Article Brevets | 03/02/22 | 13 min. | Lionel Martin François Pochart
Dans un flash récent[1] nous avons annoncé le « top départ » de la JUB à la suite de l’annonce, sur le site du Conseil de l’UE[2], de « l’entrée en vigueur » du protocole sur l'application provisoire de l'Accord sur la JUB (« PAP »[3]). Si l’on en croit le Conseil de l’UE, cette entrée en vigueur serait intervenue le 19 janvier 2022, jour où l’Autriche a déposé son instrument de ratification du PAP[4].
Pourtant, en se penchant sur l’article 3(1) du PAP, on peut légitimement se demander si les conditions d’entrée en vigueur de ce protocole sont bel et bien réunies…
En effet, cet article mentionne expressément, comme conditions cumulatives de l’entrée en vigueur du PAP : la ratification de l’Accord relatif à une juridiction unifiée du brevet (« Accord JUB ») et la signature du PAP par… le Royaume-Uni[5].
Or, le Royaume-Uni avait bien signé le PAP le 1er octobre 2015[6], et notifié sa ratification de l’Accord JUB le 26 avril 2018[7], mais il s’est finalement retiré de l’un et l’autre à la suite du Brexit. Les pages du site internet du Conseil de l’UE concernant ces deux textes indiquent que ce retrait serait effectif depuis la date de sa réception soit le 20 juillet 2020[8].
Les conditions de l’article 3 du PAP ne sont donc, prima facie, pas remplies au 19 janvier 2022, du fait du Brexit.
Cela ne semble pas inquiéter le conseil de l’Union européenne qui, comme on l’a dit, indique sur son site que le PAP serait entré en vigueur le 19 janvier 2022.
Pourtant, il y a quelques mois, le comité préparatoire de la JUB semblait, lui, s’en inquiéter par avance. En effet, le 28 octobre 2021, au lendemain du 21ème comité préparatoire de la JUB, un communiqué diffusé sur le site internet de la JUB[9] annonçait que, lors de ce comité préparatoire, les Etats signataires de l’Accord JUB (« Etats Signataires ») avaient convenu de signer une « Déclaration sur l'interprétation authentique de l'Art. 3 du Protocole PAP » pour « confirmer l'entrée en vigueur du Protocole PAP, une fois que les 13 États membres requis deviendront liés par ledit protocole, reconnaissant que l'art. 3 du Protocole PAP doit être interprété en miroir de l'art. 89 de l'UPCA ».
On rappellera que cet article 89 prévoit que l’Accord JUB[10] « entre en vigueur » suivant le « dépôt du treizième instrument de ratification ou d'adhésion conformément à l'article 84, y compris par les trois États membres dans lesquels le plus grand nombre de brevets européens produisaient leurs effets […]».
Par conséquent, on comprend que la « déclaration interprétative », dont le projet aurait été circulé le 27 octobre 2021 lors du 21ème comité préparatoire de la JUB, a pour objet de déclarer que l’article 3 du PAP devrait se comprendre comme conditionnant l’entrée en vigueur du PAP non plus à la signature de 13 Etats Signataires dont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, mais à celle de 13 Etats Signataires dont les trois États dans lesquels le plus grand nombre de brevets européens ont produit leurs effets au cours de l'année précédant celle de la signature de l'Accord JUB[11]. Si l’on exclut le Royaume-Uni, il s’agirait de la France, l’Allemagne et l’Italie.
Le communiqué indiquait encore que « les délégations ont approuvé la proposition faite par le président, lui donnant ainsi le mandat d'organiser une cérémonie de signature de la déclaration en marge d'une prochaine réunion du COREPER[12] ».
D’après le site internet du Conseil de l’UE, entre le 27 octobre 2021 et aujourd’hui, il y a eu 33 réunions du COREPER[13]. Pourtant, depuis le 27 octobre 2021, on n’a plus entendu parler de cette déclaration interprétative…
Le projet de signature de cette déclaration a-t-il été reporté ? Dans ce cas, lorsqu’elle sera signée, cette déclaration suffira-t-elle à « rectifier » l’entrée en vigueur du PAP ? En effet, plusieurs questions se poseront : si la signature a lieu, comme annoncé, « en marge d’une réunion COREPER », ce processus de signature est-t-il conforme au droit de l’Union ? le principe même d’une telle déclaration est-il conforme au droit de l’Union ? La mention du communiqué du 28 octobre selon laquelle cette déclaration serait en ligne avec le droit international public est, au mieux, incantatoire.
Le projet de signature de cette déclaration a-t-il tout bonnement été avorté ? si oui pour quelles raisons ?
En tout état de cause, le conseil de l’UE peut-il, en déclarant le PAP « en vigueur », fermer ainsi les yeux sur l’absence d’application de l’ensemble des conditions de l’article 3 ? C’est ce qu’il avait fait concernant le Protocole sur les privilèges et immunités de la JUB (PPI), en le déclarant en vigueur depuis le 27 octobre 2021[14] alors même que ce protocole prévoit lui aussi que l’adhésion du Royaume-Uni est une condition de son entrée en vigueur. En effet son article 18 prévoit que « Le présent protocole entre en vigueur 30 jours après la date à laquelle le dernier des quatre États parties - France, Allemagne, Luxembourg et Royaume-Uni - a déposé son instrument de ratification, d'acceptation, d'approbation ou d'adhésion »[15]. Or, de ce protocole également le Royaume-Uni s’est retiré le 20 juillet 2020.
L’entrée en vigueur du PAP n’est pas sans conséquence sur la survie éventuelle de la JUB. Cette période provisoire est prévue pour donner naissance par avance aux organes de la JUB qui sont sensés, entre autres missions essentielles, approuver le règlement de procédure[16] et nommer les juges de la Juridiction[17]. Les candidats magistrats se presseront-ils pour être nommés selon une procédure dont la légalité interroge jusqu’au comité préparatoire de la JUB lui-même qui songe à cette « déclaration interprétative » du PAP ? En cas de contestation juridique du processus, une telle nomination anticipée de tels juges pourrait conduire à leur révocation non moins précipitée.
De même, si l’on doit considérer que le PAP est en vigueur malgré sa référence explicite au Royaume-Uni, fermera-t-on aussi les yeux, purement et simplement, sur le mot « Londres » à l’article 7(2) et à l’Annexe II de l’Accord JUB ? Doit-on l’ignorer - et rendre au siège parisien de la JUB les compétences hier dévolues à Londres - ou oser une géographie fort imaginative qui viendrait remplacer Londres par Rome ?
On comprend la volonté du conseil de l’UE de faire « avancer » le projet de la JUB. Néanmoins, déclarer ainsi des textes « en vigueur » au mépris des dispositions qu’ils prévoient eux-mêmes pour leur entrée en vigueur, est une approche qu’Emile Coué n’aurait pas reniée.
Ceux pour qui la JUB a été pensée, au premier rang desquels les titulaires des droits, voudront-ils vraiment monter dans ce bel OJNI[18] en sachant qu’il court peut être le risque de se voir un jour remis en question, ou pire détruit prématurément, par une décision de la CJUE qui serais saisie de cette question de sa naissance par forceps ?
[2] https://www.consilium.europa.eu/en/documents-publications/treaties-agreements/agreement/?id=2013001&DocLanguage=en
[3] https://www.unified-patent-court.org/sites/default/files/Protocol_to_the_Agreement_on_Unified_Patent_Court_on_provisional_application.pdf
[4] https://www.unified-patent-court.org/news/austria-closes-loop-protocol-provisional-application-upc-agreement-has-entered-force
[5] En réalité l’article 3 (1) est plus complexe puisqu’il conditionne l’entrée en vigueur du PAP au fait que 13 Etats signataires de l’Accord JUB dont l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni, aient rempli les deux conditions cumulatives suivantes :
- Condition 1 : qu’ils aient soit ratifié, soit informé le dépositaire [tel que défini à l’article 2 (4) du PAP] qu'ils ont reçu l'approbation parlementaire de ratifier l'Accord JUB ; et
- Condition 2 : qu’ils aient soit exprimé leur consentement à être liés par le Protocole (via l’une des méthodes indiquées à l’article 2 (2) du PAP), soit exprimé leur consentement à être liés par l’application provisoire des dispositions de l’Accord JUB mentionnées à l’article 1 du PAP, au moyen d'une déclaration unilatérale ou de toute autre manière. Le choix de telle ou telle option à l’intérieur de la condition 2 dépend de la méthode, propre à chaque Etat, de traiter les protocoles. Il est donc difficile de savoir exactement, pour un Etat donné, quand il a rempli la condition 2, et par conséquent de vérifier combien d’Etats exactement sont liés par le PAP à l’heure actuelle… il y en aurait 13 selon le Conseil de l’UE, mais qui sont-ils ? ce chiffre comprend-il le Royaume-Uni ?
[6] https://www.consilium.europa.eu/en/documents-publications/treaties-agreements/agreement/?id=2013001&DocLanguage=en
[7] https://www.consilium.europa.eu/en/documents-publications/treaties-agreements/agreement/?id=2013001&DocLanguage=en
[8] ibid
[9] https://www.unified-patent-court.org/news/report-preparatory-committee-meeting-held-27-october-2021
[11] On rappellera que l’Accord JUB a été signé le 19 février 2013. Cf. https://www.epo.org/news-events/news/2013/20130219_fr.html
[12] Comité des représentants permanents
[13] https://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/calendar/?Category=mpo&Page=1&filtering=1&daterange=&dateFrom=2021%2F10%2F28&dateTo=2022%2F02%2F02&filters=-3
[14] https://www.consilium.europa.eu/fr/documents-publications/treaties-agreements/agreement/?id=2016047&DocLanguage=en
[15] Traduction libre de l’article 18 du PPI, lequel est disponible ici : https://www.unified-patent-court.org/sites/default/files/ppi_final_ii_en_clean.pdf
[16] Par le comité administratif selon l’article 41 de l’accord JUB visé par le PAP, comité lui-même institué par les articles 11 et 12 de l’accord, également visés par le PAP
[17] Par le comité administratif selon l’article 19 de l’accord JUB visé par le PAP, et sur proposition du comité consultatif lui-même institué par les articles 11 et 14 de l’accord, également visés par le PAP
[18] OJNI : Objet Juridique Non-Identifié