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Lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme : convergence des dynamiques internationales et nationales

Article Compliance | 28/11/25 | 58 min. | Olivier Attias Dahlia Brazi

Banque - Finance

Alors que l’année 2025 s’achève, la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (ci-après « LCB-FT ») s’impose plus que jamais comme un enjeu central de sécurité publique. En France, l’actualité récente a été marquée par une accélération des actions menées contre le narcotrafic, dont les revenus massifs irriguent des circuits financiers occultes particulièrement structurés. Le renforcement du dispositif national, amorcé notamment avec la loi du 13 juin 2025 visant à « sortir la France du piège du narcotrafic », s’inscrit ainsi dans une volonté plus large de s’attaquer simultanément aux trafics et aux flux criminels qui les alimentent.

Cette mobilisation intervient dans un contexte international en pleine évolution. Le 4 novembre 2025, le Groupe d’action financière (ci-après « GAFI ») a publié un guide à destination des Etats portant sur la récupération des avoirs criminels dans lequel il propose une série de recommandations destinées à améliorer l’identification, la saisie et la restitution des avoirs issus d’activités criminelles (I). En parallèle, en France, plusieurs propositions et projets de loi traduisent une intensification de l’effort législatif en matière de LCB-FT, confirmant une dynamique nationale de consolidation du cadre normatif (II).

  1. Au niveau international : publication par le GAFI d’un guide sur la récupération des avoirs criminels

Le 4 novembre 2025, le GAFI a publié un guide intitulé « Asset Recovery Guidance and Best Practices » (ci-après le « Guide ») portant sur la récupération des avoirs criminels[1].

Selon un rapport d’Europol en 2016, seulement 2 % des avoirs d'origine criminelle sont gelés et 1 % sont effectivement confisqués dans l'Union européenne[2], ce qui confirme que le recouvrement des avoirs demeure l’un des maillons les plus faibles de la lutte contre la criminalité financière.

Malgré les avancées réglementaires, l’efficacité des dispositifs actuels reste limitée, compromettant la capacité des États à priver les criminels des profits tirés de leurs activités illicites.

Avec ce Guide, le GAFI formule une série de recommandations destinées à mieux identifier, saisir et restituer les avoirs criminels afin de consolider le cadre normatif international et d’encourager une application plus homogène de ces standards entre États.

Le Guide s’adresse principalement aux autorités politiques, judiciaires et de poursuite, ainsi qu’aux agences et institutions impliquées dans la lutte contre la criminalité financière ou dans le recouvrement des avoirs.

Il s’inscrit dans la continuité des travaux du GAFI contre la criminalité financière, notamment la publication, le 5 septembre dernier d’un manuel technique élaboré conjointement avec INTERPOL, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC) et le Groupe Egmont pour renforcer la coopération internationale en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux[3].

S’appuyant sur plus de 85 cas concrets couvrant des domaines variés, le Guide propose de revenir sur plusieurs orientations concrètes afin d’accroître l’efficacité du système de récupération des avoirs criminels.

  1. Le recouvrement des avoirs criminels érigé en priorité

Alors que les évaluations du GAFI révèlent que plus de 80 % des juridictions présentent un niveau d'efficacité faible ou modéré en matière de recouvrement d'avoirs criminels[4], le Guide souligne la nécessité d’ériger la récupération des avoirs issus d’activités illicites en véritable priorité pour les États.

Dans cette perspective, il met l’accent sur la mise en œuvre effective de la Recommandation n°4 du GAFI qui invite les Etats à définir des politiques dédiées claires[5] et à se doter de cadres opérationnels plaçant la récupération des avoirs criminels au cœur de leur dispositif national de LCB-FT. Il préconise également l’allocation de ressources humaines et techniques suffisantes[6], ainsi que la formation renforcée des acteurs impliqués, afin d'améliorer concrètement l’efficacité des actions menées[7].

Le GAFI rappelle également que la récupération des avoirs constitue l’un des moyens les plus efficaces pour réduire les activités criminelles, en privant les auteurs — individus ou organisations structurées — du produit de leurs activités illégales. En limitant les gains financiers, les Etats peuvent influer sur les comportements criminels et affaiblir l’économie souterraine[8].

Au-delà de la mise en place de mécanismes de coordination et de coopération interinstitutionnels[9], le Guide insiste sur la nécessité de s’appuyer sur des partenariats nationaux et internationaux. La contribution du secteur privé et de la société civile s’avère à ce titre essentiel pour assurer une récupération efficace des avoirs criminels.

Ainsi :

  • les acteurs de la société civile (journalistes, ONG) jouent un rôle déterminant dans la révélation des activités illicites et dans la promotion des réformes visant à renforcer la LCBFT ; et,
  • les acteurs privés, en particulier les institutions financières et les prestataires de services non financiers, fournissent des informations cruciales, tant au stade du renseignement qu’à celui de l’enquête[10].

Le Guide met ainsi l’accent sur le rôle important de ces parties prenantes, celles-ci étant souvent les premières à détecter les flux financiers atypiques ou suspects.

  1. Le rôle central des enquêtes financières : une implication renforcée pour les acteurs économiques

Le Guide insiste sur le rôle déterminant des enquêtes financières dans le processus de récupération des avoirs criminels et souligne, par ricochet, l’importance croissante des informations détenues par les acteurs économiques. Celles-ci constituent non seulement un outil essentiel pour identifier et tracer les avoirs illicites, mais également un levier permettant d’éclairer les autorités dans le cadre des procédures pénales.

Le GAFI recommande que les recherches d’avoirs soient engagées dès l’ouverture d’une enquête pénale, afin notamment d’éviter la dissipation des actifs, d’optimiser la collecte de preuve, et, in fine, à faciliter l’indemnisation des victimes[11].

Pour les entreprises assujetties, cela implique de disposer de mécanismes internes permettant de répondre rapidement et efficacement aux sollicitations des autorités.

Le Guide met particulièrement en avant le rôle du renseignement financier et de la traçabilité des avoirs. L’exploitation des données relatives aux bénéficiaires effectifs l’analyse des actifs virtuels ainsi que l’usage d’outils technologiques fondés sur la blockchain deviennent désormais des éléments incontournables, tant pour les autorités que pour les entreprises soumises à des obligations de vigilance[12].

Le Guide rappelle encore que la planification en amont des opérations de saisie est une étape clé[13].

Pour les acteurs privés, cela implique de pouvoir documenter précisément les flux, d’assurer une conservation fiable de la documentation, et d’anticiper les éventuels contentieux liés au gel d’avoirs ou aux demandes d’information.

Le Guide rappelle enfin que la performance des enquêtes financières repose en grande partie sur la qualité des échanges entre les autorités et les acteurs économiques. Les institutions financières, les fintech ou encore les professionnels de l’immobilier disposent d’une expertise unique sur :

  • les tendances d’activité suspecte ;
  • les typologies de fraude émergentes ; ou encore,
  • les flux financiers inhabituels ou restructurés[14].

Leur capacité à détecter, documenter et transmettre des signaux pertinents constitue donc un élément central du dispositif.

Des échanges réguliers avec les autorités permettent non seulement de fluidifier les enquêtes financières mais aussi d’améliorer la conformité interne et la gestion des risques.

  1. Prévenir la dissipation des actifs par le recours aux mesures provisoires

Le Guide souligne l’importance des mesures provisoires visant à prévenir la dissipation des actifs. Ces mesures – qui s’appliquent entre la détection d’un actif suspect et la décision judiciaire définitive de confiscation – constitue un outil central du dispositif LCB-FT.

Le recours précoce et systématique aux mesures provisoires dans le cadre des enquêtes financières est encouragé, dès lors que l’état d’avancement de l’enquête le justifie[15]. Cela inclut notamment la possibilité pour les cellules de renseignement financiers de directement s’opposer à une opération non encore exécutée[16] pour laquelle il existe des soupçons de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme[17].

Ces obligations, qui existent d’ores-et-déjà dans la réglementation européenne et française de LCB-FT, impliquent pour les entreprises assujetties de disposer de processus internes capables :

  • d’identifier rapidement une opération atypique ;
  • d’activer sans délai les mécanismes de gel ou de suspension ;
  • de documenter de manière rigoureuse les décisions prises ; et,
  • de déclarer tout soupçon aux cellules de renseignement financier (notamment TRACFIN en France) et de dialoguer efficacement avec cellesci ainsi qu’avec les autorités de supervision.

Pour les établissements financiers, fintechs, assureurs, prestataires de services sur crypto-actifs, professionnels du luxe ou de l’immobilier, ces mesures ne sont pas neutres : elles peuvent concerner des montants importants, des transactions sensibles, des clients stratégiques ou des opérations urgentes. L’anticipation et la maîtrise de ces procédures sont donc essentielles pour éviter des contentieux, préserver la relation clientèle et limiter les risques de sanction.

Le Guide envisage ensuite la possibilité, dans certaines situations d’urgence, de procéder à un gel ou une saisie accélérée, lorsque les actifs risquent de disparaître ou d’être utilisés pour faciliter la poursuite de l'infraction. Cette mesure doit être souple mais encadrée et rapidement soumise au contrôle d’une autorité judiciaire[18]. Le Guide rappelle d’ailleurs que certains dispositifs nationaux prévoient déjà des mécanismes pouvant être qualifiés de rapide afin de prévenir la dissipation des avoirs criminels, notamment les saisies opérées au stade de l’enquête pénale[19]. En France, de telles mesures existent de longue date : les saisies pénales réalisées en cours d’enquête permettent à l’autorité judiciaire d’appréhender rapidement des biens en lien avec une infraction en vue de leur éventuelle confiscation[20].

La gestion provisoire des biens gelés ou saisis est également essentielle à la réussite du processus de recouvrement des avoirs. Dans ce contexte, les autorités chargées de l’application de la loi ou les bureaux ou agences de gestion des avoirs doivent faire en sorte de maintenir la valeur des actifs jusqu'à leur disposition finale ou d’atténuer les pertes lorsque la préservation de la valeur n'est pas possible[21].

A cet égard, pour illustrer un modèle abouti de gestion et de valorisation des avoirs, le Guide prend pour exemple la France avec l’Agence de Gestion et de Recouvrement des Avoirs Saisis et confisqués (ci-après « AGRASC ») placée sous la tutelle conjointe du Ministère de la Justice et du Ministère de l’Action et des Comptes publics[22].

L’AGRASC accompagne les magistrats et enquêteurs dans la mise en œuvre des saisies et confiscations, la gestion des avoirs saisis (fonds, biens mobiliers et immobiliers), d’en assurer la vente ou la restitution, et de reverser les produits confisqués à l’État, aux victimes ou à des fonds dédiés[23].

Même si l’AGRASC intervient principalement du côté des autorités, son action a des implications directes pour les opérateurs économiques, qui peuvent être amenés à :

  • fournir des informations complémentaires ;
  • préserver certains actifs jusqu’à leur transfert ; ou,
  • participer à la restitution ou la valorisation des avoirs.

Pour les entreprises, l’enjeu est donc dual à savoir :

  • assurer une réactivité conforme aux attentes réglementaires ;
  • tout en maîtrisant les risques opérationnels liés aux gels et suspensions d’opérations.
  1. L’importance d’une gamme complète de mécanismes de confiscation permettant la récupération des avoirs criminels

Le Guide rappelle que, conformément à la note interprétative de la Recommandation n°4 du GAFI, les États devraient disposer d’une gamme complète de mécanismes de confiscation des avoirs criminels, incluant :

  • la confiscation fondée sur une condamnation ;
  • la confiscation sans condamnation ; ainsi que,
  • le recouvrement fiscal, permettant, sans constituer formellement un outil de confiscation, de priver les criminels de leurs gains illicites.

Il souligne également la souplesse et les chevauchements entre ces différents régimes, qui doivent être conçus de manière complémentaire afin d’assurer une privation effective des produits du crime[24].

Le Guide s’intéresse en particulier au recours à la confiscation sans condamnation, utilisée dans certaines juridictions recherchant une certaine souplesse dans leurs efforts de recouvrement d'actifs. Ce mécanisme permettrait – selon le GAFI – notamment de viser les biens criminels dans les situations où la poursuite de l’auteur présumé n’est pas possible (fuite, décès, immunités, etc.)[25].

Le Guide encourage également la confiscation étendue permettant de confisquer des biens obtenus du biais d’activités illicites au-delà de ceux directement liés à l’infraction pour laquelle la personne a été condamnée. Toutefois, du point de vue du droit français, ces mécanismes appellent des réserves importantes.

D’une part, la présomption d’innocence, principe fondamental à valeur constitutionnelle et conventionnelle, commande que les atteintes les plus graves aux droits patrimoniaux interviennent, en principe, à l’issue d’un procès équitable ayant conduit à une condamnation.

D’autre part, le droit de propriété, également protégé constitutionnellement, ne peut être restreint que dans des conditions strictement encadrées, proportionnées à l’objectif poursuivi et assorties de garanties procédurales effectives.

Or, la confiscation sans condamnation comme certains régimes de confiscation étendue, tels qu’envisagés dans d’autres États, tendent à déplacer le centre de gravité :

  • en affaiblissant le lien entre condamnation et privation de propriété ; et,
  • en inversant parfois la charge de la preuve sur l’origine licite des biens.

L’extension trop large de ces dispositifs présente un risque d’insécurité juridique et d’atteinte disproportionnée à des patrimoines dont l’illégalité n’est pas toujours clairement établie.

Le Guide se prononce également en faveur de mécanismes relatifs aux ressources inexpliquées visant à contraindre la personne visée à démontrer l’origine légale de tout ou partie de ses biens.

Il cite, à cet égard, l’exemple des Unexplained Wealth Orders (UWO) mis en place au Royaume-Uni en 2017, qui permettent, au-delà d’un certain seuil, de requérir de la personne concernée qu’elle justifie la nature et l’origine de son patrimoine, à défaut de quoi ses biens peuvent être visés par une procédure civile de recouvrement[26].

Là encore, cette logique interroge, au regard :

  • du principe selon lequel il appartient à l’accusation de démontrer le caractère illicite d’un bien ; et,
  • de la protection du droit de propriété contre des mesures trop intrusives fondées sur une présomption d’irrégularité.

Dans ce contexte, deux observations s’imposent pour la France :

  • Premièrement, la France demeure volontairement fondée sur une confiscation principalement adossée à une condamnation pénale. S’il existe des dispositifs produisant des effets proches de la confiscation sans condamnation (par exemple, l’article 414 du Code de procédure pénale permettant la restitution des objets placés sous main de justice, lorsque la propriété n’en est pas sérieusement contestée), ceux-ci restent encadrés et ne reposent pas sur une logique de privation patrimoniale large sans décision de culpabilité.

 

  • Deuxièmement, la tentative d’introduire un mécanisme spécifique d’« injonction pour ressources inexpliquées » dans le cadre de la loi du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic[27] n’a finalement pas abouti, précisément en raison des doutes exprimés quant à sa compatibilité avec la présomption d’innocence et de l’existence d’un outil déjà jugé suffisant : le délit de nonjustification des ressources (article 321-6 du Code pénal)[28].

Ainsi, pour les États ayant adopté une logique patrimoniale et préventive de la confiscation comme la France, les secteurs assujettis aux obligations de vigilance constituent une source essentielle de preuve. Les informations qu’ils recueillent dans le cadre de leur vigilance permettent d’établir l’existence de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme notamment en détectant toutes incohérences patrimoniales telle qu’un écart significatif entre les ressources déclarées et le patrimoine effectivement détenu.

  1. Le renforcement de la coopération internationale

S’appuyant sur les Recommandations 37, 38 et 40 du GAFI portant sur la coopération internationale et leurs notes interprétatives, le Guide met l’accent sur la nécessité de repenser les méthodes de coopération entre Etats pour identifier, saisir et confisquer les avoirs.

L’approche promue par le GAFI repose sur quatre principes à savoir la mutualité, la proactivité, l’adéquation et la souplesse qui traduisent une volonté de formaliser et d’accélérer les échanges entre autorités compétentes[29].

Face à la criminalité financière et au terrorisme transnational facilités par le numérique, les autorités doivent renforcer la collaboration directe entre services compétents notamment par le recours à des mécanismes de coopération formels et informels[30], à des équipes et réseaux d'enquête conjoints, tels que les réseaux interinstitutionnels de recouvrement d'avoirs et les cellules de renseignement financier[31].

Enfin, le GAFI insiste sur la nécessité de simplifier les procédures d’entraide judiciaire et d’améliorer la reconnaissance mutuelle des décisions étrangères de confiscation[32].

  1. La gestion, la restitution, le rapatriement et l’utilisation des avoirs confisqués

Le Guide aborde les dernières étapes de la récupération des avoirs, à savoir leur gestion, leur restitution ou leur utilisation. Il recommande de planifier en amont la gestion des avoirs confisqués, avec un double objectif[33] : 

  • maximiser la valeur de tous les avoirs pouvant être recouvrés ; et,
  • de garantir la réparation du préjudice des victimes.

Parmi les orientations mises en avant, le Guide recommande notamment la création d’un fonds de récupération des avoirs destiné à financer des actions publiques (sécurité, santé, éducation, etc.) ou à réinvestir les fonds dans les budgets généraux, tout en suivant une approche guidée par les intérêts de la justice et la protection des victimes[34].

Les États sont notamment encouragés à établir des procédures claires pour permettre aux victimes de présenter leurs demandes sur les avoirs confisqués, publier des guides accessibles expliquant les critères d’éligibilité et les démarches à accomplir, ou encore à prévoir des mécanismes de répartition équitable (par exemple pari passu ou pro rata) lorsque les fonds confisqués sont insuffisants pour indemniser l’ensemble des victimes[35].

Enfin, sur le plan international, il est souligné l’importance des accords de partage d’avoirs et de la répartition des coûts entre États lorsque la récupération résulte d’actions conjointes, en particulier dans les affaires de corruption[36].

  1. Un dispositif de récupération des avoirs devant en tout état de cause respecter les droits de l’homme et les libertés fondamentales

Pour finir, le Guide rappelle la nécessité d’un cadre garantissant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il souligne en particulier la nécessité de prévoir :

  • des mécanismes de contrôle ;
  • des exigences de transparence ; et,
  • des voies de recours effectives pour les personnes concernées.

Une politique efficace de récupération des avoirs criminels ne peut être menée que dans un système où les personnes concernées disposent d’une information claire et d’une possibilité réelle de contester les décisions de confiscation, qu’il s’agisse de la base juridique de la mesure, de son étendue ou de ses modalités pratiques[37].

  1. Au niveau national : la LCB-FT au cœur des récentes propositions et projets législatifs

Le législateur français poursuit l’intensification de son cadre normatif en matière de LCB-FT. Les propositions et projets de loi actuellement en discussion témoignent d’une volonté de moderniser et de renforcer l’efficacité du dispositif national, tout en l’alignant sur les exigences européennes et les standards internationaux.

Pour les acteurs économiques, ces évolutions impliquent une montée en puissance des obligations de vigilance, des contrôles internes et de la culture de conformité.

  1. Demande d’habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance pour transposer le sixième paquet législatif européen de LCB-FT

Adopté le 31 mai 2024, le paquet LCB-FT composé des règlements (UE) 2024 /1624 et (UE) 2024/1620 et de la directive (UE) 2024/ 1640 illustre le renforcement et la structuration de la politique européenne contre les atteintes à l’intégrité du système financier de l’UE.

Le 10 novembre 2025, le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle, énergétique et numérique a présenté en Conseil des ministres un projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’UE, permettant notamment d’habiliter le gouvernement à prendre, par voie d’ordonnance, toute mesure nécessaire pour assurer la transposition du paquet européen et la mise en cohérence et clarification du dispositif national avec ce dernier d’ici juillet 2027[38].

Parmi les mesures directement transposées dans le cadre de cette habilitation, figure une disposition permettant à un bénéficiaire effectif de restreindre la diffusion de ses informations auprès des entités assujetties et des personnes justifiant d’un intérêt légitime[39] lorsqu’il existe un risque disproportionné pour sa sécurité ou ses biens, ou lorsqu’il s’agit d’un mineur ou d’un majeur protégé[40].

Les règles d’accès aux registres des trusts et fiducies sont également adaptées revoyant l’application des mêmes garanties pour assurer la protection des personnes exposées à de tels risques[41].

Ces dispositions permettront de transposer l’article 15 de la directive (UE) 2024/1640 du 31 mai 2024, lequel introduit des exceptions aux règles d’accès aux registres des bénéficiaires effectifs[42] et qui doit être transposé au plus tard le 16 juillet 2026[43].

Pour les entreprises assujetties, l’enjeu sera double :

  • continuer à disposer d’une information suffisante pour remplir leurs obligations de vigilance ; et,

 

  • intégrer ces nouvelles restrictions dans leurs processus de connaissance client (KYC) et de traitement des registres.
  1. Proposition de loi visant à améliorer les moyens d’action de l’AGRASC

Le 14 novembre 2025, une proposition de loi a été déposée au Senat visant à améliorer les moyens d’action de l’AGRASC et à faciliter l’exercice des missions d’expert judiciaire[44].

La proposition de loi prévoit une série de mesures destinées à renforcer les outils mis à la disposition des magistrats dans le cadre de la récupération des avoirs. Elle vise notamment à accroître les moyens de l’AGRASC afin d’accélérer et de simplifier les procédures et d’améliorer les droits des victimes en facilitant la restitution des biens saisis.

Parmi les principales mesures proposées[45] :

Dans son ensemble, la proposition de loi s’inscrit dans la lignée des recommandations prévues par le Guide du GAFI sur la récupération des avoirs, en poursuivant un double objectif : accroître l’efficacité de la gestion en maintenant la valeur des biens saisis ainsi que de renforcer la restitution des avoirs criminels en assurant l’indemnisation des victimes.

Dans la continuité de la loi n° 2024-582 du 24 juin 2024, visant à améliorer l’efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels, laquelle avait déjà substantiellement renforcé le cadre français, la proposition de loi entend prolonger cet élan en consolidant les moyens et les pouvoirs de l’AGRASC, pour lui permettre d’agir de manière plus réactive et plus efficace.

  1. Projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales : plusieurs amendements relatifs à la LCB-FT adoptés en première lecture au Sénat

Alors que les discussions autour du projet de loi sur les fraudes sociales et fiscales se poursuivent, plusieurs dispositions liées à la LCB-FT se sont démarquées lors de l’adoption du texte en première lecture au Sénat.

  • Extension des obligations LCB-FT aux professionnels du luxe en cas de vente supérieur à 10.000 euros

Premièrement, le Sénat a validé un amendement proposant l’extension des obligations LCB-FT aux professionnels du luxe en cas de vente d’un bien d’une valeur supérieur à 10.000 euros.

Il est proposé de modifier le 11° alinéa de l’article L. 561-2 du Code monétaire et financier en intégrant en plus des personnes se livrant au commerce de biens acceptant des paiements en espèces ou au moyen de monnaie électronique d’un montant supérieur à 10.000 euros « les personnes se livrant, à titre d’activité professionnelle régulière ou principale, au commerce de biens relevant des secteurs de l’horlogerie, de la bijouterie, de la joaillerie ou de l’orfèvrerie, lorsque la valeur du bien dépasse 10 000 euros »[47].

Cette évolution s’inscrit dans la continuité du règlement (UE) 2024/1624 du 31 mai 2024 qui prévoit l’assujettissement à la réglementation LCB-FT des négociants en biens de haute valeur tels que les métaux précieux et pierres précieuses, les articles de bijouterie, joaillerie et orfèvrerie d’une valeur supérieure à 10.000 euros[48].

Ainsi, si elle est confirmée à la fin du processus législatif, cette mesure aura pour effet d’anticiper l’application du règlement européen prévue le 10 juillet 2027, en élargissant l’assujettissement des professionnels de luxe à l’ensemble des moyens de paiement, et non aux seuls paiements en espèces.  

Pour les acteurs du luxe, cela impliquera :

  • la mise en place de procédures de connaissance client adaptées ;
  • la formalisation de dispositifs d’alerte interne ; et,
  • la gestion de nouvelles obligations déclaratives.

 

  •  Vers un assujettissement du secteur des VTC à la réglementation LCB-FT ?

Un autre amendement adopté en première lecture vise à intégrer les plateformes de VTC dans le champ des entités assujetties à la réglementation LCB-FT.

Le secteur des VTC est identifié par les pouvoirs publics comme particulièrement exposé aux fraudes sociales et fiscales[49], et par conséquent vulnérable aux risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.

Les 12 et 13 novembre 2025, lors des discussions en séance publique du projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, un amendement a été proposé[50] afin d’ajouter à l’article L. 561-2 du Code monétaire et financier, un 21ème alinéa visant « les professionnels mentionnés à l’article L. 3141‑1 du code des transports », c’est-à-dire les plateformes qui mettent en relation des conducteurs ou des entreprises de transport et des passagers[51].

L’intégration de ces plateformes au sein des entités assujetties aurait pour effet de :

  • combler une zone de risque identifiée ;
  • soumettre ces acteurs à des obligations de vigilance comme prévu par la réglementation LCBFT (KYC, obligation de vigilance, évaluations des risques, procédure interne, déclarations de soupçon, etc.) ; et,
  • renforcer la traçabilité des flux financiers associés.

Cet amendement, adopté par le Sénat en première lecture, devra être confirmé lors de la suite de la procédure législative, mais il est d’ores et déjà appelé à être suivi de très près par les acteurs du secteur.

Il convient toutefois de noter que l’élargissement du champ d’application de la réglementation LCB-FT n’est pas une tendance nouvelle. Alors que la réglementation européenne de LCB-FT vise les professionnels de la vente de véhicules à moteur, de navires de plaisance et d’aéronefs[52], le législateur a étendu ce champ dans le cadre de la loi du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic, en incluant les activités de location de ces mêmes biens lorsque le prix de location dépasse un seuil fixé par décret[53].

 

*           *           *

 

Ces évolutions, tant internationales que nationales, confirment que la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme — en particulier dans le contexte de la criminalité organisée et du narcotrafic — demeure un axe central des politiques publiques.

Pour les acteurs économiques, la conformité LCB-FT n’apparaît plus seulement comme une obligation réglementaire, mais comme un levier de gouvernance, de gestion des risques et de crédibilité vis-à-vis des autorités, des partenaires et du marché.

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[2]           Europol, Does crime still pay? Criminal Asset Recovery in the EU (Le crime paie-t-il encore ? Le recouvrement des avoirs d'origine criminelle dans l'UE, Enquête statistique 2010-2014, 2016.

[3]           GAFI, Interpol, UNODC, Egmont Group, International Co-operation on Money Laundering Detection, Investigation and Prosecution Handbook, 2025.

[4]           GAFI, FATF releases detailed guidance to help practitioners recover criminal assets, communiqué du GAFI disponible à l’adresse suivante : https://www.fatf-gafi.org/en/publications/Methodsandtrends/asset-recovery-guidance-best-practices-2025.html.

[5]           GAFI, Asset Recovery Guidance and Best Practices, Chapitre 2, p. 23.

[6]           GAFI, Asset Recovery Guidance and Best Practices, Chapitre 2, p. 37.

[7]           GAFI, Asset Recovery Guidance and Best Practices, Chapitre 2, p. 38 à 39.

[8]           GAFI, Asset Recovery Guidance and Best Practices, Chapitre 2, p. 21.

[9]           GAFI, Asset Recovery Guidance and Best Practices, Chapitre 2, p. 47 à 52.

[10]          GAFI, Asset Recovery Guidance and Best Practices, Chapitre 2, p. 56.

[11]          GAFI, Asset Recovery Guidance and Best Practices, Chapitre 3, p. 67 et 68. 

[12]          GAFI, Asset Recovery Guidance and Best Practices, Chapitre 3, p. 69 à 72.

[13]        GAFI, Asset Recovery Guidance and Best Practices, Chapitre 3, p. 120 à 139.

[14]          GAFI, Asset Recovery Guidance and Best Practices, Chapitre 3, p. 75.

[15]          GAFI, Asset Recovery Guidance and Best Practices, Chapitre 4, p. 170.

[16]          Pour TRACFIN, cette prérogative est prévue à l’article L. 561-24 du Code monétaire et financier.

[17]          GAFI, Asset Recovery Guidance and Best Practices, Chapitre 4, p. 142 à 168.

[18]          GAFI, Asset Recovery Guidance and Best Practices, Chapitre 4, p. 169.

[19]          GAFI, Asset Recovery Guidance and Best Practices, Chapitre 4, p. 177.

[20]          Voir notamment : lors des enquêtes de flagrance : articles 54 et 56 du Code de procédure pénale ; lors des enquêtes préliminaires : article 76 du Code de procédure pénale et lors de l’information judiciaire : articles 94 et 97 du Code de procédure pénale.

[21]          GAFI, Asset Recovery Guidance and Best Practices, Chapitre 4, p. 192 à 194.

[22]          GAFI, Asset Recovery Guidance and Best Practices, Chapitre 4, p. 189.

[23]          Article 706-160 du Code de procédure pénale.

[24]          GAFI, Asset Recovery Guidance and Best Practices, Chapitre 5, p. 199 et suivantes.

[25]          GAFI, Asset Recovery Guidance and Best Practices, Chapitre 5, p. 224.

[26]          Criminal Finances Act 2017, section 362A : l’Unexplained Wealth Order est une injonction judiciaire visant une personne détenant des biens d’une valeur supérieure à 50.000 £, l’obligeant à justifier la nature de ses intérêts dans ces biens, l’origine des fonds ayant permis leur acquisition ainsi que toute autre information requise par l’injonction. Ce dispositif s’applique aux personnes politiquement exposées étrangères et leur famille ainsi qu’aux personnes soupçonnées d’être impliquée dans une infraction grave, dès lors qu’il existe des motifs raisonnables de nourrir ce soupçon.

[27]          Proposition de loi, adoptée par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, visant à sortir la France du piège du narcotrafic le 4 février 2025, T.A. n° 45, article 4.

[28]          Compte rendu, Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, suite de l’examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, visant à sortir la France du piège du narcotrafic (n° 907) (MM. Vincent Caure, Éric Pauget et Roger Vicot, rapporteurs),
5 mars 2025, séance de 15 heures, compte rendu n°44.

[29]          GAFI, Asset Recovery Guidance and Best Practices, Chapitre 6, p. 260.

[30]          GAFI, Asset Recovery Guidance and Best Practices, Chapitre 6, p. 261-266.

[31]          GAFI, Asset Recovery Guidance and Best Practices, Chapitre 6, p. 261.

[32]          GAFI, Asset Recovery Guidance and Best Practices, Chapitre 6, p. 278 et suivantes.

[33]          GAFI, Asset Recovery Guidance and Best Practices, Chapitre 7, p. 298.

[34]          GAFI, Asset Recovery Guidance and Best Practices, Chapitre 7, p. 310.

[35]          GAFI, Asset Recovery Guidance and Best Practices, Chapitre 7, p. 305.

[36]          GAFI, Asset Recovery Guidance and Best Practices, Chapitre 7, p. 314 à 317.

[37]          GAFI, Asset Recovery Guidance and Best Practices, Chapitre 8, p. 324 à 336.

[38]          Projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit du l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, d’information, de transport, de santé, d’agriculture et de pêche, 10 novembre 2025, Titre II, Article 10.

[39]          Article L561-46 du Code monétaire et financier : parmi les personnes justifiant d’un intérêt légitime, on retrouve notamment les journalistes, chercheurs et acteurs de la société civile engagés pour la transparence financière, les autorités judiciaires, Tracfin, les professionnels assujettis à la loi Sapin II du 9 décembre 2016, l’AFA, le parquet Européen, la CNS ou encore la HATVP. 

[40]          Projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit du l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, d’information, de transport, de santé, d’agriculture et de pêche, 10 novembre 2025, Titre II, Article 11.

[41]          Ibid.

[42]          Article 15 de la directive (UE) 2024/1640 du 31 mai 2024.

[43]          Article 78 de la directive (UE) 2024/1640 du 31 mai 2024.

[44]          Proposition de loi visant à améliorer les moyens d’action de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués et à faciliter l’exercice des missions d’expert judiciaire, n° 128, déposée le vendredi 14 novembre 2025.

[45]          Ibid.

[46]          La proposition tend ainsi à harmoniser les régimes de restitution des objets placés sous main de justice avant jugement, en ouvrant au procureur de la République la possibilité de restituer ou de faire restituer à la victime de l’infraction les biens concernés dès la phase d’enquête, à l’instar de ce qui est déjà permis au juge d’instruction (article 99 du Code de procédure pénale).

[47]          Projet de loi adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, n°21, session ordinaire de 2025-2026, 18 novembre 2025, article 15.

[48]          Article 3 du règlement (UE) 2024/1624 du 31 mai 2024.

[49]          Étude d’impact, Projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales, 13 octobre 2025.

[50]          Projet de loi, Lutte contre les fraudes sociales et fiscales (1ère lecture) (Procédure accélérée) (n° 112, 111, 104, 106), n°193 rect., amendement présenté par Mmes Nathalie Goulet et Antoine, 12 novembre 2025.

[51]          Sénat, session ordinaire de 2025‑2026, projet de loi relatif à la lutte contre les fraudes sociales et fiscales (procédure accélérée), article 8 bis nouveau.

[52]          Article 3, f du règlement n° 2024/1624 du 31 mai 2024 : les dispositions prévoient un assujettissement des « personnes négociants » des biens de grande valeur (dont les véhicules de transport de luxe (véhicules à moteur, véhicules nautiques et aéronefs)) sans précision sur l’assujettissement des loueurs de véhicules de transport de luxe.

[53]          Article L. 561-2 du Code monétaire et financier issu de la loi n° 2025-532 du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic.

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