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Procédure orale dans les oppositions brevet devant l’INPI : veni, vidi, maintenant on vous dit

Article Brevets | 02/03/22 | 11 min. | François Pochart Lionel Martin Asma Bendjaballah

 

Entrée en vigueur le 1er avril 2020, la procédure d’opposition devant l’INPI connaît un beau démarrage, une vingtaine d’opposition ayant été formées, principalement par des hommes de paille mais également par des sociétés étrangères. La tenue des procédures orales a débuté le 25 janvier 2022 et nous avons assisté et participé aux quatre premières. Nous partageons ici nos premières impressions avant la reprise des procédures orales mi-mars[1]. Dans l’ensemble, le déroulé des procédures orales devant l’INPI est très proche de celui de l’Office Européen des Brevets (OEB) avec néanmoins une singularité notable : l’INPI semble plus accueillante envers les moyens tardifs.

A chaque fois, la commission d’opposition a commencé par rappeler que l’objectif de la procédure orale est de présenter un nouvel éclairage sur les arguments soumis en phase écrite et non d’en répéter le contenu. Les arguments des parties sont ensuite déroulés en respectant scrupuleusement l’ordre indiqué à l’article L.613-23-3 CPI. Le président de la commission s’assure de laisser autant que nécessaire la parole aux différentes parties pour garantir prudemment le respect du contradictoire. Il entend les parties aussi souvent que nécessaire et n’hésite pas à demander des clarifications sur l’interprétation des revendications et de l’art antérieur. La commission d’opposition vient donc très préparée. D’ailleurs, depuis deux ans, les examinateurs de l’INPI sont encouragés à assister aux procédures orales à l’OEB en tant que membres du public.

S’agissant des toutes premières procédures orales devant l’INPI, elles sont nécessairement conduites avec beaucoup de prudence. En 2022, nous entendons poursuivre notre suivi en assistant aux prochaines procédures orales afin de brosser un portrait aussi complet que possible de cette nouvelle pratique de l’INPI. Nous prévoyons notamment de restituer ces enseignements à l’occasion de nos Ateliers du brevet qui se tiendront comme chaque année fin juin.

Il est d’ores et déjà possible de formuler l’enseignement suivant : si ces quatre premières procédures orales démontrent un parallélisme évident avec la conduite des procédures orales à l’OEB (parallélisme plus qu’assumé par l’INPI et les parties qui n’hésitent pas à faire référence aux directives ou aux jurisprudences de l’OEB), on peut noter néanmoins quelques points de différence :

1) une plus grande bienveillance de l’INPI, semble-t-il, dans le traitement des moyens tardifs ; et

2) un questionnement spécifique sur l’admissibilité des requêtes au cours de la procédure orale.

Relativement au premier point, bien que l’INPI mentionne la date de clôture de la phase écrite dans une notification spécifique pour chaque procédure d’opposition, de nombreuses parties ont déposé des requêtes auxiliaires ou des pièces les jours précédant la procédure orale. Cela a permis de tester l’appréciation faite par l’INPI du critère d’admissibilité des moyens tardifs.

A l’OEB, l’admissibilité de moyens tardifs (documents de l’état de la technique ou requêtes en modification) est appréciée de manière discrétionnaire par la division d’opposition en considération des éléments suivants :

- en premier lieu : la pertinence de prime abord des moyens tardifs en cause,

- en second lieu : l’impact de la tardiveté sur l’efficacité de la procédure, l’éventuel abus de procédure, et le respect d’un délai suffisant pour que les autres parties puissent examiner les éléments tardifs en cause[2].
 

Devant l’INPI, l’article R.613-44-7 CPI[3] pose la règle de l’admissibilité des moyens tardifs, à la discrétion de la commission d’opposition, en faisant uniquement référence au respect du contradictoire. Les Directives relatives aux procédures post-délivrance de l’INPI indiquent quant à elles que l’INPI « apprécie notamment la pertinence du moyen de fait, les circonstances de ce dépôt tardif et la possibilité pour les parties d’en débattre contradictoirement »[4], ajoutant ainsi au texte de la loi les critères relatifs à la pertinence du moyen de fait et aux circonstances du dépôt tardif.

En pratique, d’après nos observations, la Commission d’opposition s’assure surtout du respect du contradictoire (prévu dans la loi). Elle semble attacher moins d’attention aux circonstances de la tardiveté et même à la pertinence du moyen. En résumé, les moyens tardifs paraissent admis dès lors que les parties ont eu matériellement le temps d’en prendre connaissance. A titre d’exemple, dans une procédure orale où nous étions partie[5], ont été admises : trois requêtes auxiliaires soumises seulement deux jours ouvrables avant la procédure orale et incorporant des caractéristiques tirées de la description. De même, un document d’état de la technique soumis deux semaines avant la procédure orale a été admis après un court débat sur les circonstances de sa soumission tardive. Les moyens tardifs sont donc traités par l’INPI avec une certaine bienveillance, qui tranche avec la pratique de plus en plus drastique de l’OEB.

S’agissant du deuxième point, relatif au dépôt de requêtes auxiliaires spécifiquement en cours de procédure orale, il convient de noter que, formellement, les textes sur l’opposition distinguent bien la phase écrite de la phase orale (nom officiel de la « procédure orale » devant l’INPI). Ainsi l’article R. 613-44-6 CPI[6] prévoit que :

- lors de la phase orale, les parties déposent leurs « observations », sans précision supplémentaire,

- alors que, lors de la phase écrite, les parties peuvent présenter non seulement leurs « observations » mais aussi, s’agissant du titulaire du brevet, des « propositions de modification du brevet ».

Cette différence – que nous avions déjà pointée dans un précédent flash[7] – a été utilisée par l’opposant de la deuxième procédure orale, comme argument visant à exclure la possibilité de déposer des requêtes en modification en cours de procédure orale[8]. Il n’a pas été suivi par la commission d’opposition qui a finalement décidé d’admettre les modifications introduites par le titulaire en cours de procédure orale. La motivation de la commission pour admettre de telles requêtes auxiliaires, quand bien même cela n’est pas prévu par la loi, n’est pas encore connue. On peut penser que la décision écrite (qui interviendra dans un délai de 4 mois) sera probablement ciselée, pour échapper à une sanction lors d’un éventuel recours.

La question du recours est peut-être justement ce qui justifie une telle libéralité dans l’admission de modifications en cours de procédure orale. En effet, s’il devait être confirmé que de nouvelles requêtes ne sont pas admissibles devant la Cour d’appel, ne pas les admettre dès le stade de la procédure orale devant l’INPI serait très contraignant et inéquitable pour le titulaire.

L’INPI, qui nous fera l’honneur de sa présence lors de nos Ateliers du brevet, pourra certainement nous éclairer sur cette décision d’admettre les requêtes soumises en procédure orale.


[1] Le calendrier des procédures orales est disponible sur le site de l’INPI 
https://www.inpi.fr/sites/default/files/Calendrier%20des%20audiences%20publiques%20de%20la%20proc%C3%A9dure%20opposition%20brevet.pdf
 

[2] Voir directives OEB partie E-III, 8.6 §6 (2021), refondue E-VI, 2.2.3 §5 dans la version 2022.

[3]  Qui dispose « Le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle statue sur l'opposition au vu de l'ensemble des observations écrites et orales présentées par les parties ainsi que des dernières propositions de modification du brevet présentées par le titulaire du brevet. Le directeur général de l'Institut peut fonder sa décision sur des faits invoqués ou des pièces produites postérieurement à l'expiration des délais mentionnés aux articles R. 613-44, R. 613-44-1 et R. 613-44-6, sous réserve que les parties aient été à même d'en débattre contradictoirement. La décision statuant sur l'opposition est notifiée aux parties. Elle est inscrite au Registre national des brevets ».

[4] Directives relatives aux procédures post-délivrance, B.4.5 – Moyens tardifs :
https://www.inpi.fr/sites/default/files/directives_brevets_livre_3_post_delivrance_juin_2021.pdf


[5] Opposition au brevet FR3080526 formée au nom de François Pochart, procédure orale du mardi 15 février 2022, Trois nouvelles requêtes auxiliaires basées sur la description déposée le vendredi précédent.

[6] Voir article R613-44-6 CPI, 3° et 4° : « […] l’instruction de l’opposition se déroule suivant les quatre phases :

[…] 3° Une phase écrite.
A l'expiration du délai mentionné au 2°, dans le cas où au moins l'une des parties a produit des observations ou bien que le titulaire du brevet a présenté des propositions de modification du brevet en réponse à l'avis d'instruction, notification en est faite aux parties. Un délai est imparti à ces dernières pour présenter leurs observations en réponse ou, s'agissant du titulaire, pour proposer de nouvelles modifications du brevet. En cas de réponse par au moins l'une des parties, notification en est faite à ces dernières à l'expiration de ce délai ;

4° Une phase orale.
Dans le cadre de la présentation de ses observations écrites, chaque partie peut demander à présenter des observations orales. Le directeur général de l'Institut peut également inviter sans demande préalable les parties à présenter des observations orales s'il l'estime nécessaire pour les besoins de l'instruction. Les parties sont alors réunies à l'issue de la phase écrite de l'instruction afin de présenter leurs observations orales, selon des modalités fixées par décision du directeur général de l'Institut. » 

[7] Voir notre article du 1er avril 2020 https://www.august-debouzy.com/fr/blog/1491-top-depart-pour-lopposition-devant-linpi

[8] Opposition au brevet FR3047436
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