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Agents commerciaux : il peut être prévu contractuellement d’exclure le droit à commission de l’agent sur certaines opérations

Article Droit de la concurrence, consommation et distribution Contrats commerciaux et internationaux | 02/12/22 | 7 min. | Alexandra Berg-Moussa Aurélien Micheli

Auteurs: Alexandra Berg-Moussa et Aurélien Micheli 

La Cour de Justice de l’Union européenne (ci-après la « Cour ») se prononce, dans un arrêt Rigall Arteria Management du 13 octobre 2022[1], sur la possibilité d’exclure contractuellement le droit de l’agent commercial de percevoir une commission sur les « opérations répétées »,
définies par l’avocate générale de la Cour comme étant les « opérations commerciales conclues pendant la période couverte par le contrat d’agence lorsque l’opération est conclue avec un tiers que l’agent commercial a préalablement acquis comme client pour des opérations de même nature »[2].


Les conséquences pratiques des précisions apportées par la Cour dans cet arrêt sont potentiellement importantes tant au stade de la rédaction et négociation des contrats d’agence commerciale qu’à celui de la cessation de tels contrats et de l’indemnisation qui en découle habituellement au bénéfice de l’agent.  

Le contexte de la décision

La question posée à la Cour par la cour suprême polonaise portait sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 86/653/CEE du 18 décembre 1986 relative aux agents commerciaux (ci-après la « Directive »).

Cet article prévoit que « pour une opération commerciale conclue pendant la durée du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission : a) lorsque l’opération a été conclue grâce à son intervention ou b) lorsque l'opération a été conclue avec un tiers dont il a obtenu antérieurement la clientèle pour des opérations du même genre ».

Ces dispositions ont été transposées à l’article L. 134-6, alinéa 1, du code de commerce. L’interprétation de la Cour est donc pleinement applicable en droit français.

La juridiction de renvoi polonaise demandait à la Cour, en substance, si l’article 7, paragraphe 1, sous b) susvisé devait être interprété comme étant une règle impérative ou non et, en conséquence, si l’exclusion du droit à la commission de l’agent sur les opérations répétées relevait de la liberté contractuelle des parties.

La décision de la Cour

Dans sa décision du 13 octobre 2022, la Cour affirme clairement qu’« il peut être dérogé contractuellement au droit que cette disposition confère à l’agent commercial indépendant de percevoir une commission pour l’opération conclue, pendant la durée du contrat d’agence, avec un tiers dont cet agent a obtenu antérieurement la clientèle pour des opérations du même genre ».

Pour justifier sa décision, la Cour estime notamment que le niveau de rémunération de l’agent dépend, à titre principal, de l’accord des parties. Dans ce contexte, il ressort également de l’économie générale de la Directive que, lorsqu’une des dispositions qui y est incluse est impérative, le législateur de l’Union a pris soin de l’indiquer.

Ainsi, en l’absence d’une mention expresse portant sur l’article 7, paragraphe 1, sous b) dans la Directive, la Cour considère que la commission relative aux opérations répétées est supplétive.

On pourrait d’ailleurs totalement calquer le raisonnement de la Cour en s’appuyant sur les dispositions du code de commerce applicables à l’agent commercial, puisque les termes de l’article L. 134-16 du code de commerce, qui listent un certain nombre d’articles auxquels les parties à un contrat d’agence commerciale ne peuvent déroger, notamment au détriment de l’agent commercial, ne font pas état de l’article L. 134-6 du code de commerce.

La Cour complète son argumentaire en précisant par ailleurs que conférer une portée impérative à ce texte ne renforcerait pas nécessairement la protection des agents commerciaux : en pareille circonstance, certains commettants pourraient être tentés de compenser le coût de la commission pour les opérations répétées en réduisant le taux de la commission de base, en limitant ou en excluant les frais antérieurement remboursés ou d’autres éléments de la rémunération, voire renonceraient à nouer une relation contractuelle avec l’agent commercial.

En pratique, cette décision va inéluctablement conduire les parties qui envisagent de conclure un contrat d’agence commerciale à des discussions sur l’existence, et, le cas échéant, sur les modalités de fixation de la commission de l’agent sur les opérations répétées.

Il en découlera également une vigilance accrue sur la rédaction des clauses de rémunération de l’agent, et notamment les éléments déclencheurs de son droit à commission ainsi que l’assiette de calcul de cette commission.

En lieu et place de la simple exclusion du droit à commission sur les « opérations répétées », il est évidemment possible d’envisager que celui-ci soit aménagé : taux réduit, nature des opérations concernées, nature et importance de l’intervention de l’agent.

La liberté des parties semble donc être le principe qui prévaudra sur ce sujet, à charge pour ces dernières d’adopter un mécanisme clair et précis afin d’éviter toute contestation ultérieure, en cours de contrat mais également à l’occasion de sa cessation.

En effet, la rémunération de l’agent en cours de contrat – et donc l’existence (aménagée ou pas) ou l’absence de commission pour les opérations répétées - a aussi des conséquences non négligeables au moment de la cessation des relations entre les parties et sur l’indemnité de fin de contrat à laquelle l’agent commercial peut prétendre dans de nombreux cas[3], qui est quant à elle d’ordre public et qu’il n’est pas permis aux parties à un contrat d’aménager ou d’exclure conventionnellement.

Cette indemnité de fin de contrat étant calculée sur la base des commissions perçues par l’agent pendant la durée de son contrat, toute clause contractuelle ayant pour objet d’aménager à la baisse, voire de supprimer, les commissions sur les opérations répétées, conduira mécaniquement à une baisse de l’indemnité de fin de contrat due à l’agent commercial.

Une décision qui s’avère donc à double impact en pratique, ce qui ne manquera pas de générer débats et discussions dans les négociations à venir et qui nécessitera des rédacteurs de contrats de faire preuve de vigilance et clarté dans l’élaboration et la formulation des dispositifs contractuels de calcul des commissions qui y sont prévus !

 

[1] CJUE 13 octobre 2022, aff. C-64/21.

[2] Conclusions de l’avocate générale Mme Tamara Capeta, présentées le 9 juin 2022.

[3] Article L. 134-12 du code de commerce.

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