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Intérêt à agir contre un permis de construire : le conseil d'État durcit la jurisprudence

Article Immobilier et Construction Droit de l’environnement Droit public et commande publique Droit européen | 16/02/16 | 5 min. | Vincent Brenot Emmanuelle Mignon

Par une décision du 10 février 2016(1), le Conseil d’Etat poursuit la redéfinition de l’intérêt à agir contre un permis de construire en jugeant que les critères de co-visibilité et de mitoyenneté ne suffisent plus, en eux-mêmes, à conférer intérêt à agir au requérant voisin.

L’introduction d’une définition légale de l’intérêt à agir : une portée incertaine et controversée

L’intérêt à agir contre un permis de construire fait l’objet d’une définition légale depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme, qui a inséré un article L. 600-1-2 dans le code de l’urbanisme aux termes duquel :

« Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager que si la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation ».

La formulation choisie pour la définition légale de l’intérêt à agir étant assez proche de celle qu’en donnait la jurisprudence, de nombreux commentateurs se sont interrogés sur l’interprétation qu’en donneraient les juges.

En d’autres termes : l’introduction d’une définition légale de l’intérêt à agir dans le code de l’urbanisme allait-elle avoir pour effet de restreindre l’intérêt à agir contre un permis de construire ou agirait-elle plutôt comme une simple « codification à droit constant » ?

Les premières décisions des juges du fond laissèrent penser que la révolution tant attendue n’aurait pas lieu.

En effet, certains tribunaux administratifs et cours administratives d’appel continuèrent de juger que les simples critères de proximité immédiate ou de co-visibilité suffisent à conférer un intérêt à agir(2).

L’interprétation de la définition légale de l’intérêt à agir par le Conseil d’Etat : la fin certaine de la présomption d’intérêt à agir pour le voisin

Statuant pour la première fois sur la recevabilité d'une requête au regard de la nouvelle définition de l'intérêt à agir contre les permis de construire donnée par l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme, le Conseil d’Etat a posé une première limite à ce courant jurisprudentiel en jugeant que la circonstance que l’habitation du requérant était située à 700 mètres de la construction autorisée et que celle-ci était susceptible d’être visible depuis cette habitation n’était pas de nature à lui conférer par principe un intérêt à agir(3).

A cette occasion, la Haute juridiction a donné le « mode d’emploi » de l’article L. 600-1-2 en relevant que :

« Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien ; qu'il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité ; qu'il appartient ensuite au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci ».

La justification de l'intérêt pour agir suppose donc que le requérant démontre, tout d’abord, de manière circonstanciée, l’atteinte alléguée. Il appartient ensuite au défendeur de contester cet intérêt en apportant tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge forme ensuite sa conviction au vu des éléments figurant dans le dossier sans faire peser, en cas de doute, la charge de la preuve sur le requérant conformément aux principes les mieux établis du contentieux de l’excès de pouvoir selon lesquels il n’existe pas, en principe, dans ce contentieux, de règles de charge de la preuve. Pour dire les choses autrement, le doute ne joue pas en principe contre le requérant qui agit contre le permis de construire, pour autant que ce dernier ait pris soin d’apporter des éléments étayés au juge pour préciser son intérêt à agir.

Dans la décision du 10 février 2016, le Conseil d’Etat, rompant avec son ancienne ligne jurisprudentielle(4), confirme que la qualité de voisin immédiat (parcelle mitoyenne pour l’un des requérants, co-visibilité pour l’autre) d’un immeuble de deux étages comportant 18 logements ne suffit plus à créer une présomption d’intérêt à agir contre un permis de construire.

Soulignons qu’en l’espèce, les requérants avaient été invités par les juges du fond à apporter les précisions nécessaires à l’appréciation de l’atteinte directe portée par le projet litigieux aux conditions d’occupation ou de jouissance de leur bien. Mais le Conseil d’Etat a considéré que le fait de produire un plan de situation sommaire des parcelles assorti de la mention « façade sud fortement vitrée qui créera des vues » ne suffisait pas à étayer cette atteinte directe. Il s’agit à n’en point douter d’une solution sévère.

Les conséquences pour les requérants potentiels

Les compléments apportés par le Conseil d’Etat sur l’interprétation de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme doivent inciter les requérants à démontrer de manière particulièrement circonstanciée l’atteinte alléguée.

Une telle solution pourrait avoir pour conséquence de les obliger à faire appel à des professionnels (architectes, experts acousticiens ou spécialistes de l’immobilier) pour démontrer l’atteinte directe aux conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de leur bien, qui serait susceptible de résulter de la construction projetée. Une telle démonstration pourrait s’avérer non seulement coûteuse, mais aussi particulièrement ardue à réaliser s’agissant d’un projet, qui par définition, ne créée encore aucun effet.

Ajoutons que, comme c’était le cas dans la décision ici commentée, un juge unique du fond peut rejeter par ordonnance un recours introduit contre un permis de construire par un requérant trop peu prolixe dans la démonstration de son intérêt à agir. C’est dire si le plus grand soin devra désormais être apporté, lors de la formulation des recours, à la démonstration des atteintes portées aux biens des requérants par les projets contestés.

  1. (1) CE 10 février 2016 n°387507, P. c/ Commune de Marseille à mentionner aux Tables du recueil Lebon.
  2. (2) Voir par exemple CAA Lyon 5 novembre 2013, n°13LY01020 ou CAA Nantes 1er juin 2015, n°14NT02030.
  3. (3) CE 15 juin 2015 n°386121, B. c/ Société Eleclink publié au recueil.
  4. (4) CE 25 novembre 1998 n°162926, et n°163037 Mme Chèze et commune de Bièvres au recueil.
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