
Article Brevets | 10/10/25 | 11 min. | Geoffroy Thill Grégoire Desrousseaux
Dans un précédent article (accessible ici), nous avions laissé en suspens la question de savoir si le titulaire pourrait déposer de nouvelles requêtes subsidiaires en réaction à une nouvelle antériorité produite au stade du recours contre une décision de l’INPI statuant sur opposition d’un brevet français. L’arrêt du 26 septembre 2025[1] rendu dans le cadre du quatrième recours tranché par la cour d’appel de Paris apporte une réponse à cette question.
Cet arrêt s’intéresse tout d’abord à la nature des recours exercés à l’encontre des décisions statuant sur opposition à un brevet français. La requérante sollicitait l’annulation de la décision d’opposition. En réponse, la défenderesse a soulevé l’irrecevabilité de cette demande. La cour écarte la demande en irrecevabilité, en rappelant qu’il s’agit d’un recours en réformation[2] et que les recours en réformation défèrent à la cour la connaissance de l’entier litige. Ainsi, la demande en annulation de la décision ne pouvait tendre qu’à sa réformation. La cour confirme sa position adoptée dans un précédent arrêt[3], où elle s’était jugée compétente pour connaitre d’une demande en annulation du fait de l’effet dévolutif attaché au recours en réformation.
Sur le fond, la requérante-opposante produit en cause d’appel trois nouvelles antériorités[4] ; jugées insuffisantes par la cour à détruire la nouveauté du brevet maintenu modifié par l’INPI, mais suffisantes pour dénuer la revendication 1 d’activité inventive. Pour la première fois, la cour d’appel réforme donc une décision d’opposition, mais sur le fondement de nouvelles antériorités.
Cela nous amène au deuxième enseignement, le plus singulier de cet arrêt, sur la recevabilité d’une nouvelle requête subsidiaire produite à hauteur d’appel. La question n’est pas nouvelle, elle s’était déjà présentée dans deux des précédentes affaires. La cour d’appel avait déclaré irrecevables les nouvelles requêtes subsidiaires en relevant, dans la première affaire qu’aucune nouvelle antériorité n’était produite[5], dans la seconde affaire que les nouvelles requêtes visaient à répondre au grief d’extension de l’objet déjà invoqué devant l’INPI[6].
La question restait donc ouverte de savoir si le titulaire pourrait déposer de nouvelles requêtes subsidiaires en réponse à de nouvelles antériorités. La précision passée de la cour qui avait relevé qu’aucune nouvelle antériorité n’était produite pour justifier l’irrecevabilité de nouvelles requêtes subsidiaires laissait à penser que la présence d’une nouvelle antériorité pourrait légitimer la recevabilité d’une nouvelle requête. Mais ce n’est pas le raisonnement suivi par la cour dans la présente affaire, qui déclare pour la troisième fois irrecevables les nouvelles requêtes subsidiaires.
La cour d’appel retient tout d’abord, alignée en cela avec ses décisions antérieures sur ce sujet, que des requêtes subsidiaires formulées pour la première fois en cause d’appel ne sont pas des moyens nouveaux mais des prétentions nouvelles. Ces prétentions sont nouvelles puisqu’elles ne tendent pas aux mêmes fins que celles soumises au directeur général de l’INPI ; mais visent à l’obtention d’une protection différente.
Aux termes de l’article R.411-38 al. 2 du code de la propriété intellectuelle, ces prétentions nouvelles sont irrecevables d’office à moins qu’elles ne fassent juger des questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.
La cour considère que la production de nouvelles antériorités en cause d’appel n’est pas une raison suffisante pour admettre une nouvelle requête. Elle retient que les nouvelles antériorités opposées ne sont pas des faits nouveaux puisqu’elles font partie de l’état de la technique, préexistaient donc au moment du dépôt et pouvaient être prises en compte lors de la rédaction du brevet.
La solution retenue diverge de la pratique devant les chambres de recours de l'Office européen des brevets.
Devant les chambres de recours, l’article 12(4) du règlement de procédure impose de justifier la production de nouvelles antériorités[7] et l’article 12(6) interdit de retenir intentionnellement une antériorité dans l’attente du recours[8]. A contrario, devant la cour d’appel, le titulaire ne peut pas s’opposer à la production de nouvelles antériorités. L’article R.411-38 du code de la propriété intellectuelle autorise expressément les parties à invoquer devant la cour des moyens nouveaux, à produire de nouvelles pièces ou à proposer de nouvelles preuves.
Ensuite, en présence de nouvelles antériorités admissibles, les Chambres de recours de l’OEB autorisent le titulaire à répondre par de nouveaux d’arguments et/ou de nouvelles requêtes, conformément au droit d’être entendu garanti par l’article 113(1) de la convention sur le brevet européen[9]. A contrario, selon l’enseignement du présent arrêt, seules de nouveaux arguments sont admissibles devant la cour d’appel en réponse à de nouvelles antériorités.
Le titulaire se trouve dans une position particulièrement défavorable devant la cour d’appel : il ne peut s’opposer à la production de nouvelles antériorités, tout en se voyant interdire de déposer des requêtes nouvelles pour y répondre.
Reste à savoir si le raisonnement de la cour résistera à l’interprétation convergente entre l’OEB et l’INPI voulue par la Cour de cassation[10].
Si elle venait à être confirmée, une telle pratique risquerait d’entrainer des dérives procédurales en encourageant les opposants à conserver certaines antériorités spécifiquement pour la phase de recours, comme l’a justement relevé le directeur général de l’INPI dans ses observations. Elle inciterait également le titulaire à multiplier les requêtes subsidiaires devant la commission d’opposition, afin d’anticiper autant de solutions de repli que possible, y compris face à des antériorités dont il n’aurait pas encore connaissance.
On notera enfin que pour la première fois, la cour d’appel n’a condamné aucune des parties au paiement des frais irrépétibles. Elle condamne la requérante, « partie perdante », uniquement aux dépens. Bien que la requérante-opposante échoue à obtenir la révocation du brevet qui est maintenu selon la requête subsidiaire n°2[11] (requête recevable car déjà présentée devant l’INPI), elle obtient la réformation de la décision. La cour juge alors équitable que chaque partie conserve la charge de ses frais.
On peut d’ailleurs se demander si la cour aurait retenu la même solution quant à la recevabilité de la requête subsidiaire n°1, si la requête subsidiaire n°2 s’était révélée insuffisante face aux nouvelles antériorités pour permettre le maintien du brevet sous une forme modifiée.
[1] CA Paris, Pôle 5 – Chambre 1, 26 septembre 2025, RG n°23/06726
[2] Article R.411-19 du code de la propriété intellectuelle :
Les recours exercés à l'encontre des décisions mentionnées au premier alinéa de l'article L. 411-4 sont des recours en annulation.
Les recours exercés à l'encontre des décisions mentionnées au deuxième alinéa du même article L. 411-4 sont des recours en réformation. Ils défèrent à la cour la connaissance de l'entier litige. La cour statue en fait et en droit.
[3] CA Paris, Pôle 5 – Chambre 2, 4 juillet 2025, RG n°23/16553
[4] Aucune de ces trois antériorités n’étaient citées dans le Rapport de Recherche Préliminaire.
[5] CA Paris, Pôle 5 – Chambre 1, 9 avril 2025, RG n°23/14096 :
[…] étant au surplus observé qu’il n’est pas contesté que la société Koopman invoque devant la cour d’appel les mêmes motifs d’opposition et les mêmes documents de l’art antérieur que ceux invoqués devant l’INPI durant la procédure d’opposition
[6] CA Paris, Pôle 5 – Chambre 2, 4 juillet 2025, RG n°23/16553 :
Par ailleurs, la société Linxens ne peut utilement faire valoir que ces nouvelles requêtes visent à faire juger les questions nées de la survenance ou de la révélation d'un fait dès lors que le moyen tiré de l'extension de l'objet au-delà de la demande de brevet telle que déposée avait été invoqué durant la procédure administrative et que le directeur général de l'INPI, en retenant l'existence d'une généralisation intermédiaire prohibée qui était dans le débat, y a répondu.
[7] Article 12(4) §2 du règlement de procédure :
La partie doit indiquer clairement chaque modification et justifier pourquoi elle la soumet dans la procédure de recours.
[8] Article 12(6) §2 du règlement de procédure :
La chambre n'admet ni requêtes, ni faits, ni objections, ni preuves qui auraient dû être soumis ou qui n'ont pas été maintenus dans la procédure ayant conduit à la décision attaquée, à moins que les circonstances du recours justifient leur admission.
[9] Voir les Directives relatives à l’examen pratiqué à l’Office européen des brevets, avril 2025, E-VI, 2.2.4, en cas de nouvelle antériorité, le titulaire peut présenter une nouvelle requête :
De même, lorsque l'opposant produit de nouveaux éléments pertinents, le titulaire du brevet doit avoir la faculté de prendre position et de présenter des modifications.
[10] Cass. Com., 30 août 2023, pourvoi n°20-15.480
[11] Dans l’arrêt, la requête subsidiaire n°2 est annexée au dispositif.