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Censure du Gouvernement Barnier : exit les mesures fiscales du PLF 2025 ?

Article Droit fiscal | 06/12/24 | 7 min. | Philippe Lorentz Théo Leclercq

Droit européen, public, réglementaire et politiques publiques

L’Assemblée nationale a censuré le Gouvernement Barnier ce mercredi 4 décembre en votant pour la motion de censure. Le Premier Ministre Michel Barnier a donc remis sa démission au Président de la République ce jeudi 5 décembre. Selon les rumeurs, ce dernier devrait nommer un nouveau Premier Ministre dans les jours à venir. Pour autant, l’idée de voir un projet de loi de finances (PLF 2025) publié au journal officiel avant le 31 décembre de l’année semble plus que compromise. Le prélèvement des impôts en 2025 serait toutefois assuré par l’adoption d’une loi spéciale présentée à la mi-décembre selon le Président de la République, laquelle ne devrait en principe pas contenir une quelconque modification de la loi fiscale existante à date.

Exit donc l’ensemble des hausses d’impôt envisagées pour l’année 2024 comme la contribution différenciée sur les hauts revenus (CDHR), la contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises (CEBGE), et toutes les autres mesures. Et ce, alors même que l’administration fiscale avait déjà pris contact avec certaines entreprises afin de leur demander si celles-ci anticipaient le paiement d’un acompte sur la CEBGE due au titre de l’exercice 2024…

Retour sur les principes de rétroactivité de la loi fiscale

Dans le PLF 2025, le législateur entendait pleinement user de son droit à la « petite rétroactivité fiscale ». Dans cette situation le législateur modifie la norme fiscale applicable à des revenus perçus antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi. En effet, le législateur entendait, en cette fin d’année 2024, modifier les règles d’imposition des revenus perçus tout au long de l’année 2024 (par exemple, en instaurant la CDHR sur les revenus perçus depuis le 1er janvier 2024). Le législateur est toutefois limité dans le temps : une telle modification doit impérativement intervenir avant la réalisation du fait générateur de l’imposition. Lorsque le fait générateur intervient, la situation du contribuable doit être considérée comme légalement acquise, sans que l’Etat ne puisse ainsi revenir dessus postérieurement.

L’importance d’un PLF 2025 avant le 31 décembre…

De très nombreuses impositions ont leur fait générateur au 31 décembre de chaque année. Par exemple, pour les personnes physiques, le fait générateur de l’impôt sur le revenu est le 31 décembre (à 23 heures 59…), et celui de l’impôt sur la fortune immobilière le 1er janvier (à minuit et une seconde…). Pour l’imposition des résultats des entreprises, le fait générateur est la clôture de l’exercice, laquelle est pour la plupart des entreprises fixée au 31 décembre.

On comprend donc l’intérêt pour le législateur de voir l’entrée en vigueur du PLF 2025 au plus tard le 31 décembre 2024 : la possibilité de rehausser l’imposition des revenus ou des résultats perçus en 2024, par l’instauration des nouvelles contributions par exemple.

Certaines impositions ont un fait générateur différent. Par exemple, les prélèvements « libératoires » (prélèvement sur les plus-values mobilières et immobilières des non-résidents, ou encore, sur option, le prélèvement sur les produits de contrats de capitalisation), ou encore les droits d’enregistrement, ont en principe comme fait générateur, la réalisation de l’évènement justifiant leur application. C’est pour cette raison notamment que les revenus soumis à un prélèvement libératoire au cours de l’année 2024 étaient exclus de l’assiette de la CDHR due en 2024.

Il devrait toutefois en principe être possible de procéder à des baisses d’imposition postérieurement à leur fait générateur (par exemple, en ce qui concerne la réévaluation du barème progressif de l’impôt sur le revenu, ou les différentes aides aux agriculteurs). De telles baisses devraient, au moins pour des raisons pratiques, être adoptées avant (voire bien avant) la campagne déclarative ; ce qui, eu égard au contexte politique actuel, est loin d’être certain…

Un dérogation exceptionnelle est-elle envisageable ?

En principe, seul un « motif impérieux d’intérêt général » pourrait justifier une éventuelle rétroactivité de la loi fiscale votée en 2025 visant à son application aux revenus perçus en 2024.

En matière fiscale, un tel motif pourrait par exemple être un motif financier (à condition que les « enjeux financiers soient suffisamment importants » selon le Conseil constitutionnel), ou encore un motif impérieux d’intérêt général de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale.

Toutefois, à date, il ne semble pas certain qu’un tel motif puisse être admis par le Conseil constitutionnel pour l’une ou l’autre des mesures envisagées initialement dans le PLF 2025.

Qu’attendre en 2025 ?

Il y a de fortes raisons de penser que le législateur cherchera à se « rattraper », en prélevant, directement ou indirectement, l’impôt qu’il aurait souhaité prélever en 2024. Par exemple, le législateur pourrait tenter d’instaurer certaines impositions avec un fait générateur artificiellement décalé, comme en 2012 avec la contribution exceptionnelle sur la fortune. Il sera toutefois contraint par les différents droits et libertés constitutionnels, par exemple l’égalité devant les charges publiques excluant les impositions confiscatoires, ou encore ceux garantis par la CESDH ou la Charte des Droits de l’Union européenne.

De plus, certaines impositions ayant pour fait générateur la réalisation de l’évènement motivant leur assujettissement, si le législateur tarde à adopter un PLF 2025, nombre d’opérations pourraient être exclues des modifications fiscales envisagées. Le contribuable pourrait alors largement tenter d’anticiper ces modifications futures en prenant le soin de déclencher certains faits générateurs afin de figer leur traitement fiscal. Ce sera particulièrement le cas dès lors que nombre de réformes envisagées sont d’ores et déjà connues des contribuables.

Notamment, tel pourrait être le cas en cas de durcissement de l’exit tax. En effet, l’Assemblée nationale avait porté le délai à l’issue duquel le contribuable est définitivement dégrevé de l’impôt mis en sursis sur les plus-values latentes de 2 ou 5 ans à 15 ans. Or, le fait générateur de l’exit tax devrait être considéré comme le transfert de résidence fiscale du contribuable. Ainsi, certains contribuables pourraient souhaiter accélérer un éventuel départ de France avant toute adoption d’un PLF 2025 et ce dans le but de bénéficier du délai de 2 ou 5 ans.  Il ne peut toutefois pas être exclu que le législateur tente d’appliquer ce délai 15 ans aux départs effectués antérieurement (comme cela semblait le cas, peut-être par erreur, dans l’amendement adopté par l’Assemblée nationale) – cela serait toutefois critiquable, notamment sur le terrain constitutionnel.

Ainsi, bien que la principale échéance était fixée au 31 décembre 2024, celle-ci maintenant intenable, une nouvelle course contre la montre s’ouvre pour le législateur.
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