Article Private Equity Corporate - M&A | 23/03/20 | 9 min. | Jérôme Brosset Virginie Desbois
Face à la situation exceptionnelle auquel notre pays fait face et ayant un impact significatif dans tous les domaines, en ce compris l’organisation des assemblées générales annuelles à venir des sociétés françaises, la loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, adoptée définitivement le 22 mars 2020, habilite le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnances toute mesure :
- « Simplifiant et adaptant les conditions dans lesquelles les assemblées et les organes dirigeants collégiaux des personnes morales de droit privé et autres entités se réunissent et délibèrent, ainsi que les règles relatives aux assemblées générales »
- « Simplifiant, précisant et adaptant les règles relatives à l’établissement, l’arrêté, l’audit, la revue, l’approbation et la publication des comptes et des autres documents que les personnes morales de droit privé et autres entités sont tenues de déposer ou de publier, notamment celles relatives aux délais, ainsi que d’adapter les règles relatives à l’affectation des bénéfices et au paiement des dividendes »
Si le délai d’adoption des ordonnances susvisées est de 3 mois, nul doute qu’elles seront publiées très rapidement, l’ensemble des sociétés françaises clôturant leurs comptes en fin d’année civile entrant en pleine période d’approbation des comptes et, concernant les sociétés cotées, certaines d’entre elles ayant déjà tenu leur assemblée annuelle[1] ou publié leur avis de convocation. Selon nos informations, le projet d’ordonnance relatif aux tenues des assemblées générales et organes sociaux devrait être adopté vers la fin de la semaine, mais cette échéance reste incertaine. S’agissant des sociétés cotées, les modalités de tenue des assemblées générales devraient également faire l’objet de précisions dans une fiche pratique et/ou des Q&A de l’Autorité des marchés financiers (l’AMF). Par ailleurs, une autre ordonnance est en préparation sur l'approbation et la publication des comptes et des autres documents et informations que les personnes morale et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé sont tenues de déposer ou publier dans le contexte de l’épidémie de covid-19.
A ce titre, le projet d’ordonnance susvisé traitant des modalités de délibérations des assemblées, des conseils d’administration et des conseils de surveillance, encore susceptible de modifications et d’ajustements, prévoit des mesures visant à adapter les modalités de délibération des assemblées et des conseils d’administration et de surveillance des sociétés de toute forme sociale, (en ce compris les coopératives, mutuelles et unions et fédérations de mutuelles[2]) et groupements d’intérêt économique, afin de leur permettre d’assurer la continuité de leur fonctionnement et de leur activité pour, dans la mesure de possible, ne pas avoir à reporter leur assemblée annuelle.
En effet, il est souligné que le report pourrait avoir des conséquences significatives sur ces entités et leurs actionnaires ou associés (notamment en cas de report des dates de détachement et de paiement des dividendes ou de certaines opérations financières, dont certaines pourraient s’avérer urgentes dans le contexte actuel) et, dans le cas des sociétés cotées, les marchés financiers.
En l’état du projet d’ordonnance susvisé, ces mesures concernent principalement :
- La possibilité de tenir les assemblées hors « la présence physique » des associés, actionnaires ou membres, sur décision (s’agissant des sociétés) de l’organe collégial de direction ou du gérant. Pour autant, les actionnaires, associés ou membres continueront de pouvoir exercer leurs autres droits dans les conditions applicables pour chaque forme sociale (en particulier ceux de poser des questions ou de proposer l’inscription d’amendements ou de résolutions nouvelles). Les praticiens font cependant remarquer que les sociétés cotées, amenées ainsi à encourager l’exercice par leurs actionnaires de leur droit de vote par le recours au vote électronique à distance ou au vote par procuration, ne peuvent pas organiser un débat en temps réel, faute de pouvoir aujourd’hui vérifier la qualité d’actionnaire de celui qui se connecterait en séance. Dès lors, des réflexions sont en cours quant à la nécessité d’un aménagement de ces autres droits en l’absence de débat en séance.
- L’extension à toutes les formes sociales – sans nécessité de clause statutaire et y compris pour l’assemblée annuelle d’approbation des comptes – de la possibilité d’assister à l’assemblée par visioconférence ou par des moyens de télécommunication permettant de garantir l’identification et la participation effective, transmettant au moins la voix des participants et satisfaisant à des caractéristiques techniques permettant la retransmission continue et simultanée des délibérations. En pratique, ce procédé pourra être utilisé par les sociétés disposant des moyens techniques leur permettant d’organiser la tenue d’assemblées dématérialisées répondant aux exigences susvisées[3].
- L’extension du recours à la consultation écrite pour l’adoption des décisions collectives en société civile, société en nom collectif, société en commandite simple et société à responsabilité limitée (y compris, pour cette dernière, s’agissant de l’approbation des comptes, la signature d’un acte sous seing privé étant également possible).
- L’extension, pour les conseils d’administration et de surveillance des sociétés anonymes, aux décisions relatives à l’arrêté ou à l’examen des comptes annuels, de la possibilité de les adopter par des moyens de visioconférence et de télécommunication, et ce sans nécessité d’une disposition statutaire ou du règlement intérieur et nonobstant toute clause contraire. L’extension du recours à la consultation écrite pour ces décisions n’est en revanche pas prévue à ce stade.
S’agissant des sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation et qui ont déjà procédé à toute ou partie des formalités de convocation avant que l’organe de direction ne décide de recourir à une des modalités de réunion assouplies susvisées et ainsi de changer les modalités de participation à l’assemblée convoquée, un régime transitoire est organisé :
- Les actionnaires en sont informés dès que possible par voie de communiqué dont la société s’assure de la diffusion effective et intégrale, sans préjudice des formalités qui restent à accomplir à la date de cette décision.
- Il n’y pas lieu au renouvellement des formalités de convocation déjà accomplies préalablement à la décision susvisée.
- Le changement de modalités de la réunion ne constitue pas une irrégularité des règles de convocation.
- L’article R.225-85 du Code de commerce serait modifié pour permettre à un actionnaire qui aurait demandé sa carte d’admission ou une attestation de participation de voter par correspondance sous réserve que l’instruction parvienne dans les délais légaux.
Par ailleurs, compte tenu de la nécessité, d’une part, de sécuriser les réunions des assemblées, conseils d’administration et conseils de surveillance qui auront pu se tenir dans un contexte dégradé avant l’entrée en vigueur des mesures susvisées, et, d’autre part, de permettre aux sociétés de continuer de fonctionner dans des conditions de sécurité juridique satisfaisantes malgré les circonstances actuelles, il serait prévu une entrée en vigueur rétroactive de ces mesures (la date d’entrée en vigueur envisagée étant le 12 mars 2020) et une application a priori jusqu’au 31 juillet 2020.
En effet, à la suite de l’interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes (suivant l’interdiction des rassemblements de plus de 1000 personnes concernant déjà un certain nombre de sociétés cotées[4]), certaines sociétés cotées ayant une assemblée prévue en mars ou avril avaient anticipé en décidant la tenue de leurs assemblées hors la présence physique des actionnaires[5] ou en attirant l’attention de leurs actionnaires sur le fait que les modalités de participation physique à l’assemblée pourraient être amenées à évoluer[6], encourageant en tout état de cause (conformément au communiqué AMF du 6 mars dernier) le vote à distance ou par procuration (avec une retransmission de l’assemblée).
L’ensemble de ces mesures est ainsi une première réponse à la nécessité pour une majorité de sociétés françaises - cotées ou non - d’organiser la tenue de leurs assemblées annuelles malgré le contexte actuel. Dans les sociétés dotées de nombreux actionnaires, cela supposera cependant en pratique de disposer des moyens techniques permettant le vote à distance et la tenue d’assemblées dématérialisées. Les sociétés disposant d’un petit nombre d’associés pourront recourir aux modalités alternatives de réunion (consultation écrite ou à la signature d’un acte sous seing privé) ou à d’éventuelles modalités de réunions plus souples prévues par les statuts[7], dans la mesure permise par la règlementation applicable à leur forme sociale.
Le projet d’ordonnance, en l’état, n’apportant qu’une réponse imparfaite, les praticiens demandent davantage d’aménagements, notamment sur les sujets suivants : (i) modalités de réunion, composition et missions du bureau de l’assemblée, (ii) modalités de convocation des actionnaires au nominatif, des commissaires aux comptes et des représentants du CSE et de demande de communication (le recours au courrier postal n’étant pas approprié), (iii) assouplissement de certains délais, tels que le délai de 6 mois d’approbation des comptes ou le délai de 4 mois relatif à l’établissement du rapport financier annuel (pour certaines sociétés).
[1] Par exemple, assemblée générale d’Argan tenue à huis-clos le 19 mars 2020.
[2] La liste des sociétés et entités visées dans l’ordonnance finale pourrait être élargie pour prendre en compte notamment les associations, fondations, syndicats, dans la mesure où la loi vise toutes les personnes morales de droit privé et autres entités. Cette ordonnance pourrait également s’appliquer aux assemblées d’obligataires.
[3] Dans les sociétés anonymes, l’article R.225-61 du code de commerce subordonne en principe ce procédé à la mise en place d’un site dédié et auquel les actionnaires ne pourront accéder qu'après s'être identifiés au moyen d'un code fourni préalablement à la séance. Par ailleurs, la mise en place d’un vote électronique en séance suppose des précautions techniques particulières et peut ainsi s’avérer difficile, les autres modes de scrutin (en particulier vote à main levée) demeurant à notre sens possibles pour les sociétés ayant peu d’actionnaires/associés.
[4] En 2019, treize sociétés cotées de droit français avaient tenu des assemblées générales regroupant plus de mille actionnaires.
[5] Par exemple, les sociétés Vinci, Vicat et Elior.
[6] Par exemple, les sociétés LVMH et Klépierre.
[7] Par exemple dans les SAS.