Article Droit européen | 24/03/20 | 4 min. | Pierre Sellal
1. Toute appréciation des mesures prises par l’Union européenne au regard de la crise sanitaire provoquée par le Covid-19 doit tenir compte du caractère très limité des compétences dévolues à l’Union dans le domaine de la santé par le Traité. Celles-ci ne sont significatives qu’en matière de mise sur le marché et de circulation des médicaments.
En outre, le caractère massif des soutiens à l’économie que réclame la mise à l’arrêt des économies dépasse de très loin les capacités du budget européen. Seuls les Etats membres et leurs budgets nationaux sont susceptibles de mobiliser les moyens nécessaires.
Il en résulte que l’action de l’Union européenne doit surtout viser à ne pas empêcher les Etats membres de faire, ainsi qu’à accompagner leurs actions nationales.
2. La déclaration publiée par la Commission européenne relative aux aides d’Etat illustre la première attitude. Elle ouvre la possibilité pour les Etats de déroger au régime d’interdiction des aides d’Etat défini par le traité afin de leur permettre d’apporter à leurs entreprises tout le soutien requis par les circonstances, à savoir leur apporter les liquidités nécessaires pour éviter les faillites. Cette dérogation, dont le principe est au demeurant prévu par le traité lui-même (l’article 107 TFUE pose le principe de la licéité des « aides destinées à remédier aux dommages causés par des évènements extraordinaires ») n’est assortie d’aucune limite a priori, que ce soit sur le plan des volumes d’aide mobilisés ou du point de vue des secteurs économiques concernés. Elle couvre notamment les garanties susceptibles d’être apportées aux banques pour leur permettre de poursuivre la mise à la disposition de leurs clients des liquidités.
On relèvera que les gouvernements ne sont pas dispensés d’une obligation d’information de la Commission des dispositifs d’aide mis en place. Mais celle-ci s’engage à confirmer leur approbation selon une procédure exceptionnellement diligente. De fait, après l’approbation donnée à un premier régime d’aide présenté par le Danemark, la Commission a donné son feu vert au cours des derniers jours aux régimes mis en place par l’Italie, la France et l’Allemagne. La quasi-totalité des Etats membres ont mis en place des mesures de soutien direct et d’exonération de charges.
2. C’est dans un esprit identique – ne pas empêcher les Etats membres de faire – que la Commission a annoncé (le 20 mars) la suspension de l’application des règles de discipline budgétaire, par le déclenchement de la clause dérogatoire générale inscrite dans le pacte de stabilité et de croissance depuis 2011, mais jamais mise en œuvre jusqu’ici. Cette proposition a été approuvée à l’unanimité par les Etats membres le 23 mars. La décision prise a pour conséquence d’exonérer les Etats membres de respecter les plafonds qui leur étaient imposés en matière de déficit public.
En revanche, il n’existe pas, à ce stade, de consensus européen pour mutualiser les efforts nationaux (par exemple sous la forme d’obligations européennes garanties par l’UE), ou pour mobiliser des moyens d’intervention collectifs, en particulier ceux du Mécanisme européen de stabilité créé en 2012 (et conçu pour venir en aide à des Etats membres qui éprouveraient des difficultés à accéder au marché financier).
3. Confrontée aux décisions prises par plusieurs Etats membres d’imposer des contrôles à leurs frontières voire d’interdire la circulation des personnes, la Commission a proposé, et le Conseil a décidé, la mise en place de restrictions d’accès à l’espace Schengen dans son ensemble, s’imposant à tous les voyageurs étrangers. Cette décision est applicable depuis le 16 mars, pour une première période de 30 jours. Elle n’a pas permis, cependant, de lever les mesures restrictives aux frontière intérieures prises par plusieurs Etats membres, dont la Pologne, la Hongrie, l’Autriche et de manière partielle l’Allemagne.
La difficulté principale, aujourd’hui, est de concilier les restrictions imposées à la circulation des personnes avec la continuité souhaitée des transports de marchandises, à la fois au sein du marché intérieur et dans les relations commerciales extérieures.
4. Aussi bien, à ce jour, la décision de plus grande ampleur prise par les institutions européennes est celle de la BCE qui, pour affirmer sa volonté de « soutien sans limites » à l’euro, a porté à 750 milliards d’euros son programme d’achats de titres et à ajuster sa composition en fonction des besoins des économies nationales. Ces annonces n’ont cependant pas suffi, à ce stade, à rasséréner les marchés.
5. On signalera enfin, s’agissant des enjeux de la continuité du fonctionnement des institutions et de leurs procédures, que le Conseil est laborieusement parvenu, le 23 mars, à définir un régime permettant la prise de décisions juridiques à l’issue d’une délibération acquise en vidéoconférence (par le lancement consécutif d’une procédure écrite). De même le Parlement a introduit une procédure de vote à distance pour les parlementaires.
Ni le Conseil, ni le Parlement européen ne devraient tenir de sessions « physiques »au cours du mois d’avril.