reporting extra-financier.

• Plaider, vis-à-vis de l’ensemble des acteurs institutionnels concernés, pour des raisons de sécurité juridique et de praticabilité, pour la plus grande cohérence entre les divers instruments juridiques européens applicables aux entreprises. Cette exigence concerne en particulier la proposition de directive relative au devoir de vigilance, en cours de discussion.

• Veiller aux évolutions du cadre international, au niveau multilatéral ou à celui des principaux acteurs non européens, afin de ne pas exposer les entreprises européennes à des exigences contradictoires ou incohérentes, et en ayant le souci d’un level playing field.

 

[1] Sont en particulier visées les normes établies par l’International Sustainability Standards Board (ISBB).

[2] On rappellera qu’un acte délégué est adopté par la Commission, mais n’entre en vigueur que si le Parlement européen ou le Conseil n’a pas exprimé d’objection dans un délai de deux mois à compter de la notification de cet acte.

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