
Article IT et données personnelles Droit de la concurrence, consommation et distribution Contrats commerciaux et internationaux Droit de la propriété intellectuelle, média et art | 16/11/11 | 5 min. | Mahasti Razavi Alexandra Berg-Moussa
A l’occasion de deux affaires ayant donné lieu à des arrêts en date du 18 octobre 2011, la chambre commerciale de la Cour de cassation a eu une nouvelle fois l’occasion d’analyser l’action du ministre de l’économie prévue à l’article L. 442-6, III du code de commerce.
Pour mémoire, les dispositions de l’article L. 442-6, I et II du code de commerce listent des pratiques abusives susceptibles d’être sanctionnées notamment par la cessation des pratiques concernées, la nullité des clauses et contrats en cause, la répétition de l’indu, une amende civile, des dommages et intérêts. L’article L. 442-6, III du code de commerce inclut un dispositif spécifique permettant notamment au ministre chargé de l’économie de prendre l’initiative d’intenter une action contre l’auteur de ces pratiques afin de les faire constater et sanctionner.
Dans la première espèce (Com. 18 octobre 2011, n°10-28.005), la Cour de cassation revient sur la nature de l’action du ministre. On se souvient que le caractère autonome de cette action, auquel la Cour de cassation se réfère une nouvelle fois dans l’arrêt du 18 octobre 2011, avait déjà été affirmé (Com, 8 juillet 2008 (2 arrêts, Le Galec et ITM)) : « (…) l’action du ministre (…) est une action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence qui n’est pas soumise au consentement ou à la présence des fournisseurs ». On se souvient également que faisant suite à une question prioritaire de constitutionnalité soulevée par certains acteurs de la grande distribution (dont Le Galec), le Conseil Constitutionnel avait jugé que l’action du ministre était conforme à la Constitution sous réserve cependant que les parties aux contrats (et notamment le fournisseur lésé) soient informées de l’introduction d’une telle action par le ministre (Cons. Const. 13 mai 2011, Décision 2011-126 QPC).
Cette fois, c’est la question du tribunal territorialement compétent qui était posée. En d’autres termes, le ministre est-il libre de choisir le lieu où introduire son action ? En l’espèce, le ministre avait intenté une action contre Le Galec devant le tribunal de commerce de Rennes afin de voir sanctionner ce distributeur à la suite de pratiques abusives en matière de délais de paiement contre deux fournisseurs situés dans le ressort de ce tribunal. Le Galec considérait que le tribunal de commerce de Rennes n’était pas compétent et que le ministre aurait dû saisir les juridictions du siège de Le Galec, défenderesse. Cet argument a été écarté par la Cour d’appel de Rennes, qui a reconnu la compétence du tribunal saisi (CA Rennes, 15 octobre 2010, 1ère Ch. E). Dans son pourvoi, Le Galec soulève le fait que l’action du ministre n’étant de nature ni délictuelle ni quasi-délictuelle, les dispositions de l’article 46 du code de procédure civile qui permettent au demandeur de saisir la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi n’était pas applicable à une telle action. L’argument de Le Galec est rejeté et la Cour de cassation soutient le raisonnement de la Cour d’appel selon lequel : « (…) si les pratiques restrictives de concurrence sont généralement constatées à l’occasion de relations commerciales fondées sur un contrat, c’est, au travers de l’exécution du contrat, le comportement d’un opérateur économique ayant une pratique injustifiée au regard du jeu normal de la concurrence qui est sanctionné par l’action ouverte par l’article L. 442-6 du code de commerce, l’arrêt retient que l’action autonome du ministre aux fins de cessation de ces pratiques et aux fins d’annulation des contrats qui en sont le support revêt la nature d’une action en responsabilité quasi-délictuelle ; que la cour d’appel en a exactement déduit qu’il peut former sa demande, à son choix, devant la juridiction du lieu du défendeur, celle du lieu du fait dommageable ou celle du lieu dans le ressort de laquelle le dommage a été subi (…)». Le ministre a donc le choix du lieu, et gageons qu’il saisira de préférence les juridictions situées dans le ressort dans lequel est située l’entreprise victime de la pratique abusive concernée.
Dans la deuxième espèce (Com. 18 octobre 2011, n°10-15.296), la Cour de cassation s’est penchée plus particulièrement sur l’action du ministre en répétition de l’indu. A l’occasion d’un contrôle DRCCRF, il fut découvert que certains distributeurs s’étaient vus mettre à disposition – gratuitement - de la part d’un fournisseur, des intérimaires chargés de procéder à l’inventaire des marchandises vendues par ce même fournisseur. Le ministre intenta en conséquence contre les distributeurs concernés une action en paiement d’une amende civile et en répétition de l’indu, sur le fondement de l’article L. 442-6-I, 1° du code de commerce au terme duquel « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait (…) d'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu.(…) ». La Cour d’appel de Douai (CA Douai, 17 décembre 2009, 2ème Ch., 1ère section), bien que reconnaissant que la pratique mise en œuvre par les distributeurs constituait pour ces derniers l’obtention d’un avantage sans contrepartie pour le fournisseur, débouta le ministre de sa demande en répétition de l’indu, au motif que l’avantage ne s’étant concrétisé par aucun mouvement de fonds en faveur des distributeurs, il ne pouvait pas y avoir de répétition de l’indu. En d’autres termes, selon la Cour d’appel de Douai qui se fonde sur les termes de l’article 1376 du code civil (« Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s'oblige à le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu ») : point de répétition de l’indu sans paiement préalable d’un indu.
Cet argument est écarté par la Cour de cassation qui casse l’arrêt de la Cour d’appel de Douai en ce qu’il déboute le ministre de son action en répétition de l’indu. Pour la Cour de cassation l’action du ministre en répétition exercée sur le fondement des articles L. 442-6.I, 1° et L. 442-6, III du code de commerce « suppose seulement la constatation d’un avantage indu reçu par le distributeur du fournisseur ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu par le distributeur au fournisseur ou manifestement disproportionné au regard du service rendu ». L’absence de mouvement de fonds est donc sans conséquence et permet quand même l’action du ministre en répétition de l’indu./.
Mahasti Razavi - Associée
Alexandra Berg-Moussa - Counsel