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Adoption de la loi sur les négociations commerciales

Article Droit de la concurrence, consommation et distribution | 24/03/23 | 15 min. | Alexandra Berg-Moussa Paul Vialard

La loi Descrozaille sur les négociations commerciales est adoptée

L’Assemblée nationale a adopté, le 22 mars 2023, à l’unanimité des votes exprimés, la loi tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs (la « Loi »)[1]. La proposition de loi déposée par le député Renaissance Frédéric Descrozaille le 29 novembre 2022 a donc été entérinée à l’issue de son passage en commission mixte paritaire (« CMP »).

L’ultime séance publique n’ayant pas apporté de véritables changements, le texte définitif est très proche de la version issue de la CMP et qui avait débattu sur la base du texte adopté par le Sénat.

La Loi introduit plusieurs changements majeurs sur le déroulement et le contenu des négociations entre les fournisseurs et les distributeurs, et traduit une fois encore la volonté du législateur de préserver les intérêts des premiers face à la puissance des seconds. À l’exception de l’extension de l’encadrement des promotions, ses dispositions sont applicables immédiatement.

L’application d’ordre public du droit français

L’article 1er de la Loi a fait l’objet d’un consensus général entre députés et sénateurs et n’a donc pas été remis en question. Il pose un principe d’ordre public, selon lequel les dispositions du code de commerce sur la transparence, les pratiques restrictives de concurrence et les autres pratiques commerciales prohibées, « s’appliquent à toute convention entre un fournisseur et un acheteur portant sur des produits ou des services commercialisés sur le territoire français ».

En outre, les litiges relatifs à l’application de ces dispositions relèveront « de la compétence exclusive des tribunaux français, sous réserve du respect du droit de l’Union européenne et des traités internationaux ratifiés ou approuvés par la France ». Le recours à l’arbitrage restera possible.

Comme nous l’avions déjà évoqué[2], la portée de cette disposition va bien au-delà de son objectif initial, c’est-à-dire la lutte contre la délocalisation et le forum shopping des centrales d’achats. Les débats n’ont pas permis de préciser ce que la « réserve » du droit communautaire et des traités internationaux implique véritablement. Un éventuel recours devant le Conseil constitutionnel pourrait apporter un éclairage à ce sujet.

Le prolongement du relèvement du seuil de revente à perte et l’extension de l’encadrement des promotions

Comme prévu, l’article 2 de la Loi prolonge les expérimentations du relèvement de 10 points du seuil de revente à perte et de l’encadrement des promotions, issues de la loi Egalim 1 du 30 octobre 2018[3], respectivement jusqu’au 15 avril 2025 et 15 avril 2026.

Le champ de l’encadrement des promotions a également été élargi par l’article 7 : il inclut désormais tous les produits de grande consommation, c’est-à-dire les « produits non durables à forte fréquence et récurrence de consommation »[4], dont la liste figure dans un décret du 19 décembre 2019[5]. Contrairement aux fruits et légumes qui en sont exclus, les produits de la catégorie droguerie – parfumerie – hygiène seront dont bien concernés par le dispositif. Toutefois, pour ne pas remettre en cause le résultat des négociations commerciales 2023 qui se sont achevées le 1er mars dernier, cette disposition n’entrera en vigueur qu’à partir du 1er mars 2024.

L’application et les effets de ces mesures feront l’objet d’une obligation d’information : les distributeurs de produits de grande consommation devront transmettre au gouvernement, avant le 1er septembre, un document annuel qui présentera la part du surprix de chiffre d’affaires qui s’est traduite par une revalorisation des prix d’achats des produits alimentaires et agricoles auprès des fournisseurs.

Le sort de la relation commerciale en l’absence d’accord au 1er mars : un bouleversement majeur…à titre expérimental

La véritable nouveauté introduite par la Loi, qui a fait l’objet d’intenses discussions entre les parlementaires, porte sur les conséquences de l’échec de la négociation commerciale entre le fournisseur et le distributeur, c’est-à-dire l’absence de signature, au 1er mars, d’une convention unique.

Face au désaccord entre l’Assemblée nationale et le Sénat, la CMP avait finalement retenu une solution de compromis qui a été consacrée dans la Loi. L’article 9 II de la Loi prévoit ainsi un mécanisme favorable au fournisseur, à titre expérimental pour une durée de trois ans : à défaut de la conclusion d’une convention au 1er mars[6], le fournisseur peut, au choix :

  • « en l’absence de contrat nouvellement formé, mettre fin à toute relation commerciale avec le distributeur, sans que ce dernier puisse invoquer la rupture brutale de la relation commerciale au sens du II de l’article L. 442-1 du code de commerce » ;
  • ou « demander l’application d’un préavis conforme » à ce texte.  


La possibilité de saisir le médiateur des entreprises ou celui des relations commerciales agricoles pour conclure un accord sous son égide et avant le 1er avril, a également été consacrée.

En corollaire, l’article L. 442-1, II est complété : désormais, le prix applicable entre les parties pendant la durée du préavis « raisonnable » qui doit être accordé par la partie à l’origine de la rupture de la relation, devra tenir compte « des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties ».  

On relèvera également l’ajout d’une nouvelle pratique restrictive de concurrence à l’article L. 442-1, I du code de commerce, qui consiste à « ne pas avoir mené de bonne foi les négociations commerciales conformément à l’article L. 441-4, ayant eu pour conséquence de ne pas aboutir à la conclusion d’un contrat dans le respect de la date butoir » du 1er mars. Un tel comportement exposera son auteur aux procédures et sanctions de l’article L. 442-4 : action du ministre, amende civile, dommages et intérêts, publication de la décision…

Enfin, l’amende encourue en cas de non-respect de l’échéance du 1er mars pour les conventions uniques de l’article L. 441-4 du code de commerce (c’est-à-dire celles qui concernent les produits de grande consommation) est définitivement portée à 200 000 € pour les personnes physiques et 1 000 000 € pour les personnes morales, et doublée en cas de récidive.

Un encadrement plus fort des pénalités logistiques

Le nouveau traitement des pénalités logistiques n’a pas été significativement modifié depuis le vote de la proposition par le Sénat. L’article 11 impose bien aux fournisseurs et distributeurs de conclure une convention écrite spécifique aux modalités logistiques qui régissent leurs relations (et notamment les pénalités applicables, le cas échéant), sans être soumis à la date butoir du 1er mars à cet égard.

Les pénalités logistiques infligées par l’une des parties à l’autre partie devront être proportionnées au préjudice subi et ne pas dépasser 2 % de la valeur des produits commandés relevant de la catégorie de produits au sein de laquelle l’inexécution d’engagements contractuels a été constatée. Les distributeurs devront apporter, au moment où ils réclameront le versement d’une pénalité, la preuve du manquement et du préjudice subi.

Aucune pénalité logistique ne pourra être infligée par un distributeur pour des manquements survenus plus d’un an auparavant.

Les grossistes ne sont pas concernés par ces nouvelles contraintes.

Les distributeurs et fournisseurs sont également désormais soumis à des obligations de reporting détaillées sur les pénalités logistiques qu’ils infligent (pour les distributeurs) et qui leur sont infligées (pour les fournisseurs) au plus tard le 31 décembre de chaque année, et ce auprès du directeur général de la concurrence, consommation et répression des fraudes ou son représentant. Le reporting porte sur les 12 mois précédents, avec une obligation spécifique pour les distributeurs de procéder à un reporting pour les années 2021 et 2022 avant le 31 décembre 2023.

La certification de la négociation et la révision automatique des prix

En ce qui concerne la certification par un tiers indépendant de la négociation commerciale, et plus particulièrement de la part de l’évolution des prix qui résulte de la variation du coût des matières premières agricoles ou des produits transformés, la Loi conserve le dispositif voté par le Sénat.

Désormais, le fournisseur transmettra au tiers indépendant « les pièces nécessaires à cette attestation, notamment la méthodologie employée pour déterminer l’impact sur son tarif de l’évolution du prix desdites matières premières agricoles ou desdits produits transformés ». L’attestation établie par le tiers devra ensuite être transmise au distributeur dans le mois suivant l’envoi des conditions générales de vente.

Enfin, au terme de la négociation, le tiers indépendant devra également certifier que « celle-ci n’a pas porté sur la part de l’évolution du tarif du fournisseur qui résulte de celle du prix des matières premières agricoles ou des produits transformés ».

La CMP n’a pas non plus modifié le texte voté par le Sénat en ce qui concerne la révision des prix : l’article L. 443-8 du code de commerce sera bien complété pour prévoir que « Les évolutions de prix résultant de la clause de révision automatique des prix sont mises en œuvre au plus tard un mois après le déclenchement de ladite clause ».

Les contrats MDD et contrats grossistes

La Loi vient préciser que les contrats MDD (« marque de distributeur ») portant sur la fabrication de produits alimentaires bénéficient – eux aussi – d’une sanctuarisation de la partie du prix correspondant aux matières premières agricoles et des produits transformés mentionnés au I de l’article L. 441-1-1, la négociation du prix des produits MDD ne pouvant plus porter sur la part correspondant à ces éléments.

Enfin, la Loi vient également préciser le régime des CGV et contrats grossistes qui bénéficient désormais de dispositions qui leur sont propres.


La Loi doit maintenant être promulguée et résister à l’examen de sa conformité à la Constitution. Frédéric Descrozaille a d’ailleurs lui-même indiqué dans le cadre des travaux de la CMP, qu’il était « certain » qu’une question prioritaire de constitutionnalité[7] sera déposée si la version finalement votée était adoptée.

 

[3] Loi n°2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, complétée par l’ordonnance n°2018-1128 du 12 décembre 2018 relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l'encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires.

[4] Article L. 441-4 du code de commerce.

[6] Ou dans les deux mois suivant le début de la période de commercialisation des produits ou des services soumis à un cycle de commercialisation particulier.

[7] Une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) peut être posée au Conseil constitutionnel lorsqu’une partie à un litige estime que la loi en cause est contraire aux droits et libertés par la Constitution.

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