Article Droit de la concurrence, consommation et distribution | 01/10/24 | 11 min. | Alexandra Berg-Moussa Paul Vialard
Le 26 septembre 2024, la Cour de justice de l'Union européenne (« CJUE ») a rendu un arrêt significatif (l’« Arrêt ») relatif à l’interprétation de l'article 6 bis de la directive 98/6/CE relative à la protection des consommateurs en matière d'indication des prix des produits offerts aux consommateurs (la « Directive »)[1].
L’Arrêt fait suite à des questions préjudicielles posées par le tribunal régional de Düsseldorf en Allemagne, concernant deux annonces de réduction de prix diffusées par la chaîne de supermarchés Aldi. Une association de consommateurs contestait la méthode utilisée par Aldi pour afficher les réductions de prix pour des denrées alimentaires, arguant que celles-ci n'étaient pas basées sur le « prix antérieur » tel que défini par la Directive mais se contentaient de le mentionner, et étaient par conséquent déloyales. Les visuels en question affichaient des annonces de réduction (sous la forme de pourcentage pour le premier, et sous la forme d’une mention « prix choc » pour le second) avec des prix barrés qui n’étaient pas les prix les plus bas pratiqués par Aldi au cours des 30 derniers jours, mais ces informations étaient néanmoins bien mentionnées dans une phrase figurant sur les visuels.
Pour rappel, l’article 6 bis de la Directive a été introduit par la directive (UE) 2019/2161 du 27 novembre 2019, dite « Directive Omnibus ». Il impose au professionnel qui annonce une réduction du prix de vente d’un produit d’indiquer le prix antérieur pratiqué, c’est-à-dire « le prix le plus bas appliqué par le professionnel au cours d’une période qui n’est pas inférieure à trente jours avant l’application de la réduction de prix ». Cette disposition a été transposée en droit français à l’article L.112-1-1 du code de la consommation.
Le tribunal de Düsseldorf considérait que la position défendue par l’association de consommateurs ne ressortait pas de la lettre de l’article 6 bis de la Directive, qui se limiterait selon lui à déterminer les informations devant être communiquées aux consommateurs, sans préciser la manière dont ces informations doivent être fournies. En outre, selon les juges allemands, il faudrait plutôt apprécier si ces informations ont été transmises conformément aux dispositions de la directive 2005/29 sur les pratiques commerciales déloyales, c’est-à-dire si la manière d’annoncer la réduction de prix n’est pas trompeuse pour les consommateurs.
C’est dans ce contexte que la CJUE a été saisie de deux questions préjudicielles, qu’elle examine ensemble, visant à savoir si l’article 6 bis de la Directive « doit être interprété en ce sens qu’il exige qu’une réduction de prix d’un produit annoncée par un professionnel sous la forme soit d’un pourcentage, soit d’une mention publicitaire visant à mettre en avant le caractère avantageux du prix annoncé, soit déterminée sur la base du « prix antérieur » » au sens de ce texte.
La position de la CJUE
La CJUE reconnaît d’abord que le libellé de l’article 6 bis de la Directive « ne permet […] pas, à lui seul, de déterminer si la réduction de prix figurant dans une annonce doit être calculée sur la base du « prix antérieur » »[2]. Le texte de cet article se contente en effet de mentionner : « (t)oute annonce d’une réduction de prix indique le prix antérieur (…) » (gras ajouté).
Suffirait-il donc de mentionner le prix antérieur (tel que défini par la Directive) dans l’annonce, à titre de simple information, sans que ce prix constitue la base de calcul effective de la réduction annoncée, ce qu’avait fait Aldi ?
Pour répondre à cette question, la CJUE procède à une interprétation du texte sur la base de ses dispositions et des objectifs qu’il poursuit, c’est-à-dire l’information des consommateurs ainsi que la nécessité de faciliter la comparaison des prix et d’empêcher la diffusion de fausses réductions de prix.
Sur cette base, l’Arrêt relève logiquement que le fait de mentionner le « prix antérieur » alors que la réduction annoncée est déterminée sur la base d’un autre prix, « risquerait […] de mettre à mal ces objectifs »[3].
Par conséquent, la CJUE conclut que l’article 6 bis de la Directive exige que la réduction annoncée par le professionnel, qu’elle prenne la forme d’un pourcentage de réduction ou d’une mention publicitaire soulignant le caractère avantageux du prix annoncé, soit déterminée par référence au « prix antérieur », c’est-à-dire du prix le plus bas des 30 derniers jours.
Cette décision de bon sens vient confirmer l’interprétation du dispositif adoptée par la Commission européenne dans ses orientations publiées en 2021, qui indiquaient déjà que « toute réduction indiquée en pourcentage doit être fondée sur le prix “antérieur” tel qu’il est établi conformément à l’article 6 bis » [4] de la Directive. En France, la FAQ élaborée conjointement par le Medef et la DGCCRF en 2022 mentionne également que le professionnel qui annonce une réduction de prix « doit se référer au prix le plus bas qu’il a pratiqué au cours des 30 jours précédant la réduction »[5]. Les professionnels qui appliquaient déjà ces principes n’auront donc pas besoin de faire évoluer leurs pratiques.
Attention néanmoins aux formules et allégations marketing générales (telles que « prix choc » utilisée ici par Aldi) qui sortent en principe du périmètre d’application de la réglementation sur les annonces de réduction de prix (pour être appréhendées sur le terrain des pratiques commerciales déloyales) sauf quand elles sont – comme ici – accompagnées de signes ou autres indications laissant entendre aux consommateurs qu’une baisse de prix est opérée par rapport à un prix antérieurement pratiqué.
La question de la sanction des annonces de réduction de prix non-conformes
L’intérêt de l’Arrêt réside essentiellement dans la réponse apportée à la question du fondement juridique sur la base duquel les annonces de réduction de prix non-conformes doivent être analysées.
En effet, la CJUE rappelle que « l’article 6 bis de la [Directive] régit spécifiquement les aspects liés à l’indication, dans une annonce de réduction de prix, du prix antérieur et à la définition de celui-ci ». Par conséquent, « c’est au regard de cette disposition » qu’il convient d’apprécier une annonce de réduction de prix qui ne respecte pas l’obligation posée par l’article 6 bis, « et non pas au regard des dispositions de la directive 2005/29 » sur les pratiques commerciales déloyales[6].
En d’autres termes, une annonce de réduction de prix non-conforme à l’article 6 bis, ou en France à l’article L. 112-1-1 du code de la consommation, doit être considérée comme illicite indépendamment de son caractère trompeur pour le consommateur.
Or, outre une sanction administrative pour défaut d’information précontractuelle sur le prix ou l’avantage procuré en conformité avec l’article L. 112-1-1 du code de la consommation[7], les manquements à l’article L. 112-1-1 du code de la consommation sont également expressément mentionnés, en droit français, dans la liste des pratiques commerciales trompeuses[8] et susceptibles d’être sanctionnés pénalement[9]. De tels manquements – qui ne peuvent être sanctionnés « per se » faute de faire partie de la liste des pratiques réputées trompeuses en toutes circonstances – doivent donc en principe faire l’objet d’une analyse et appréciation in concreto pour déterminer leur caractère effectivement trompeur et être sanctionnés.
Le dispositif français de sanction pénale sur le fondement des pratiques commerciales trompeuses est donc mis à mal par la position exprimée par la CJUE dans l’Arrêt, qui souligne l’étanchéité entre le régime juridique propre et autonome des annonces de réduction de prix, découlant de la Directive, et le régime général des pratiques commerciales déloyales découlant de la directive 2005/29. Selon un principe bien connu, le régime spécial doit l’emporter sur le régime général.
Dans ces conditions, un professionnel dont les annonces de réduction de prix ne seraient pas conformes à l’article L. 112-1-1 du code de la consommation pourrait-il être valablement poursuivi sur le terrain pénal en application des articles L.121-2 c) et L.132-2 du code de la consommation ?
Nul doute que cette question sera prochainement soulevée devant les juridictions françaises./.
[1] Cour de justice de l’Union européenne, 26 septembre 2024, aff. C‑330/23, Verbraucherzentrale Baden-Württemberg eV contre Aldi Süd Dienstleistungs SE & Co. OHG.
[2] Point 20 de l’Arrêt.
[3] Point 24 de l’Arrêt.
[4] Orientations concernant l’interprétation et l’application de l’article 6 bis de la directive 98/6/CE du Parlement européen et du Conseil relative à la protection des consommateurs en matière d’indication des prix des produits offerts aux consommateurs, section 2.1.
[6] Point 28 de l’Arrêt.
[7] En application de l’article L. 131-1 du code de la consommation.
[8] Article L. 121-2 c) du code de la consommation.
[9] Article L. 132-2 du code de la consommation.