Article Immobilier et Construction Droit de l’environnement Droit public et commande publique Private Equity Corporate - M&A | 22/06/20 | 17 min. | Vincent Brenot Julien Aucomte
Le cabinet August Debouzy a eu le plaisir d’accueillir le mercredi 17 juin 2020, dans le cadre d’un AD Talks M. Antonin Nguyen, chef du bureau des investissements étrangers en France du ministère de l’Économie et des Finances (autrement appelé Multicom 4) depuis 2018.
Cette conférence a été l’occasion pour M. Nguyen de présenter les grands principes du contrôle des investissements étrangers en France (1.) en mettant l’accent sur les évolutions législatives et réglementaires récentes de ce cadre juridique (2), et sur l’impact de la crise sanitaire (3.).
M. Nguyen a tenu à rappeler que les investissements en France depuis l’étranger sont et resteront, par principe, libres. La liberté de circulation des capitaux est consacrée à l’article 63 du traité de fonctionnement de l’Union Européenne (« TFUE ») ainsi qu’à l’article L. 151-1 du code monétaire et financier (le « CMF »). Ce principe signifie qu’un mécanisme de contrôle des investissements étrangers doit rester une exception. Ainsi, le contrôle des investissements étrangers ne peut être réalisé que pour protéger certains enjeux qui justifient une telle restriction à la liberté de circulation des capitaux (protection de l’ordre et de la sécurité publics et des intérêts de la défense nationale).
M. Nguyen a souligné que ce contrôle n’avait pas pour but d’entraver la réalisation d’investissements étrangers mais au contraire de faciliter la réalisation et la pérennité de ces derniers en permettant un dialogue en amont entre les autorités nationales et l’investisseur. A l’occasion de cette discussion, l’administration identifie les activités critiques pour l’Etat et les fait connaitre à l’investisseur.
La France a fait le choix d’utiliser les trois critères cumulatifs suivants afin de déterminer si investissement entre dans le champ d’application du contrôle des investissements étrangers :
Les deux premiers critères tenant à la nationalité de l’investisseur et la nature de l’opération sont analysés par le bureau des investissements étrangers qui compte, outre M. Nguyen, cinq agents.
M. Nguyen a également précisé les modalités d’appréciation de la seconde condition relative à la nature du projet d’investissement envisagé, en particulier dans l’hypothèse d’une chaîne de sociétés au sein de laquelle il existe des actionnaires étrangers. Les services du ministère de l’Économie et des Finances adoptent une lecture stricte de l’article L. 233-3 du code de commerce : ainsi, tout maillon de la chaîne de contrôle est susceptible d’être considéré comme acquérant le contrôle de l’entreprise cible, ce qui signifie que l’administration ne s’attache pas uniquement à la nationalité de la seule entité « mère ». En d’autres termes, quand bien même la société qui contrôle l’ensemble de la chaîne serait de nationalité française, dès lors qu’il existe une entité étrangère dans la chaîne de contrôle, le critère tenant à l’existence d’un investisseur étranger sera considéré comme étant rempli.
Une fois cette analyse réalisée, le bureau des investissements étrangers sollicite les administrations sectoriellement concernées et appartenant au Comité interministériel des investissements étrangers en France, comme par exemple la Direction Générale de l’Armement lorsque l’entreprise intervient dans le secteur de la défense, afin de déterminer le degré de « criticité » de l’activité de l’entreprise cible. Le bureau des investissements étrangers peut également solliciter l’avis des grands opérateurs du secteur dans le strict respect de la confidentialité. L’analyse du caractère sensible de l’activité implique de déterminer quelles seraient les conséquences sur le secteur d’intervention de l’entreprise à l’aide d’un faisceau d’indices pour déterminer les impacts à long terme de l’opération.
À la question d’un participant, M. Nguyen a répondu qu’il n’existait actuellement aucune doctrine accessible au public qui expliquerait la manière dont les conditions sont appréhendées par ses services. Cependant, il n’exclut pas qu’une telle doctrine puisse à terme être publiée, sous la forme d’une circulaire ou de guidelines. En revanche, s’agissant de l’élaboration d’un recueil qui compilerait toutes les décisions du Bureau, il a indiqué que cela n’est pas envisageable en raison de la confidentialité des procédures. M. Nguyen a cependant relevé que la réforme récente du contrôle des investissements étrangers a précisé la typologie des conditions pouvant être fixées (art. R151-8 CMF).
M. Nguyen a également souligné que les décisions du ministre de l’Économie et des Finances étaient susceptibles de faire l’objet d’un recours de plein contentieux devant le juge administratif. Toutefois, très peu de recours ont été introduits en raison du caractère sensible et casuistique de la décision administrative en cause. A cet égard, Vincent Brenot a relevé que l’investisseur devrait démontrer que l’administration a commis une erreur manifeste d’appréciation, que le juge administratif, qui ne saurait se substituer à l’administration, est souvent peu enclin à sanctionner. M. Nguyen a indiqué ainsi que l’administration a remporté les rares contentieux introduits contre des décisions de l’administration.
Enfin, s’agissant de la coopération internationale en matière du contrôle des investissements étrangers, le bureau des investissements étrangers travaille avec d’autres Etats lors de réunions confidentielles et réalise des benchmarks sur la réglementation étrangère.
Au niveau de l’Union européenne, le règlement 2019/452 du 19 mars 2019 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union qui entrera en vigueur le 11 octobre 2020 va permettre la mise en œuvre d’une plus grande coopération et d’une véritable coordination entre les États membres. Ce règlement contient diverses dispositions destinées à renforcer la coopération entre les États membres et la Commission européenne comme la mise en œuvre d’un dispositif d’alerte entre États membres ainsi que la possibilité de solliciter des avis auprès de la Commission et des homologues du bureau de la DG Trésor chargé de cette procédure.
Ce mouvement a été amorcé avec l’adoption du décret n° 2018-1057 du 29 novembre 2018 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable qui étend le champ de l’autorisation à certaines technologies sensibles.
La réforme la plus importante a été matérialisée par l’adoption de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (« loi Pacte ») qui a opéré une profonde réforme du dispositif législatif sur plusieurs points :
Le décret n° 2019-1590 et l’arrêté du 31 décembre 2019, qui sont entrés en vigueur le 1er avril dernier, ont réformé l’ensemble du dispositif réglementaire. L’objectif de ces textes était de simplifier et d’unifier le régime de contrôle des investissements étrangers notamment s’agissant des secteurs contrôlés et de la notion d’investisseur.
De manière plus concrète, les textes réglementaires précités ont cherché à renforcer le contrôle du ministre de l’Économie et des Finances. Ce durcissement de la réglementation a pris plusieurs formes :
Les textes réglementaires ont également apporté des clarifications procédurales :
M. Nguyen a rappelé que si les conditions étaient parfois appelées « engagements », elles n’en constituaient pas moins de véritables obligations que l’investisseur est tenu de respecter pour conserver le bénéfice de son autorisation.
Interrogé par l’un des participants sur les liens entre le contrôle des concentrations et le contrôle des investissements étrangers, M. Nguyen a rappelé que ces deux procédures poursuivaient des objectifs différents. Toutefois, le bureau des investissements étrangers prend en compte les enjeux de concurrence lors de l’analyse de la « criticité » de l’opération, pour évaluer la substituabilité d’un produit ou d’un service, ou lors d’évaluation des risques pour les intérêts français, notamment s’agissant des questions de concurrence interne, comme lorsqu’un investisseur détient un site industriel à l’étranger similaire (et donc éventuellement concurrent) à celui qu’il cherche à acquérir en France.
La crise sanitaire due à l’épidémie de Covid-19 a fragilisé l’économie nationale et a conduit la France à se doter de mécanismes complémentaires temporaires.
La Commission européenne, par le biais d’une communication en date du 25 mars dernier, a incité les Etats à être vigilants et à renforcer leur cadre juridique en matière de contrôle des investissements directs étrangers. On note un renforcement global du contrôle des investissements étrangers dans tous les pays.
L’arrêté du 27 avril 2020 relatif aux investissements étrangers en France inclut désormais les biotechnologies dans le champ d’application du contrôle des investissements étrangers.
Le ministre de l’Économie et des Finances a également indiqué que le seuil de prise de participation allait être abaissé à 10% des droits de vote dans une entreprise cotée intervenant dans un secteur sensible. Ce dispositif temporaire, qui devrait rester en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020, allège également la procédure d’examen : après une notification très succincte, le Ministre de l’Économie et des Finances disposera de dix jours pour décider si l’opération nécessite une autorisation afin de ne pas pénaliser les entreprises françaises qui ont besoin d’apport de capitaux rapidement. Sauf avis contraire de l’administration dans ce délai, l’investisseur sera dispensé de la demande d'autorisation prévue à l’article R. 151-5 du CMF. Le projet de décret matérialisant ce dispositif a été récemment examiné par le Conseil d’Etat et sera publié avant la fin du mois.
En lien avec la crise sanitaire, M. Nguyen a également répondu à la question de savoir ce que recouvrait le secteur de protection de la santé publique. Il a précisé que ce dernier secteur est considéré comme sensible depuis le décret n° 2014-479 du 14 mai 2014 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable vise à protéger certains médicaments ou vaccins en se fondant par exemple sur une classification établie par l’Organisation Mondiale de la Santé et l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament.
M. Nguyen a indiqué que le bureau des investissements étrangers avait examiné plus de 200 dossiers en 2019, sachant que 1468 projets ont été recensés par Business France : ainsi, entre 14 et 15% des investissements étrangers ont fait l’objet d’un contrôle. La plupart des opérations ont été autorisées avec ou sans conditions.
Dans de très rares cas, le projet a été profondément reconfiguré, c’est-à-dire que l’investisseur a dû renoncer à acquérir certaines activités sensibles. Dans un nombre encore plus faible de cas, l’autorisation n’a pas été donnée par le Ministre de l’Économie et des Finances soit parce qu’après avoir discuté avec l’État, l’investisseur a préféré renoncer au projet en raison de son désaccord sur les conditions imposées par l’administration, soit parce que l’État n’était pas favorable au projet.