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Arrêt de la cjue du 26 février 2015

Article Private Equity Gestion patrimoniale Droit fiscal | 03/06/16 | 8 min. | Xavier Rohmer

Arrêt de la cjue du 26 février 2015 : nouveau rebondissement pour les non-résidents

Depuis ces dernières années, les règles d’assujettissement aux prélèvements sociaux français[1]des non-résidents ont connu des aménagements qui risquent d’être une nouvelle fois bouleversés suite à la décision récente de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) en date du 26 février dernier[2].

Rappel du régime antérieur : principe de non-imposition aux prélèvements sociaux des non-résidents

Les prélèvements sociaux sont des prélèvements de nature fiscale mais dont l’objet, comme leur nom l’indique, est social dans la mesure où ces derniers ont été instaurés en France dans les années 1990 pour diversifier les sources de financement de la sécurité sociale française.

Initialement, seuls étaient redevables des prélèvements sociaux sur les revenus d’activité et de remplacement, les personnes physiques à la fois considérées comme fiscalement domiciliées en France et à la charge d’un régime obligatoire d’assurance maladie français.

En ce qui concerne les revenus du patrimoine et les produits de placement, leur assujettissement aux prélèvements sociaux était subordonné à la seule condition que les bénéficiaires soient fiscalement domiciliés en France sans référence à une affiliation au régime obligatoire d’assurance maladie français. En d’autres termes, les non-résidents fiscaux français étaient systématiquement exclus du champ d’application des prélèvements sociaux français du simple fait de leur résidence fiscale à l’étranger.

Dérogation apportée par la deuxième loi de finances rectificative pour 2012

Toutefois, l’article 29 de la deuxième loi de finances rectificative pour 2012 a étendu le champ d’application des prélèvements sociaux aux revenus provenant de la location d’immeubles sis en France (revenus fonciers) et aux plus-values immobilières de source française perçus par les personnes physiques fiscalement domiciliées hors de France.

Cette extension s’est appliquée aux revenus fonciers de source française perçus à compter du 1erjanvier 2012 et aux plus-values immobilières françaises réalisées à compter du 17 août 2012.

Suite à cette réforme, les non-résidents contribuent au financement de la sécurité sociale française dont ils ne bénéficient pourtant pas dans la majorité des cas. Il en résulte donc un risque de double imposition pour ces contribuables du fait de leur assujettissement aux prélèvements sociaux à la fois en France et dans leur Etat de résidence.

Contestation du risque de double imposition devant les institutions européennes

En 2013, suite à de nombreuses plaintes des élus nationaux, la Commission européenne a ouvert une procédure d’infraction à l’encontre de la France (procédure EU Pilot 2013/4168) qui aurait pour but de sanctionner la double imposition mise à la charge des non-résidents.

La même année, dans le cadre d’une affaire impliquant un travailleur migrant, résidant fiscalement en France, soumis obligatoirement à un régime de sécurité sociale néerlandais en raison de l’exercice de son activité professionnelle aux Pays-Bas et soumis aux prélèvements sociaux français sur ses revenus de patrimoine de source néerlandaise, le Conseil d’Etat a saisi la CJUE de la question préjudicielle suivante : « La loi française est-elle contraire à la législation européenne qui prévoit qu’un résident de l’Union européenne ne peut être soumis à des cotisations sociales dans plusieurs Etats membres ? » (Recours 623/13, 29 novembre 2013).

Dès lors que la réponse à cette question serait transposable aux résidents des Etats membres lorsqu’ils sont soumis aux prélèvements sociaux en France sur leurs gains et revenus immobiliers de source française, la Commission européenne a alors suspendu son travail en attendant la décision de la CJUE.

Consécration de l’interdiction du cumul des prélèvements sociaux dans deux Etats membres sur les revenus patrimoniaux

Dans sa décision en date du 26 février 2015, la CJUE affirme que, même si les prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine sont perçus par la France indépendamment de l’exercice de toute activité professionnelle de la personne assujettie, ces derniers relèvent du champ d’application du Règlement européen n°1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 qui prévoit le principe d’interdiction du cumul des législations applicables en matière de sécurité sociale (article 13 §1).

En d’autres termes, la CJUE considère que les personnes qui sont affiliées à un régime de sécurité sociale d’un autre Etat membre ne peuvent être assujetties en France à des prélèvements sociaux sur leurs revenus de patrimoine de source étrangère compte tenu de l’affectation de ces prélèvements au financement de la protection sociale française.

Une mise en conformité nécessaire de la législation française

La Commission européenne devrait tirer toutes les conséquences de cette interprétation de la CJUE en condamnant la France dans le cadre de la procédure d’infraction ouverte à son encontre en 2013. Une telle condamnation supposerait alors l’obligation pour la France de mettre sa législation en conformité avec le droit européen s’agissant des prélèvements sociaux sur les revenus immobiliers (plus-values immobilières et revenus fonciers) des non-résidents.

Cette mise en conformité pourrait s’opérer selon trois modalités alternatives :

Abrogation des dispositions introduites par l’article 29 de la deuxième loi de finances rectificative pour 2012

Seule la disposition prévoyant l’assujettissement aux prélèvements sociaux des personnes fiscalement domiciliées en France demeurerait alors en vigueur, ce qui marquerait un retour au régime applicable antérieurement à la réforme de 2012.

Cette première option serait particulièrement favorable aux non-résidents dans la mesure où ces derniers ne seraient plus soumis aux prélèvements sociaux sur leurs revenus immobiliers français, et ce, du seul fait de leur qualité de non-résidents.

Un assujettissement limité aux non-résidents affiliés exclusivement au régime de sécurité sociale français

Une autre option pourrait consister à conserver le texte issu de la réforme de 2012, mais en y ajoutant une condition relative à l’affiliation exclusive à un régime de sécurité sociale français.

Dans cette hypothèse, l’assujettissement aux prélèvements sociaux sur les revenus immobiliers français serait supprimé seulement à l’égard des non-résidents affiliés à un régime de sécurité sociale étranger. Une telle modification permettrait en effet d’assurer le respect de la règle du non-cumul invoquée dans le cadre de l’arrêt de la CJUE.

Cette seconde option serait moins avantageuse que la première pour les non-résidents puisque certains d’entre eux continueraient d’être soumis aux prélèvements sociaux sur leurs revenus immobiliers français du fait de leur affiliation exclusive à la sécurité sociale française. Ce dernier cas concerne, par exemple, les retraités français devenus non-résidents qui relèvent, en principe, du régime de sécurité sociale français uniquement.

Une exclusion limitée aux non-résidents de l’Union Européenne affiliés à un régime de sécurité sociale étranger

Enfin, une dernière option pourrait consister à distinguer le cas des non-résidents de l’Union européenne (« UE ») et des non-résidents d’Etats tiers à l’UE.

En effet, dans la mesure où la condamnation de la France s’appuie sur le Règlement européen interdisant le non-cumul des régimes de sécurité sociale au sein de l’UE, le législateur français pourrait se limiter à exclure des prélèvements sociaux les non-résidents de l’UE qui sont affiliés à un régime de sécurité sociale étranger. Cette dernière hypothèse ne modifierait donc pas la situation des non-résidents d’Etats tiers à l’UE qui continueraient d’être soumis aux prélèvements sociaux sur leurs revenus immobiliers de source française même s’ils sont par ailleurs affiliés à un régime de sécurité sociale étranger.

Toutefois, cette option semble peu probable au regard de la récente décision du Conseil d’Etat[3]relative au taux d’imposition des plus-values immobilières des non-résidents. Par cette décision, le Conseil d’Etat a jugé que la différence de taux d’imposition entre les non-résidents de l’UE et les non-résidents d’Etats tiers à l’UE était contraire au principe de libre circulation des capitaux (article 63 du traité sur le fonctionnement de l’UE). Dès lors, la France ne pourrait envisager une telle distinction pour l’application des prélèvements sociaux sans s’exposer à une nouvelle censure et/ou condamnation.

En tout état de cause, quelle que soit l’option qui sera choisie par le législateur français, les non-résidents concernés pourront demander le remboursement des prélèvements sociaux indûment perçus par la France. Ainsi, les demandes qui seraient déposées en 2015 permettraient d’obtenir le remboursement des prélèvements sociaux relatifs aux revenus fonciers perçus depuis le 1er janvier 2012 et aux plus-values réalisées depuis le 1er janvier 2014.

Xavier Rohmer, Associé

Cécilia Chaves, Avocat

Lydia Kopiejwski, Avocat


[1] CSG, CRDS, prélèvement social et sa contribution additionnelle ainsi que le prélèvement solidaire.

[2] CJUE, 26 février 2015, aff.C-623/13, Ministre de l’Economie et des Finances / Gérard de Ruyter.

[3] CE 20 octobre 2014 n° 367234, 3e et 8e s.-s., min. c/ SCI Saint-Etienne et M. et Mme Aimé.

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