
Article Résolution des litiges Corporate - M&A | 01/04/25 | 7 min. | Julien Wagmann Marie Danis Virginie Desbois Flore Mahieu
Issu de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 et du décret n°2024-1225 du 30 décembre 2024, le tribunal des activités économiques (TAE) remplace depuis le 1er janvier, à titre expérimental jusqu’au 31 décembre 2028, le tribunal de commerce dans 12 villes : Paris, Nanterre, Versailles, Marseille, Le Mans, Limoges, Lyon, Nancy, Avignon, Auxerre, Saint-Brieuc, Le Havre.
Les 12 TAE reprennent les compétences du tribunal de commerce et certaines compétences des tribunaux judiciaires et deviennent seuls compétents pour traiter des procédures de sauvegarde, redressement judiciaire, liquidation judiciaire et procédures amiables de tous les professionnels quels que soient leur statut et leur activité. Les professions réglementées du droit relèvent cependant toujours de la compétence du tribunal judiciaire.
Une spécificité importante applicable uniquement devant le TAE réside dans le paiement d’une « contribution pour la justice économique » due par l’auteur d’une « demande initiale » (hors procédure collective ou amiable) lorsque la valeur totale de ses prétentions est supérieure à 50.000€ , et ce, sous peine d’irrecevabilité relevée d’office.
Cet article revient sur un certain nombre d’interrogations que soulève cette réforme.
Les personnes physiques sont-elles concernées par le paiement de la « contribution pour la justice économique » ?
Le décret n° 2024-1225 du 30 décembre 2024 précise que cette contribution n’est pas due par « une personne physique ou morale de droit privé employant moins de 250 salariés ». Si la condition tenant au nombre de salariés employés (les modalités de détermination de ce nombre n’étant par ailleurs pas précisées) s’applique bien aux personnes physiques, on voit mal comment ces dernières seraient concernées.
Comment est déterminé le montant de la « contribution pour la justice économique » ?
Il est déterminé par le greffier selon un barème plafonné et fixé selon un pourcentage du montant de la valeur totale des prétentions figurant dans l’acte introductif d’instance (hors demandes au titre de l’article 700 du CPC), dépendant (i) du revenu fiscal de référence (s’agissant des personnes physiques) ou (ii) du chiffre d’affaires et du bénéfice annuel moyen des trois derniers exercices (s’agissant des personnes morales). Les règles ne précisent pas le périmètre territorial à prendre en compte pour déterminer le bénéfice et le chiffre d’affaires.
Par exemple, pour une personne morale ayant, pour les trois derniers exercices, un chiffre d’affaires annuel moyen compris entre plus de 50 et 1500 M euros et un bénéfice annuel moyen supérieur à 3M euros, la contribution serait égale à 3 % du montant de la valeur totale des prétentions figurant dans l'acte introductif d'instance (dans la limite d'un montant maximal de 50 000 euros). Les conditions semblent cumulatives.
Au-delà d’un chiffre d’affaires annuel moyen des trois derniers exercices de 1500M euros, la contribution serait de 5 % du montant de la valeur totale des prétentions figurant dans l'acte introductif d'instance (dans la limite d'un montant maximal de 100 000 euros), quel que soit le montant du bénéfice annuel.
Si la demande initiale est formée par plusieurs demandeurs, la contribution sera due par chacun d'eux et la valeur totale des prétentions sera appréciée séparément pour chacun.
A Paris et à Nanterre, le greffe tient à la disposition des parties une attestation à remplir afin de déterminer si le demandeur est assujetti à la contribution et le cas échéant, fixer le montant de la contribution applicable. La question de savoir si le greffier a une marge de manœuvre dans la détermination du montant reste néanmoins entière.
En principe, la contribution doit être versée par le demandeur avant la première audience de procédure et ce sous peine d’irrecevabilité. Néanmoins, à ce stade, le TAE de Paris n’applique pas strictement cette disposition : les juges se contentent de renvoyer l’affaire jusqu’à ce que le formulaire rempli ait été transmis au greffe et la contribution versée.
Peut-on demander le remboursement de la « contribution pour la justice économique » ?
La contribution est remboursée en cas de décision constatant l'extinction de l'instance par suite d'un désistement ou d’une transaction conclue consécutivement au recours à un mode amiable de résolution des différends (lorsqu'elle met fin au litige).
Le demandeur pourra également demander son remboursement dans le cadre de la condamnation aux dépens. Il ne sera cependant pas garanti d’obtenir le remboursement de l’intégralité du montant. Par ailleurs, le montant ayant été fixé en considération des ressources du demandeur et non du défendeur, le juge pourrait être réticent à faire supporter le coût final (ou, à tout le moins, son intégralité) à ce dernier.
Quid d’une clause de juridiction d’un contrat qui attribuerait compétence au tribunal de commerce, alors que ce tribunal est remplacé par le TAE ?
Les parties devraient à notre sens saisir le TAE, venant au lieu et place du tribunal de commerce dans la ville concernée, lequel se déclarera très probablement compétent.
Peut-on conventionnellement écarter la compétence matérielle du TAE ?
En principe, seul le tribunal de commerce est compétent pour connaître des litiges entre sociétés commerciales, notamment en matière de contentieux portant sur une cession de titres.
Les parties non commerçantes disposent néanmoins d’une option de compétence entre le tribunal de commerce et le tribunal judiciaire.
En outre, la jurisprudence a pu reconnaître, dans certains cas, la validité de clauses attributives de juridiction, acceptées par les parties, désignant le tribunal judiciaire pour des litiges relevant normalement de la compétence du tribunal de commerce (notamment, dans un litige portant sur un rachat de titres en exécution d’un pacte d’actionnaires).
Cependant, une clause désignant le tribunal judiciaire pour traiter de litiges relevant de la compétence exclusive du tribunal de commerce (par exemple, litiges relatifs à des procédures collectives ou pratiques anticoncurrentielles) ne saurait être considérée comme valable.
Afin d’éviter un long débat judiciaire sur la validité de la clause attributive de compétence, il conviendra d’apprécier au cas par cas si une dérogation au principe de la compétence du tribunal de commerce en matière de litiges entre sociétés commerciales est envisageable et opportune.
Peut-on conventionnellement écarter la compétence territoriale d’un TAE ?
Les parties ont également la possibilité de prévoir une clause d’attribution territoriale si elles ont toutes la qualité de commerçant et que cette clause a été spécifiée de façon très apparente dans le contrat. Cette clause leur permettrait d’échapper à la juridiction d’un TAE pour choisir un lieu dans lequel le tribunal de commerce n’a pas été remplacé par un TAE. Il nous semble cependant a priori peu opportun d’effectuer un tel choix au seul motif d’échapper à la juridiction du TAE.