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COVID-19 : Aménagement des règles de la commande publique

Article Immobilier et Construction Droit de l’environnement Droit public et commande publique Droit européen | 27/03/20 | 13 min. | Vincent Brenot Hélène Billery

Sciences de la vie & Santé

La loi du n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 (la « Loi Covid-19 ») prévoit à son article 11 la possibilité pour le Gouvernement de légiférer par ordonnance dans un délai de trois mois à compter de sa publication afin de prendre toutes les mesures nécessaires pour lutter contre l’épidémie sanitaire née de l’économie de Covid-19. Le Gouvernement est également habilité à prendre des mesures rétroactives pouvant s’appliquer à compter du 12 mars 2020.

S’agissant des marchés publics, l’article 11 de la Loi Covid-19 autorise le Gouvernement à adapter par ordonnance « les règles de passation, de délais de paiement, d'exécution et de résiliation, notamment celles relatives aux pénalités contractuelles, prévues par le code de la commande publique ainsi que les stipulations des contrats publics ayant un tel objet ».

Sur ce fondement, le Gouvernement a adopté l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d'adaptation des règles de passation, de procédure ou d'exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n'en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de covid-19 (l’« Ordonnance commande publique et Covid-19 »). Ce texte dérogatoire est applicable jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire, augmentée d'une durée de deux mois.

Cette ordonnance formalise juridiquement plusieurs solutions existantes, les déclarations faites par le Gouvernement ainsi que les multiples communiqués publiés par les différents services de l’Etat, notamment la Direction des Achats de l’Etat (la « DAE ») et la Direction des Affaires Juridiques (la « DAJ »).

Le Gouvernement a également adoptée deux autres ordonnances susceptibles d’avoir un impact sur les contrats de la commande publique : l’une porte sur la prorogation des délais et l’autre porte sur l’organisation de la juridiction administrative pendant la crise sanitaire.

1- Les règles de passation de marchés publics durant la crise sanitaire


La crise sanitaire est susceptible de modifier la passation des marchés publics dans les deux cas exposés ci-après.

D’une part, la nécessité de répondre de façon quasi-immédiate à certains besoins résultant de la crise sanitaire est incompatible avec la durée des procédures classiques de passation des marchés publics prévues par le code de la commande publique (le « CCP »). Dans un communiqué du 18 mars 2020, la DAJ avait ainsi précisé que la dérogation prévue à l’article R. 2122-1 du CCP qui autorise une personne publique à s’affranchir des règles de passations en cas d’ « urgence impérieuse », trouvait à s’appliquer pour la passation de marchés publics conclus pour répondre à des besoins résultant de la crise sanitaire (pour plus de précisions, voir notre flash du 20 mars dernier).

D’autre part, la crise sanitaire pourrait avoir un impact sur les procédures de passation en cours. En effet, en raison des perturbations engendrées par la crise sanitaire, il pourrait être nécessaire de reporter les dates de candidatures ou de remise des offres, ainsi que la date de sélection des offres. La jurisprudence administrative a déjà reconnu la possibilité pour la personne publique de reporter le délai de remise des candidatures et des offres. Le report du délai de remise des candidatures ou des offres nécessite la publication d’un avis rectificatif, la modification du règlement de consultation et la modification des délais contractuels impactés par le report comme la date de début d’exécution des prestations.

La personne publique peut également proroger le délai de validité des offres déposées sous réserve d’en faire la demande expresse et d’avoir recueilli l’accord de l’ensemble des candidats ayant déposé une offre (CE, 24 juin 2011, Commune de Bourgoin-Jallieu, n° 347889).

L’Ordonnance commande publique et Covid-19 prévoit ainsi à ses articles 2 et 3 que les délais et les modalités des procédures de mise en concurrence peuvent être adaptés afin de permettre aux candidats de présenter leur candidature dans le respect du principe d’égalité de traitement.

La DAE a recommandé dans un communiqué du 20 mars 2020 de poursuivre les consultations en cours afin que les supports contractuels soient préparés et effectifs, de sorte que la reprise d’activité puisse être amorcée aussi vite que possible, en accordant au cas par cas et au besoin des reports des dates limites de réception des candidatures ou des offres. La DAE conseille également d’adapter si besoin les conditions de visite de sites et les modalités des éventuelles séances de négociation ou de dialogue. Des séances de négociations pourraient ainsi se tenir par vidéoconférence.

Enfin, en cas d’impossibilité de poursuivre la procédure, la personne publique pourra toujours déclarer celle-ci sans suite et reprendre une nouvelle procédure avec les candidats à l’issue de la crise sanitaire (art. R. 2185-1 et 2185-2 du CPP).

La Loi Covid-19 prévoit que le Gouvernement peut prendre une ordonnance afin d’interrompre, suspendre ou reporter le terme des délais contentieux.

L’article 9 de l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif prévoit la faculté pour le juge de statuer sans audience pour les requêtes présentées en référé. L’article 7 de cette même ordonnance prévoit également la faculté pour les juridictions administratives de prévoir des audiences par tout moyen de communication électronique afin d’entendre les différentes parties à l’instance.

En pratique, les mesures de confinement prises pour lutter contre l’épidémie de Covid 19 ont eu pour effet de freiner considérablement l’action des juridictions administratives. La prorogation des délais pourrait ainsi permettre de sauvegarder le délai de recours contentieux pour les candidats évincés de procédures de passation, notamment pour les référés précontractuels. Toutefois, la suspension du délai de recours contentieux pourrait également paralyser l’action des personnes publiques, celles-ci n’étant plus autorisées à signer leurs marchés une fois qu’un référé précontractuel a été introduit, jusqu’à l’intervention de l’ordonnance du juge des référés. Enfin, pendant toute la durée de la crise sanitaire, le point de départ des délais impartis au juge pour statuer est reporté au premier jour du deuxième mois suivant la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire.

2- L’exécution des marchés publics durant la crise sanitaire


La crise sanitaire est également susceptible de rendre difficile, voire impossible, l’exécution des marchés publics en raison des difficultés d’approvisionnement des entreprises ou de mobilisation du personnel du fait des mesures de confinement, entraînant de ce fait un dépassement des délais de réalisation contractuellement prévus.

Pour cette raison, afin de ne pas fragiliser les entreprises, le ministre de l’Economie et des Finances a décidé de reconnaitre la crise sanitaire comme un « cas de force majeure » pour l’ensemble des marchés de l’Etat et des collectivités territoriales. Cette qualification permettra ainsi aux entreprises de ne pas se voir infliger de pénalités de retard ainsi que de solliciter la résiliation du marché public en cas d’impossibilité d’exécuter les prestations (pour plus de précisions, voir notre flash du 20 mars dernier).

La DAE a également recommandé dans un communiqué du 20 mars 2020 aux principaux acheteurs de l’Etat et à ses établissements publics de soutenir les entreprises afin de permettre la poursuite de l’exécution des prestations ainsi que d’éviter de fragiliser davantage celles-ci. Bien que la DAE n’ait pas le pouvoir de contraindre juridiquement les personnes publiques, ces recommandations pourraient être mises en avant par les entreprises dans leurs échanges avec celles-ci.

La DAE préconise ainsi des mesures d’adaptation de l’exécution des prestations, à savoir :

- identifier conjointement toutes les mesures utiles pour permettre la poursuite de l’exécution du contrat ; et

- accorder une prolongation des délais d’exécution lorsque le titulaire est empêché du fait de la crise sanitaire d’exécuter le contrat.


La DAE recommande également la mise en œuvre de mesures de soutien aux entreprises en :

- renonçant aux pénalités de retard, lorsque le retard est dû à la crise sanitaire ;

- mettant en œuvre toutes les actions nécessaires au respect des délais de paiement des factures et en utilisant les facultés liées aux avances et aux acomptes, afin de soutenir les entreprises confrontées à de sérieuses difficultés de trésorerie, en priorité les PME ; et

- ne sanctionnant pas par une résiliation certaines inexécutions contractuelles dues à la crise actuelle, la résiliation ne devant être utilisée qu’en dernier recours.


L’article 5 de l’Ordonnance commande publique et Covid-19 prévoit également la possibilité pour les acheteurs publics de proroger la durée des contrats publics pendant toute la durée de la crise sanitaire ainsi que de la durée nécessaire à la remise en concurrence du contrat public à l'issue de son expiration.

S’agissant des acomptes et avances accordés aux titulaires du marché, l’article 6 de l’Ordonnance commande publique et Covid-19 prévoit également que ces avances peuvent excéder plus de 60% du montant du marché ou du bon de commande. De plus, les acheteurs publics peuvent renoncer à exiger la constitution d’une garantie de première demande pour les avances supérieures à 30 % du montant du marché.

L’article 6 de l’Ordonnance commande publique et Covid-19 précise également les dispositions à adopter pour faire face aux difficultés dans l’exécution des contrats en cours. Le principe retenu est l’application des dispositions les plus favorables au titulaire du contrat en cas de difficultés pour l’exécution du contrat, qu’il s’agisse des dispositions fixées dans le contrat ou celles fixées par l’Ordonnance commande publique et Covid-19. Les titulaires de contrat public devront dans leurs échanges avec les personnes publiques s’assurer aux préalables qu’ils ne bénéficient pas de conditions plus favorables dans leur contrat que celles prévues par l’Ordonnance commande publique et Covid 19.

L’article 6 de l’Ordonnance commande publique et Covid-19 règle six situations distinctes résultant de l’épidémie de Covid-19 :

- l’impossibilité pour le titulaire de respecter le délai d’exécution prévu par le contrat ou l’exécution de celui-ci ferait peser une charge manifestement excessive sur le titulaire. Si le titulaire en fait la demande, l’Ordonnance prévoit le report du délai d’exécution d’une durée équivalente à la durée de l’état d’urgence sanitaire augmentée de deux mois ;

- l’impossibilité pour le titulaire d’exécuter le contrat ou le cas où l’exécution de celui-ci ferait peser une charge manifestement excessive sur le titulaire. Dans cette hypothèse, la personne publique ne peut infliger de pénalités ni engager la responsabilité contractuelle du titulaire. Toutefois la personne publique peut librement conclure à ses frais un marché de substitution avec un tiers pour satisfaire les besoins ne pouvant souffrir aucun retard ;

- lorsqu’un contrat est résilié par la personne publique en raison de mesures prises par les autorités administratives compétentes dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, le titulaire peut solliciter l’indemnisation des dépenses engagées directement pour l’exécution de ce contrat ;

- lorsque la personne publique suspend l’exécution d’un marché à prix forfaitaire, il règle sans délai les sommes dues au titulaire du marché ;

- lorsque le concessionnaire est contraint de suspendre l’exécution de la concession, le versement des sommes dues au concédant peut être suspendu et le concessionnaire peut bénéficier d’une avance de la part du concédant ; et

- lorsque le concessionnaire modifie les modalités d’exécution de la concession, celui-ci a droit à une indemnité de la part du concédant si ces modifications, rendues nécessaires pour la poursuite de l’exécution de la concession, entrainent des charges manifestement excessives au regard de la situation financière ce dernier.


Comme la Loi Covid-29 l’y autorisait, le Gouvernement a pris l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période (l’« Ordonnance délai et Covid-19 »).

Cette ordonnance s’applique pour tous les délais et mesures expirant entre le 12 mars 2020 et l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire. Le point de départ de l’ensemble des délais est reporté à la date de la fin de la période d’état d’urgence sanitaire et le délai pour agir est fixé à deux mois. Enfin les délais applicables pour la prise d’une décision par l’administration sont suspendus pendant toute la durée de l’état d’urgence sanitaire.

Conformément aux dispositions prévues par l’article 4 de l’Ordonnance commande publique et Covid-19, l’Ordonnance délais et Covid-19 prévoit que les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu'elles ont pour objet de sanctionner l'inexécution d'une obligation dans un délai déterminé, sont réputées n'avoir pas produit d’effet, si ce délai a expiré pendant la période d’état d’urgence sanitaire.

La suspension des délais de consultation du public ou de prise de la décision pourrait perturber l’exécution de certains marchés publics, notamment dans le cas des marchés de travaux publics qui impliquent la délivrance du permis de construire. L’impossibilité de réaliser les enquêtes publiques pourraient ainsi freiner la réalisation des travaux. Cette difficulté pourrait également survenir dans le cadre de la réalisation de travaux privés.

Toutefois, l’article 3 de l’Ordonnance délais et Covid-19 prévoit la conservation du bénéfice de l’ensemble des autorisations, permis et agréments qui arriveraient à expiration durant toute la période d’état urgence sanitaire et leur expiration deux mois suivant la fin de cette période.
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