Article Droit du travail et de la protection sociale | 07/03/24 | 10 min. | Boris Léone-Robin Ghislaine Zaidi
Plus de 10.000 athlètes de 206 pays différents participeront aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris, compétitions qui rassembleront des millions de spectateurs et de téléspectateurs du monde entier. Au premier abord, on a du mal à imaginer comment un tel évènement sportif international pourrait être régi par les droits du travail et de la sécurité sociale…franco-français. Et pourtant, l’évènement se déroulant en France, le droit social français sera partout. Pendant les Jeux bien sûr mais avant également et ce, pour tous les employeurs qu’ils soient français ou étrangers, en lien avec le secteur sportif ou non.
Alors que la France s’apprête à accueillir un nombre inédit de travailleurs étrangers sur son territoire, nous avons posé trois questions à Ghislaine Zaïdi et Boris Léone-Robin, tous deux avocats au sein de notre département droit social, afin d’identifier les principaux points d’attention. Voici leurs réponses.
Les entreprises qui seront directement impliquées dans l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques, feront assurément face à un surcroit temporaire d’activité. Elles pourront naturellement se tourner vers de la main d’œuvre supplémentaire (intérim, CDD, stagiaires etc.) mais aussi utiliser les souplesses autorisées en matière de durée du travail.
Des dérogations propres aux Jeux olympiques et paralympiques ont été prévues par le législateur concernant le repos dominical. Un décret prévoit ainsi que les entreprises intervenant dans le cadre d’activités propres à l’organisation et au déroulement des Jeux olympiques peuvent – pendant la période du 18 juillet au 14 août 2024 - suspendre le repos hebdomadaire sans autorisation administrative préalable. Les entreprises doivent néanmoins – au préalable – informer l’inspection du travail. Attention toutefois puisque le Ministère du travail a précisé que cette dérogation s’appliquera uniquement aux activités essentielles au bon déroulement et au succès de ces Jeux ainsi qu’à certains salariés. Des débats sur cette notion sont donc à attendre.
Au-delà de cette dérogation, les dispositions conventionnelles peuvent aussi permettre des souplesses en la matière
Aucune dérogation spécifique aux Jeux olympiques n’a été prévue à ces sujets. Les dispositions légales et conventionnelles « habituelles » doivent ainsi être mobilisées pour faire face à la surcharge exceptionnelle d’activité et notamment s’agissant du travail de nuit, des dérogations à la durée minimale du repos quotidien de 11 heures consécutives et à la durée maximale hebdomadaire du travail, etc.
Attention, certaines de ces dérogations sont soumises à l’autorisation préalable de l’Inspection du travail ainsi qu’à la consultation du CSE. Elles doivent donc être anticipées et justifiées.
Pour les entreprises directement en prise avec l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques, la question se pose aussi de la prise de congés payés sur cette période cruciale. Les entreprises concernées pourront, après consultation du CSE, prendre des mesures d’aménagement de la période de congés durant ces évènements au besoin en proposant en contrepartie des mesures incitatives (prime exceptionnelle, congés supplémentaires, période de report de congés plus large etc.).
Mais il ne faut également pas oublier les entreprises qui ne sont pas directement concernées par l’organisation des Jeux, et qui ont également des défis à relever qui doivent être anticipés dès maintenant (accessibilité des lieux de travail, télétravail, imposer des congés etc).
Dès qu’un salarié - joueur sportif ou non - exerce son activité sur le territoire français, il est soumis au droit social français, et ce y compris s’il s’agit d’une période limitée comme celle des Jeux olympiques et paralympiques. Le fait que son employeur soit étranger est indifférent.
Concrètement, cela signifie donc que l’un des droits les plus complexes au monde en la matière va s’appliquer à des employeurs à mille lieues d’en maîtriser toutes les subtilités. La mission peut s’avérer périlleuse, les règles susceptibles de s’appliquer étant nombreuses et les sanctions en cas de non-respect - allant de la simple amende administrative aux sanctions pénales pour travail dissimulé - très lourdes. Il faut donc anticiper la venue de cette main d’œuvre étrangère dès à présent, et pour cela, se poser les questions suivantes :
Tout employeur doit solliciter une autorisation d’emploi en vue d’embaucher un travailleur étranger hors UE mais également déclarer préalablement un salarié détaché de l’étranger en France et y désigner un représentant. Certes, des dérogations existent, notamment pour les évènements sportifs internationaux. En revanche et c’est ici toute la difficulté : elles ne sont pas applicables d’une manière générale à toute nationalité ou tout type d’emploi. Une analyse au cas par cas est donc nécessaire.
Pendant toute la durée de détachement, un socle de droits dit « noyau dur » est garanti au salarié détaché. Les règles applicables sont nombreuses et visent notamment la rémunération minimale, les frais professionnels, les règles de santé et de sécurité, etc. Pour s’assurer du respect de ces règles, des documents - parfois traduits en français - doivent être immédiatement disponibles en cas de contrôle. Il est donc important d’identifier les règles à respecter.
La situation de chaque salarié doit être étudiée, au regard de son régime de sécurité sociale habituel ainsi que de l’existence ou non de conventions ou textes internationaux de sécurité sociale entre son pays d’origine et la France. Parfois, seule une déclaration préalable justifiant du maintien de la sécurité sociale d’origine sera nécessaire. Parfois en revanche, des cotisations sociales pour l’activité réalisée en France pendant les Jeux devront être payées en France.
On le voit, les réponses à ces questions vont dépendre de la situation de chaque salarié. Le travail nécessaire peut donc être long et 4 mois avant le début des épreuves ne seront donc pas de trop pour anticiper et traiter ces sujets.
L’administration n’a pas communiqué – et il est d’ailleurs peu probable qu’elle le fasse – sur la fréquence et l’étendue des contrôles qui seront menés pendant les Jeux. Habituellement, vacances d’été obligent, la période estivale est assez creuse en termes de contrôles par l’administration du travail ou encore l’Urssaf. Pour autant, cette année, les inspecteurs devraient être incités à prendre leurs congés à une autre période de l’année.
Sur le fond, on peut d’ores et déjà identifier un certain nombre de sujets qui devraient faire l’objet d’une attention particulière. Le Ministère du travail a en effet récemment publié, au sein d’un « Guide des grands évènements sportifs », une liste des « principales infractions constatées lors des manifestations sportives qui doivent faire l’objet d’une vigilance particulière ». Et il est fort probable que ces infractions fréquemment constatées dans des cas similaires soient aussi les plus contrôlées. Parmi celles-ci, on retrouve notamment :
Mais surtout, les contrôles devraient être intensifiés sur l’une des causes d’ores et déjà fixée au rang de priorité nationale : la lutte contre le travail dissimulé et, en particulier, le recours à tout statut alternatif au salariat. Cette priorité est fixée de longue date : dans le plan de recours contre le travail illégal pour la période 2023-2027 présenté au printemps 2023, le gouvernement avait déjà indiquer souhaiter des Jeux « exemplaires » sur ce terrain.
« Faux » indépendants/freelance, « Faux » stagiaires, « Faux » bénévoles, « fausse » sous-traitance, voici quelques sujets qui devraient donc occuper plus particulièrement les inspecteurs pendant les Jeux…