Article IT et données personnelles Droit de la concurrence, consommation et distribution Contrats commerciaux et internationaux | 23/03/20 | 4 min. | Marie Danis Alexandra Berg-Moussa
Alors que le Covid-19 s’étend et que les Gouvernements prennent des mesures de plus en plus contraignantes, notamment s’agissant des frontières, il existe des interrogations quant aux conséquences prévisibles sur les contrats commerciaux d’approvisionnement et de livraison de marchandises.
En effet, la pandémie de Covid-19, par sa soudaineté et sa virulence, pourrait dans certains cas revêtir les trois critères d’un évènement de force majeure définis à l’article 1218 du code civil : extériorité, imprévisibilité et irrésistibilité. Si l’analyse des décisions antérieures rendues dans le cadre d’autres épisodes épidémiques (dengue, chikungunya, SRAS) pourrait laisser croire à un rejet de cette qualification, sa reconnaissance par les juges pourrait au contraire être facilitée par la nouveauté et l’ampleur de la crise, ainsi que des mesures de restrictions exceptionnelles (voir notre article en ce sens).
En se concentrant sur les caractéristiques des relations contractuelles entre un client et son fournisseur ou son prestataire, ce dernier (en charge des obligations d’approvisionnement et/ou de livraison) a pu voir l’application de la force majeure qu’il invoquait, écartée par le juge dès lors que des méthodes d’approvisionnement ou de livraison alternatives étaient envisageables pour poursuivre l’exécution du contrat.
De manière générale, celui qui invoque la force majeure pour justifier de son inexécution contractuelle doit pouvoir démontrer qu’il a bien accompli toutes les diligences nécessaires pour éviter la réalisation de l’évènement (CA Rouen, 2e ch., 16 septembre 2004, n° 03/01728), mais également pour en surmonter les conséquences au moment de sa survenance.
Cette dernière exigence a été posée par un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 16 mars 1999 portant sur les conséquences de la guerre du Golfe sur un contrat de commission de transport de marchandises. Dès avant l’arrivée du fret et en vue de contourner la situation de blocage des voies aériennes causée par le conflit, le commissionnaire de transport avait en l’espèce pris « toutes les mesures requises pour éviter les conséquences de cet événement sur le transport, mais sans pouvoir y parvenir en raison de l'irrésistibilité de la situation ». La Cour de cassation avait alors retenu que « même prévisible, celle-ci présentait, dès lors, les caractères de la force majeure » (Cass. com.,16 mars 1999, n° 97-11.428).
Néanmoins, l’application de la force majeure a été rejetée dans certains cas et ce, « nonobstant les diligences qu'elle [la partie invoquant la force majeure] a pu accomplir pour trouver des alternatives » aux conditions de livraison initialement fixées par le contrat et rendues impossible par la survenance de l’évènement (CA Bordeaux, 5 mai 2010, n°09/02163 : la liquidation judiciaire d’un sous-traitant n'est pas un cas de force majeure).
De même, il a pu être jugé qu’une société ne pouvait invoquer la réduction de la production de son fournisseur pour justifier la cessation de ses propres livraisons, dans la mesure où le fournisseur ne détenait aucun monopole en la matière, la société ne justifiant pas du caractère irrésistible de cette défaillance (Cass. civ. 1ère 12 juillet 2001 n° 99-18.231). Dans le même sens, il a été retenu qu’une société ne saurait se prévaloir de la force majeure pour justifier de son inexécution dès lors qu’elle avait fait « seule le choix de son fournisseur » et qu’elle n’expliquait pas « en quoi elle ne pouvait se fournir ailleurs pour exécuter la commande » (CA Aix-en-Provence, 16 mai 2011 n° 10/02823).
En outre, la partie invoquant la force majeure doit pouvoir démontrer que la difficulté ou le défaut d’approvisionnement est intervenu concomitamment à la survenance de l’évènement (CA Montpellier, 24 octobre 2017 n° 15/08203 ; CA Paris, 26 janvier 2006, n° 04/07947).
Enfin, lorsque le contrat d’approvisionnement ou de livraison aménage explicitement la notion de force majeure, le juge opère une interprétation stricte de ces clauses. Par exemple, si l’arrêt des approvisionnements en matières premières constitue un cas de force majeure en vertu du contrat, leur simple raréfaction ne permettra pas d’enclencher l’application de ses clauses (CA Versailles, 31 Mars 2011, n° 09/09728).
Dès lors, la reconnaissance de la force majeure par les juges dépend avant tout d’une appréciation au cas par cas des faits constitutifs de l’évènement susceptible d’en revêtir les critères, et de l’étude attentive de la rédaction des clauses du contrat.
Ainsi, chaque entreprise devra anticiper la conduite à adopter pour faire face aux menaces économiques induites par la fulgurance de la pandémie de Covid-19 et prévoir les mesures de précaution ou alternatives à prendre dans le but d’honorer, dans la mesure du possible, ses obligations contractuelles.