
Article Brevets | 16/07/25 | 10 min. | Grégoire Desrousseaux Anaïs Pallut Océane Millon de La Verteville
La Cour d’appel de Paris a rendu le 4 juillet un nouvel arrêt se prononçant sur un recours formé contre une décision du directeur général de l’INPI statuant sur opposition d’un brevet français.
Par cet arrêt, rendu dans l’affaire Linxens (breveté) contre Thalès (opposant)[1], la cour confirme la décision de l’INPI révoquant le brevet FR3063555 de Linxens.
L’arrêt comporte deux points d’intérêt pour les praticiens :
Compétence de la cour pour connaître d'une demande en annulation de la décision de l’INPI
Linxens reprochait à l'INPI de ne pas avoir respecté le principe du contradictoire pour différentes raisons :
La cour juge la demande en annulation recevable en indiquant que « en raison de l’effet dévolutif attaché au recours formé contre la décision du directeur général de l’INPI révoquant le brevet, la cour est compétente pour connaître d’une demande principale en annulation de cette décision pour violation du principe de la contradiction ». Le premier enseignement de cet arrêt est donc que, bien que le recours sur opposition à un brevet français soit un recours en réformation[2], la cour a le pouvoir de contrôler le respect du contradictoire et d’annuler la décision en cas de violation.
En revanche, sur le fond, la cour suit les observations de l’INPI et les arguments de Thalès pour conclure qu’en l’espèce, la preuve d’une violation du principe de la contradiction n’est pas rapportée.
La cour relève d’abord que Linxens ne justifie pas qu’elle n’était pas en mesure de répondre utilement aux observations de Thalès et de discuter du nouveau document lors de la phase orale. Ce faisant, l’arrêt apporte un deuxième enseignement, relatif à la séparation entre la phase écrite et la phase orale de la procédure devant l’INPI[3]. La cour confirme implicitement que la fin de la phase écrite n’interdit pas au titulaire de répliquer (et de déposer de nouvelles requêtes) y compris pendant la phase orale. Autrement dit, la fin de la phase écrite n’est pas l’équivalent d’une clôture en procédure civile.
Le troisième enseignement de cette décision concerne le critère d’admissibilité des requêtes pendant la phase orale. Sur ce point la cour confirme la position déjà exprimée dans son arrêt du 29 mai 2024 dans l’affaire BMW (opposant) c. Michelin (breveté)[4] : le critère pour admettre des requêtes pendant la phase orale est que le principe du contradictoire, mentionné à plusieurs reprises dans le code[5], puisse être respecté.
En l’espèce, la cour approuve l’INPI d’avoir rejeté la seconde requête subsidiaire présentée par Linxens pendant la phase orale. Il s’agissait d’une requête complexe (elle comportait quatre revendications indépendantes alors que le brevet délivré n'en comprenait que deux) et elle avait été présentée lors de la réunion[6], c’est-à-dire à la toute fin de la phase orale. La Cour juge par conséquent cette requête « manifestement tardive, un débat contradictoire suffisant ne pouvant avoir lieu lors de cette phase, de sorte qu’il ne peut être reproché à l’INPI de l’avoir écartée ». Il aurait sans doute été plus prudent pour le titulaire de déposer cette nouvelle requête avant la réunion[7].
En revanche, la cour juge que l’utilisation de l’expression « généralisation intermédiaire » dans la décision de l’INPI n’est pas un motif d’annulation de la décision, la généralisation intermédiaire n’étant qu’une forme d’extension de l’objet, laquelle a pu être débattue contradictoirement par les parties. La cour s’attache aux débats qui ont eu lieu, plus qu’aux termes de la décision de l’INPI.
Confirmation de l’impossibilité pour le titulaire de soumettre de nouvelles requêtes en modification du brevet au stade du recours si ces nouvelles requêtes ne viennent pas répondre à des éléments nouveaux
Au stade du recours, Linxens avait présenté deux nouvelles requêtes portant modification des revendications. Ces requêtes étaient nouvelles en ce qu’elles ne correspondaient à aucune des requêtes présentées devant l’INPI.
Thalès a opposé l’irrecevabilité de ces requêtes nouvelles comme constituant des prétentions nouvelles.
Au visa de l'article R.411-38 du CPI, la cour juge que « des requêtes formulées pour la première fois à hauteur d'appel afin que le brevet soit maintenu sous une forme modifiée ne peuvent s'analyser en des moyens nouveaux, dès lors qu'elles tendent à modifier les revendications du brevet devant la cour d’appel. Elles s'analysent en des prétentions qui ne peuvent tendre aux mêmes fins que celles soumises au directeur général de l'INPI dès lors qu'elles ne visent pas l'obtention de la même protection que celles des revendications découlant des requêtes déposées à la commission d'opposition de l'INPI. ». Elle précise que « Linxens ne peut utilement faire valoir que ces nouvelles requêtes visent à faire juger les questions nées de la survenance ou de la révélation d'un fait dès lors que le moyen tiré de l'extension de l'objet au-delà de la demande de brevet telle que déposée avait été invoqué durant la procédure administrative et que le directeur général de l'INPI, en retenant l'existence d'une généralisation intermédiaire prohibée qui était dans le débat, y a répondu ».
Ce faisant, la Cour confirme la décision prise le 9 avril dernier dans l’affaire Tinnus contre Koopman, et déjà commentée[8].
Ainsi, la position de la Cour est claire : en l’absence d’élément nouveau devant la cour – antériorité ou motif de nullité – le titulaire n’est pas recevable à présenter de nouvelles requêtes en modification de son brevet au stade du recours. Autrement dit, si l’opposant s’en tient aux moyens ou antériorités présentés devant l’INPI (quand bien même l’article R. 411-38 du CPI lui permet d’invoquer de nouveaux documents devant la cour), le breveté n’est pas fondé à déposer de nouvelles requêtes.
Reste à connaître la position de la Cour dans le cas où ces nouvelles requêtes répondraient non pas comme ici à un moyen déjà discuté devant l’INPI, mais à un nouveau moyen ou à un nouveau document soulevé par l’opposant au stade du recours. Selon nos sources, cette question s’est posée à la cour dans une affaire dont le délibéré était attendu le 11 juillet dernier. Nous ne manquerons pas de réagir dès que nous en aurons pris connaissance. Parions que, dans ce cas, les requêtes nouvelles seront admissibles : le breveté doit en effet pouvoir répliquer à un nouvel état de la technique par des arguments et/ou par de nouvelles requêtes[9].
[1] RG 23/16553, le cabinet August Debouzy représentait l’opposant (Thales) dans cette affaire
[2] Article L. 411-19 al. 2 du CPI
[3] Ces différentes phases sont décrites à l’article R. 613-44-6 du CPI
[4] dans laquelle le cabinet August Debouzy représentait Michelin. Dans cette décision, la cour d’appel juge, au visa de l’article R. 613-44-7 du CPI que « le directeur de l’INPI statue au vu de l’ensemble des observations écrites et orales présentées par les parties ainsi que des dernières propositions de modification du brevet et que sa décision peut s’appuyer sur des « faits invoqués ou des pièces produites » postérieurement aux délais impartis initialement, la seule réserve posée par cet article étant que les parties aient été à même d’en débattre contradictoirement ».
[5] Principe rappelé aux articles L. 613-23-2, R. 613-44-4 et surtout R. 613-44-7 du CPI.
[6] Réunion de la phase orale visée à l’article R. 613-44-6 du CPI
[7] Voir par analogie la procédure d’opposition devant l’OEB où des observations et requêtes déposées après la date fixée aux termes de la Règle 116(1) mais avant la procédure orale sont courantes.
[8] Arrêt rendu dans l’affaire RG 23/14096 et commenté dans notre flash disponible sur https://www.august-debouzy.com/fr/blog/2197-appeal-against-an-inpi-decision-on-patent-opposition-insights-from-the-paris-court-of-appeal-on-the-assessment-of-novelty-and-the-admissibility-of-new-subsidiary-requests-for-amendment-of-the-patent
[9] La procédure devant la cour d’appel différerait ici de celle devant les chambres de recours de l’OEB, l’article 12 du Règlement de procédure des chambres de recours interdisant en principe de nouveaux arguments et de nouvelles pièces en recours.