retour

Sanctions européennes – Le Conseil adopte de nouvelles mesures restrictives

Article Compliance | 26/02/25 | 19 min. | Olivier Attias Noureen Nhari Sophie Peter

À l’occasion du troisième anniversaire de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Fédération de Russie, le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 24 février 2025, un 16ème train de mesures restrictives d’ampleur.  

Ce nouvel ensemble de sanctions cible plusieurs secteurs stratégiques de l’économie russe, notamment l’énergie, le commerce, les transports, les infrastructures et les services financiers. Il prévoit également un renforcement des mécanismes de lutte contre le contournement des sanctions. 

Cependant, cette décision européenne intervient dans un contexte paradoxal où les États-Unis, tout en soutenant les sanctions, expriment une volonté croissante de mettre fin au conflit et, par conséquent, de lever certaines de leurs propres sanctions. Cette divergence de stratégies entre les alliés occidentaux reflète les complexités géopolitiques actuelles et soulève des questions sur l'efficacité et la cohérence des mesures restrictives internationales. 

 

Principaux éléments du 16ème train de sanctions à l’encontre de la Russie  

1. Extension de la liste des entités et individus sanctionnés 

83 nouvelles entités et individus sont désormais visés par des mesures de gels des avoirs et des ressources économiques (1). 

Parmi ces nouvelles inscriptions, on compte 48 personnes physiques et 35 personnes morales, en raison notamment de leur soutien au complexe militaro-industriel russe, ou de leur implication dans des faits de contournement des sanctions, dans des plateformes d’échange de crypto-actifs russes ainsi que dans le secteur maritime. 

L’Union européenne a également élargi les critères permettant d’inscrire sur la liste des sanctions les personnes et entités qui appartiennent, soutiennent ou bénéficient directement des activités liées au complexe militaro-industriel russe.  

Notons que le régime de sanctions et mesures de gels individuelles prévoit désormais, à l’instar du régime de sanctions sectorielles, l’obligation pour les opérateurs européens de «tout mettre en œuvre» pour s'assurer que les personnes morales, les entités et les organismes établis en dehors de l'Union qu'ils détiennent ou contrôlent ne participent pas àdes activités qui vident de leur substance les mesures restrictives prévues par le règlement (UE) no269/2014.  

 

  1. Nouvelles restrictions dans le secteur de l’énergie 

Ce 16ème train de sanctions introduit de nouvelles mesures visant à interdire totalement le stockage temporaire et le placement sous procédures de zone franche du pétrole brut et des produits pétroliers russes dans les ports européens. Jusqu’à présent, ces opérations étaient autorisées tant que le plafond de prix du pétrole était respecté et que celui-ci était destiné à un pays tiers. 

L’interdiction de fournir des biens, technologies et services aux projets énergétiques russes a été étendue aux projets de pétrole brut, tels que le projet Vostok. Il est toutefois précisé que ces mesures ne devraient pas avoir d'incidence sur l'achat et l'importation de pétrole brut russe, conformément aux exceptions temporaires applicables à certains États membres enclavés (2).  

Enfin, l’Union a renforcé l’interdiction existante sur les logiciels destinés à l’exploration pétrolière et gazière en Russie. Il est désormais interdit d’exporter, de fournir ou de transférer ces logiciels aux entreprises russes. 

 

  1. Renforcement des restrictions dans le secteur des transports 

Le 16ème train de sanction a élargi l’interdiction d’atterrir sur le territoire de l’Union, d’en décoller ou de le survoler aux transporteurs de pays tiers effectuant des vols domestiques en Russie. De plus, toute compagnie fournissant des biens aéronautiques aux compagnies aériennes russes pourra être inscrite sur la liste des sanctions. Les transporteurs sanctionnés sont désormais interdits de vol à destination de l’Union européenne. 

Dans le domaine du transport routier, le Conseil interdit à présent toute augmentation de la participation russe au-delà de 25 % dans les entreprises européennes du secteur. Cette mesure vise à combler d’éventuelles failles permettant de contourner les sanctions existantes. 

 

  1. Restriction des transactions avec certaines infrastructures russes 

La décision (PESC) 2025/394 interdit toute transaction impliquant des ports, écluses et aéroports en Russie utilisés pour le transfert d’UAV, de missiles, de technologies connexes ou de leurs composants vers la Russie. Elle s’applique également aux infrastructures servant à contourner le plafonnement des prix du pétrole par des navires engagés dans des pratiques de navigation illégales et à haut risque, ainsi qu’à d’autres mesures restrictives. 

Cette interdiction couvre notamment l’accès aux installations portuaires, aux écluses et aux aéroports listés dans le règlement (UE) 833/2014 (3), ainsi que la fourniture de services aux navires et aéronefs concernés. Par ailleurs, la restriction s’applique uniquement aux infrastructures situées en Russie.  

Sont ainsi visées plusieurs infrastructures stratégiques russes, notamment les aéroports de Moscou (4), quatre aéroports régionaux et plusieurs ports russes (5). 

 

  1. Renforcement des mesures financières 

La décision (PESC) 2025/394 renforce les mesures restrictives en interdisant la fourniture de services spécialisés de messagerie financière à certains établissements de crédit et entités russes. Cette interdiction s’étend également aux filiales russes de banques de pays tiers qui jouent un rôle stratégique dans le système financier et bancaire russe. 

 

Les entités concernées par cette mesure incluent : 

  • les grandes banques régionales, 
  • les établissements facilitant des paiements transfrontaliers de grande envergure, 
  • les institutions financières opérant dans les territoires ukrainiens occupés, 
  • les banques déjà soumises à des sanctions de l’Union européenne ou d’États partenaires. 
  1. Suspension de la diffusion de médias impliqués dans la désinformation 

L’Union européenne a suspendu la diffusion de huit nouveaux médias russes sur son territoire et vers l’Union européenne. Cette décision repose sur le rôle de ces médias dans la justification et le soutien de l’agression russe contre l’Ukraine. 

 

  1. Adoption de nouvelles restrictions commerciales 
  • Restriction d’importation d’aluminium  

L’Union européenne a décidé d’interdire l’importation d’aluminium en provenance de Russie, incluant désormais l’aluminium primaire en complément de l’interdiction déjà en vigueur sur les produits en aluminium transformés. 

Afin de permettre aux entreprises européennes d’adapter progressivement leurs chaînes d’approvisionnement, un mécanisme transitoire de quotas a été instauré. Il autorise l’importation de 275 000 tonnes sur une période de 12 mois, soit environ 80 % des importations européennes en 2024. 

La Commission s’est engagée à suivre l’évolution de cette mesure et, si nécessaire, à proposer des mesures d’atténuation (6). 

 

  • Renforcement des restrictions concernant l’exportation de certains biens 

Les restrictions à l’exportation des biens à double usage s’étendent désormais aux précurseurs chimiques utilisés dans la fabrication de chloropicrine et d’autres agents de contrôle des foules. 

L’Union européenne a également élargi la liste des biens susceptibles de renforcer les capacités militaires et technologiques de la Russie. Sont désormais concernés : 

  • les logiciels destinés aux machines-outils à commande numérique (CNC), utilisés dans la fabrication d’armes et parfois détournés par l’armée russe pour le pilotage de drones militaires via des manettes de jeux vidéo;  
  • les composés du chrome;  
  • les contrôleurs servant au guidage des UAV (7).  

Par ailleurs, afin de lutter contre la réexportation illégale de biens soumis à sanctions, le règlement (UE) 833/2014 (8) impose désormais aux opérateurs européens vendant des articles communs hautement prioritaires, des moteurs à explosion, des interrupteurs, sectionneurs et commutateurs (9)  à des pays tiers, hors partenaires de l’Union européenne, de mettre en place des mécanismes de diligence raisonnable. Ces dispositifs doivent se traduire par:  

  1. la mise en œuvre de mesures appropriées, proportionnellement à leur nature et à leur taille, pour identifier et évaluer les risques d'exportation vers la Russie et d'exportation en vue d'une utilisation en Russie de tels biens ou technologies.  
  2. des évaluations des risques documentées et tenues à jour; 
  3. la mise en œuvre des politiques, des contrôles et des procédures appropriés, proportionnellement à la nature et à la taille des opérateurs européens, visant à atténuer et à gérer efficacement les risques d'exportation vers la Russie et d'exportation en vue d'une utilisation en Russie de tels biens ou technologies, que ces risques aient été identifiés à leur niveau ou au niveau de l'État membre ou de l'Union.  

 

En outre, les opérateurs de l'Union doivent également veiller à ce que les personnes morales, entités et organismes établis en dehors de l'Union qu'ils détiennent ou contrôlent mettent également en œuvre ces obligations (10). 

Il est prévu que la Commission accompagne les opérateurs économiques pour faciliter leur mise en conformité avec ces nouvelles exigences. 

 

  • Nouvelle interdiction visant les services de construction  

Afin d'empêcher les opérateurs de l'Union de contribuer au développement des infrastructures russes, le 16ème train de sanctions introduit l’interdiction de fournir des services de construction, y compris de travaux de génie civil, étendant l'approche déjà mise en place dans les parties illégalement occupées de l'Ukraine.  

Ces restrictions sont toutefois soumises à certaines dérogations, accordées par les autorités nationales compétentes selon les conditions prévues par l’article 5 quindecies du règlement (UE) 833/2014.  

 

  1. Renforcement des mesures de lutte contre le contournement des sanctions 

74 nouveaux navires ont été ajoutés à la liste des entités sanctionnées, portant ainsi à 153 le nombre total de navires visés. Ces navires appartiennent à la « flotte fantôme » russe ou ont contribué aux revenus énergétiques de la Russie. 

L’Union européenne a également introduit un nouveau critère permettant de sanctionner les personnes et entités soutenant les opérations de pétroliers non sécurisés. 

Par ailleurs, l’Union a décidé d’imposer des restrictions à l’exportation visant 53 nouvelles entreprises. Ces entités soutiennent le complexe militaro-industriel russe ou sont impliquées dans le contournement des sanctions. Parmi elles, 34 sont situées dans des pays tiers, ce qui témoigne d’une volonté de renforcer la surveillance et la mise en œuvre des mesures restrictives européennes à l’échelle internationale. 

Notons à cet égard que le 16ème train de sanctions consacre le rôle des Cellules de Renseignement Financières («CRF») dans l'échange d'informations utiles aux fins de la mise en œuvre et du contrôle de l'application des mesures restrictives énoncées dans le règlement (UE) n°833/2014 (11). 

 

Renforcement concomitant des régimes de sanctions européennes 

Les mesures adoptées par le Conseil le 24 février 2025 comprennent de nouvelles restrictions à l'encontre de (i) la Biélorussie (12),(ii) la Crimée, Sébastopol (13) et (iii) des zones non contrôlées par le gouvernement ukrainien dans les oblasts de Donetsk, Kherson, Louhansk et Zaporijjia (14).  

A cet égard, il est intéressant de noter que ces nouvelles mesures se calquent, en partie, sur le modèle des sanctions de nature commerciale adoptées par le Conseil à l'encontre de la Fédération de Russie.  

Ainsi, les trois régimes de sanctions prévoient désormais des restrictions similaires, incluant notamment

  • Des restrictions concernent la fourniture de services de comptabilité, de contrôle des comptes, de tenue de livres, de conseils fiscaux, de conseils en matière d’entreprise et de gestion, de relations publiques, de construction, d'architecture, d'ingénierie, de conseil juridique, de conseils en informatique, d'études de marché et de sondages, d'essais et d'analyses techniques ainsi que de publicité.  

 

  • Des restrictions concernant la fourniture de certains logiciels pour la gestion d'entreprises et pour la conception et la fabrication industrielles, ainsi que les droits de propriété intellectuelle ou les secrets d'affaires y afférents.  

 

  • L’obligation pour les opérateurs de l’Union de «tout mettre en œuvre» pour s’assurer que les personnes morales, les entités et les organismes établis en dehors de l’Union qu’ils détiennent ou contrôlent ne participent pas àdes activités qui sapent les mesures restrictives.  

L’adoption récente de ces mesures, dans un contexte de bouleversement géopolitique, témoigne d’une volonté d’harmoniser les régimes de sanctions européennes, dans l’optique d’asseoir l’influence de l’Union européenne sur la stratégie de guerre menée par la Fédération de Russie et ses proches alliés. 

 

  1. Règlement (UE) 269/2014.  
  2. Considérant 23 du Règlement (UE) 2025/395 du Conseil du 24 février 2025.  
  3. Annexe XLVII.  
  4. Vnoukovo et Joukovski.  
  5. Notamment les ports d’Astrakhan sur la Volga, de Makhatchkala sur la mer Caspienne, d’Oust-Louga et de Primorsk sur la mer Baltique. Le port de Novorossiisk, situé sur la mer Noire, est également visé par cette interdiction.  
  6. Considérant (15), Règlement (UE) 2025/395 du Conseil du 24 février 2025.  
  7. Unmanned Aerial Vehicle (drône).  
  8. En application de la Décision (PESC) 2025/394 du Conseil du 24 février 2025 (considérant 42 du règlement (UE) 2025/395 du Conseil du 24 février 2025).  
  9. Article 12 octies ter du règlement (UE) 833/2014.  
  10. En application de la Décision (PESC) 2025/394 du Conseil du 24 février 2025 (considérant 42 du règlement (UE) 2025/395 du Conseil du 24 février 2025.  
  11. Article 12 bis du règlement (UE) 833/2014.  
  12. Règlement (UE) 2025/392 du Conseil du 24 février 2025. 
  13. Règlement (UE) 2025/401 du Conseil du 24février 2025. 
  14. Règlement (UE) 2025/398 du Conseil du 24février 2025.
Explorez notre collection de documents PDF et enrichissez vos connaissances dès maintenant !
[[ typeof errors.company === 'string' ? errors.company : errors.company[0] ]]
[[ typeof errors.email === 'string' ? errors.email : errors.email[0] ]]
L'email a été ajouté correctement