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Covid-19 - Facilitation de la tenue des réunions des organes collectifs des entités : mesures adoptées et difficultés pratiques

Article Private Equity Corporate - M&A | 02/04/20 | 14 min. | Jérôme Brosset Virginie Desbois

Sciences de la vie & Santé

Dans le prolongement de notre précédent article, consécutivement à la publication de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, deux ordonnances en date du 25 mars 2020 intéressant le fonctionnement des groupements ont été publiées : (i) l’ordonnance n°2020-321 portant adaptation des règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé en raison de l'épidémie de covid-19 et (ii) l’ordonnance n°2020-318 portant adaptation des règles relatives à l'établissement, l'arrêté, l'audit, la revue, l'approbation et la publication des comptes et des autres documents et informations que les personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé sont tenues de déposer ou publier dans le contexte de l'épidémie de covid-19. Dans ce contexte, afin d’accompagner les entreprises dans l’application de ces mesures, un guide « tenir son AG et respecter les délais comptables dans le contexte de la crise du Covid-19 » a été publié par le ministère de l’économie le 26 mars[1].

L’objet du présent article[2] est de présenter les mesures d’assouplissement des règles relatives à la tenue des réunions prévues par la première ordonnance susvisée n°2020-321. L’ensemble des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé vont ainsi bénéficier de ces mesures, ce qui inclut les sociétés de toute forme mais aussi, par exemple, les groupements d’intérêt économique, les sociétés en participation, mutuelles, coopératives, associations (déclarées ou non), fondations, fonds de dotation ou encore les masses de porteurs de valeurs mobilières ou de titres financiers

Cette ordonnance devrait être complétée très prochainement par un décret.

Ces mesures dérogatoires s’appliquent aux réunions des organes collégiaux tenues entre le 12 mars 2020 et jusqu’au 31 juillet 2020[3] et concernent les sujets suivants.

- Les modalités de convocation dans les sociétés « cotées »[4] : le fait de ne pas procéder à la convocation par voie postale – lorsqu’elle est en principe requise – n’entraine pas de nullité de l’assemblée si ceci est justifié par « des circonstances extérieures à la société ». Cette hypothèse vise notamment l’empêchement de préparer les convocations nécessaires dans le contexte actuel. Pour autant, cette mesure dérogatoire ne concerne que les sociétés cotées alors même que les sociétés non cotées (qui peuvent aussi comporter de nombreux actionnaires) pourraient également être confrontées à des difficultés similaires.

Le droit de communication préalable aux assemblées : possibilité de communication par message électronique (si l’adresse électronique est mentionnée par le demandeur). Cette mesure concerne l’ensemble des entités. A cet égard, s’agissant des sociétés cotées, l’AMF recommande aux actionnaires et aux émetteurs de recourir, dans le contexte actuel, lorsque cela est possible, aux moyens de communications électroniques dans le cadre de leurs démarches et communications relatives aux assemblées générales[5].

Assemblée tenue à huit clos : possibilité pour l’organe de convocation[6], pour  l’ensemble des entités, de tenir l’ensemble de leurs assemblées hors  la présence (i) physique  ou (ii) par des moyens de visioconférence ou de télécommunication de leurs membres et des autres personnes convoquées[7]. Cette dérogation est conditionnée au fait que « l’assemblée est convoquée en un lieu affecté à la date de la convocation[8] ou à celle de la réunion par une mesure administrative limitant ou interdisant les rassemblements collectifs pour des motifs sanitaires ».

Le rapport au Président sur l’ordonnance susvisée précise que cette mesure emporte dérogation exceptionnelle et temporaire au droit des membres des assemblées d'assister aux séances ainsi qu'aux autres droits dont l'exercice suppose la présence en séance, tels, qu’en particulier, le droit en séance de poser des questions orales ou de proposer la modification des projets de résolutions. Cependant, il est à noter que la dérogation à ces derniers droits n’est pas expressément prévue par l’ordonnance. En tout état de cause, sont bien maintenus le droit, préalable à l’assemblée, de poser des questions écrites ou de proposer l'inscription de points ou de projets à l'ordre du jour (selon la règlementation applicable à la forme sociale concernée).

L’impossibilité de réviser en séance certains projets de résolutions pourrait poser en pratique difficultés s’agissant de sociétés dont les formalités de convocation à l’assemblée ont débuté  avant la publication de l’ordonnance et qui ont dans ce cadre déjà communiqué les projets de résolutions (sans que ces projets puissent encore être modifiés avant l’assemblée). En effet, dans le contexte actuel, un certain nombre de sociétés cotées, en particulier, s’interrogent sur le montant de la distribution de dividendes à proposer aux actionnaires, certaines même réfléchissant à (ou ayant décidé) un report de leur assemblée.

Par ailleurs, dans la mesure où les actionnaires ne pourraient pas poser de questions en séance, du fait du huit clos, l’AMF invite les sociétés cotées (i) à accepter de recevoir et traiter, dans la mesure du possible, les questions écrites des actionnaires qui sont envoyées à l’émetteur après la date limite prévue par les dispositions réglementaires et avant l’assemblée générale et (ii) à créer une adresse email dédiée à ces questions et à informer largement les actionnaires, notamment sur le site internet, de l’existence de cette adresse[9].

En tout état de cause, ces dérogations sont sans effet sur le droit de vote. Ce droit devra alors s’exercer soit par procuration[10], soit par correspondance (via le formulaire de vote, si cette modalité est prévue), soit via une plateforme de vote sécurisée (si cette modalité est disponible).[11] L’AMF recommande à ce titre de (i) retransmettre l’assemblée générale en direct, en format audio ou vidéo, par diffusion en streaming ou par tout procédé de retransmission aisément accessible aux actionnaires à partir du site internet de l’émetteur, (ii) maintenir en libre accès pour les actionnaires la vidéo de l’assemblée générale sur le site internet, au terme de la retransmission en direct et (iii) de publier dès que possible le procès-verbal de l’assemblée générale sur le site internet.

En cas de recours à une assemblée tenue à huit clos, les membres de l'assemblée et les autres personnes ayant le droit d'y assister sont alors avisés par tout moyen[12] permettant d'assurer leur information effective de la date et de l'heure de l'assemblée, ainsi que des conditions dans lesquelles ils pourront exercer l'ensemble des droits attachés à leur qualité de membre ou de personne ayant le droit d'y assister.

Assemblées tenues par voie dématérialisée : l’extension à toutes les entités et pour tout type de décisions – sans nécessité de clause statutaire (ou du contrat d’émission), nonobstant toute clause contraire, et y compris pour l’assemblée annuelle d’approbation des comptes - de la possibilité d’assister à l’assemblée par conférence téléphonique ou audiovisuelle, à condition de garantir l’identification des participants et leur participation effective, de transmettre au moins leur voix et de satisfaire à des caractéristiques techniques permettant la retransmission continue et simultanée des délibérations.

En pratique, ce procédé pourra être utilisé par les sociétés disposant des moyens techniques leur permettant d’organiser la tenue d’assemblées dématérialisées répondant aux exigences susvisées. Au vu de ces exigences et en raison de la difficulté de garantir l’identification des membres, la question de la possibilité du vote par téléphone semble discutable. Or, beaucoup de « petites » sociétés ne seront pas en mesure d’organiser une visioconférence dans le contexte actuel. Par ailleurs, en cas de recours à la voie dématérialisée, la nécessité de respecter en tout état de cause les conditions particulières requises par la règlementation propre à chaque forme sociale (non écartées expressément par l’ordonnance) n’est pas clairement réglée.[13]

Enfin, ce procédé n’est pas nécessairement pratique pour les sociétés cotées ou celles ayant un très grand nombre d’actionnaires car les possibilités techniques actuelles ne permettent pas le vote en direct par internet dans des conditions de sécurité satisfaisantes, ni l’organisation en direct d’un débat avec les actionnaires. En effet, en cas de recours à ce procédé, et contrairement au véritable huit-clos, rien ne semble justifier de priver les actionnaires de leurs droits en séance de poser des questions ou de proposer des amendements. Ceci supposerait donc de garantir l’exercice effectif de ces droits et l’identification de leurs titulaires.

La signature des procès-verbaux et de la feuille de présence, conformément à la règlementation applicable, devra par la suite être effectuée (la signature électronique étant désormais possible sous certaines conditions), rien de dérogatoire n’étant prévu à ce sujet par l’ordonnance.

Décisions collectives d’associés prises par consultation écrite : quand la consultation écrite est déjà prévue par la loi[14],  la neutralisation des clauses statutaires (ou du contrat d’émission) contraires et l’absence de nécessité préalable de telles clauses pour l’adoption des décisions d’associés, quel que soit l’objet de la décision (y compris, par exemple, s’agissant de l’approbation des comptes). En revanche, ce mode alternatif de prise de décision n’est pas étendu à toutes les formes sociales. Cependant, les éventuels autres modes alternatifs de décisions collectives prévues par les statuts, en conformité avec la règlementation applicable à la forme sociale (par exemple, l’acte sous seing privé), restent possibles.
 

- Entité ayant déjà procédé à la convocation d’une assemblée au 25 mars : pour les entités ayant déjà entamé la procédure de convocation de leur assemblée le 25 mars et dont l’organe compétent décide de modifier les modalités de tenue de l’assemblée prévue en faveur d’une des modalités susvisées, l’ordonnance sécurise la modification. Les formalités déjà accomplies ne doivent pas être renouvelées (sans préjudice de celles restant à accomplir) et cette modification n’affecte pas la régularité de l’assemblée. Les membres doivent être informés de la modification par tous moyens, trois jours ouvrés avant la date de l’assemblée, ou, s’agissant des sociétés dont les actions ou autres titres sont « cotés », par voie de communiqué dont la diffusion effective et intégrale est assurée par la société.

Tenue des réunions des organes collégiaux d’administration, de surveillance ou de direction, par voie dématérialisée ou par consultation écrite : cette modalité de prise de décision est étendue aux réunions des organes collégiaux de toutes les entités (y compris lorsque non prévu actuellement), pour toutes les décisions (y compris celles relatives à l’arrêté ou à l’examen des comptes annuels), et ce, sans nécessité d’une disposition statutaire ou du règlement intérieur et nonobstant toute clause contraire.  S’agissant de la voie dématérialisée, les moyens doivent permettre l’identification des membres, leur participation effective et transmettre au moins la voix des participants et satisfaire à des caractéristiques techniques permettant la retransmission continue et simultanée des délibérations. Dès lors, à l’instar des assemblées, la question du simple recours à une conférence téléphonique et d’un vote par téléphone, est discutable.[15] S’agissant de la consultation écrite, cela suppose cependant pour le conseil d’être en mesure d’assurer une collégialité préalable des débats.                                                                                                  

 

[2] Un second article détaille les mesures prévues par la seconde ordonnance.

[3] Sauf prorogation de ce délai jusqu’à une date fixée par décret et au plus tard le 30 novembre 2020. Application y compris à Wallis-et-Futuna.

[4] C’est-à-dire dont des actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation d'un Etat membre de l'Union européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou sur un marché considéré comme équivalent à un marché réglementé par la Commission européenne (en application du a du 4 de l'article 25 de la directive 2014/65/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014).

[5] Communique AMF du 27 mars 2020.

[6] Ou le représentant légal agissant sur sa délégation.

[7] En particulier, le commissaire aux comptes et les représentants des instances représentatives du personnel.

[8] Cette date serait entendue au sens large comme incluant la date de l’avis de réunion dans les sociétés cotées.

[9] Communique AMF du 27 mars 2020.

[10] L’AMF attire l’attention des actionnaires sur les difficultés pouvant résulter, dans le contexte d’une assemblée générale tenue à huis clos, du recours au mandat de vote donné à une personne de son choix (hors « pouvoir en blanc »). Les sociétés cotées devront clarifier les différentes modalités de vote disponibles, en précisant, sur leur site internet et dans leurs communiqués relatifs à l’assemblée générale, le traitement qui sera fait des mandats de vote dans ce contexte.

[11] Ce vote s’exerce généralement en pratique en amont de l’assemblée pour des raisons techniques.

[12] S’agissant des sociétés cotées, si les formalités de convocation n’ont pas été accomplies à la date de l’ordonnance, les actionnaires sont informés de la décision de huit clos via les documents de convocation, mais la publication d’un communiqué dont la société s’assure de la diffusion effective et intégrale est encouragée également dans cette hypothèse.

[13] Par exemple, dans les sociétés anonymes, mise en place d’un site internet dédié avec identification des actionnaires ou existence d’un droit d’opposition en cas de tenue d’une assemblée entièrement dématérialisée. En raison de la volonté de neutraliser les clauses des statuts, le droit d’opposition devrait être neutralisé. Cependant, ceci n’est pas expressément prévu par l’ordonnance.

[14] Cas de la SARL, de la SNC ou de la société civile.

[15] Dans certaines formes sociales cependant (par exemple SAS), les statuts prévoient ce mode de réunion, les dispositions légales et règlementaires propres à la forme sociale concernée ne prévoyant pas ces exigences renforcées.

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