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Protection sociale complémentaire et rémunérations collectives : panorama légal et réglementaire

Article Droit du travail et de la protection sociale | 25/11/20 | 18 min. | Isabelle Hadoux-Vallier Boris Léone-Robin

Alors que nous arrivions au terme de certaines mesures dérogatoires liées à la première période de l’état d’urgence sanitaire, l’aggravation de la situation a nécessité la réactivation d’un certain nombre de mesures sociales pour les entreprises et les salariés. Ainsi en va-t-il en matière de protection sociale complémentaire et de rémunérations collectives.

Sans lien avec le contexte sanitaire actuel, d’autres nouveautés, telles que la résiliation infra-annuelle des contrats en complémentaire santé, doivent entrer en vigueur à brève échéance et des textes d’application viennent d’être publiés.

Maintien de la protection sociale complémentaire et activité partielle – Mesures liées à la Covid-19

A. La loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire

Cette loi vient proroger et compléter des mesures prévues par la loi du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire[1].

➣ Tout d’abord l’article 6 de la loi du 17 juin 2020 permettait la mise en place par voie conventionnelle de deux mécanismes ayant pour objet de monétiser des jours de repos conventionnels ou de congés payés afin de compenser la diminution des revenus des salariés en activité partielle (fonds de solidarité et monétisation). La fin de ce dispositif était initialement fixée au 31 décembre 2020. Cette date est avec la loi du 14 novembre prolongé jusqu’au 30 juin 2021.   

➣ Ensuite, l’article 12 de la loi du 17 juin 2020 avait rendu obligatoire le maintien par l’employeur de certaines garanties collectives de protection sociale complémentaire pour les salariés en activité partielle (alors que leur contrat de travail est suspendu) et leurs éventuels ayants droit- et ce du 12 mars au 31 décembre 2020. Cette période est désormais prolongée par l’article 8 de la loi du 14 novembre jusqu’au 30 juin 2021 – preuve de la prudence du législateur sur la visibilité que l’on peut avoir sur la crise sanitaire.
 
Le texte du 17 juin 2020 précisait également quelle assiette devait être prise pour calculer les cotisations et les prestations en particulier lorsque que dans les actes instituant ces régimes (accord collectif, décision unilatérale, …) et dans les contrats d’assurance, étaient visés pour cette assiette les revenus d’activité : la loi autorise à substituer à ces revenus, l’indemnité légale versée en cas d’activité partielle. Nous nous étions posé[2] la question quant à l’inclusion de l’indemnité complémentaire que l’employeur peut être amené à verser : la loi du 14 novembre y répond en précisant que le complément à l'indemnité brute mensuelle d'activité partielle versé par l'employeur peut être pris en compte dans ces assiettes de calcul.


A cette occasion, cette obligation vis-à-vis des salariés en activité partielle subordonnant le bénéfice de l’exonération de cotisations de sécurité sociale sur le financement patronal de ces garanties collectives, la Direction de la sécurité sociale a publié le 16 novembre 2020 une instruction interministérielle.

B. L’instruction interministérielle n° DSS/3C/5B/2020/197 du 16 novembre 2020

La DSS apporte notamment les précisions suivantes :

- Quels sont les salariés concernés ? Non seulement les salariés placés en activité partielle de droit commun (totale ou réduite), mais également ceux bénéficiaires du nouveau dispositif d’activité partielle de longue durée (APLD). Les éventuels ayants droit de ces salariés (en complémentaire santé principalement) sont aussi concernés : le non-respect de ce maintien entraînera en cas de contrôle par l’Urssaf une remise en cause de l’exonération de cotisations de sécurité sociale.

- Quelles sont les garanties de protection sociale à maintenir ? Les garanties obligatoirement maintenues selon la loi du 17 juin sont celles contre le risque décès, contre la maladie et la maternité, les risques d'incapacité de travail ou d'invalidité, les risques d'inaptitude et le risque de chômage ainsi que les dispositifs relatifs à des indemnités, primes de départ en retraite ou de fin de carrière. Ce maintien s’applique nonobstant toutes stipulations contraires de l’acte instaurant les garanties ou du contrat d’assurance.

Si un doute était permis du fait de la référence générale au départ en retraite ou à la fin de carrière, la DSS indique, concernant la retraite supplémentaire (non mentionnée dans la loi de juin 2020), que le maintien du versement des cotisations pendant l’activité partielle dépend des dispositions de l’acte fondateur et du contrat d’assurance. La DSS précise que la suspension du versement pour les salariés en activité partielle ne fait pas perdre à l’employeur les exonérations sociales.  Elle va jusqu’à admettre que même en l’absence de stipulations de l’acte fondateur, l’employeur peut choisir le maintien : il doit alors respecter les termes de l’instruction ministérielle s’il veut bénéficier des exonérations.

- Quelle assiette de calcul des cotisations et prestations faut-il retenir ? Les modalités de calcul des primes ou cotisations doivent être les mêmes que pour les périodes d’activité et sont celles déterminées par l’acte fondateur et le contrat d’assurance. Lorsque l’assiette est déterminée par référence aux revenus d’activité soumis à cotisations de sécurité sociale (salaires bruts ou nets, mensuels ou annuels), la loi du 17 juin prévoyait une assiette minimale de calcul de substitution en cas d’activité partielle, à savoir l’indemnité légale d’activité partielle à laquelle peut s’ajouter avec la loi du 14 novembre l’indemnité complémentaire versée par l’employeur.  Il est inutile – rappelle la DSS – de modifier acte fondateur ou contrat d’assurance en cas d‘utilisation de cette assiette de substitution, et ce sans risque de redressement par une Urssaf. De même, l’application d’une assiette supérieure à l’assiette minimale légale ne nécessite pas de formalisme.

Pour la DSS, toute autre modalité de reconstitution d’assiette des cotisations et prestations doit toutefois faire l’objet de la modification de l’acte fondateur sous peine de remise en cause du caractère collectif et obligatoire et ainsi des exonérations qui y sont liées. En guise d’illustrations, la DSS donne quelques exemples de ces règles.

Le prolongement de la période jusqu’au 30 juin 2021 va nécessairement attirer l’attention des Urssaf sur le bon respect de ces instructions : les employeurs doivent être vigilants.

La position de la DSS est limitée à son champ de compétence, à savoir les exonérations sociales. La philosophie retenue par la DSS semble inspirée du principe travailliste de faveur :  tout ce qui est plus favorable que le minimum légal n’a pas à être formalisé. C’est une position inédite en termes de protection sociale complémentaire, qui si elle avait été généralisée, aurait permis d’éviter aux entreprises bien des redressements… Mais, outre son application par la DSS en termes d’exonération de cotisations sociales, il est nécessaire de s’interroger au cas par cas sur la transposition de ce principe en matière d’opposabilité de l’engagement vis-à-vis des salariés.  

- Quelle répartition de la cotisation entre salarié en activité partielle et employeur peut être décidée ? En principe, la contribution patronale doit être la même pour tous les salariés (quelle que soit leur situation) et précisée par l’acte fondateur mais lorsque des salariés sont en activité partielle avec un niveau de revenu moindre, l’entreprise pourrait être tentée de prendre en charge une part plus importante de la cotisation finançant les garanties de protection sociale. La DSS indique que l’application en pratique (sans autre formalisme) d’une répartition plus favorable pour les seuls salariés en activité partielle ne remet pas en cause l’exonération de charges sociales. Ici encore toutefois, la question de l’opposabilité de cet engagement vis-à-vis des salariés n’est pas à négliger.
 

Enfin, toutes les bonnes choses ayant une fin, pour la période postérieure au 1er semestre 2021, la Direction de la sécurité sociale invite les branches professionnelles et les employeurs à se saisir du sujet. Autrement dit, toute pratique « dérogatoire » pour laquelle la DSS admet dans cette instruction qu’il n’est pas nécessaire de modifier les actes fondateurs et les contrats d’assurance pourrait donner lieu à un redressement Urssaf, une fois passée cette date.

 

 

Les arrêts de travail dérogatoires – Mesure Covid-19 - Décret n° 2020-1386 du 14 novembre 2020

L’arrivée de la pandémie en France et le premier état d’urgence sanitaire avaient amené le législateur et le gouvernement à créer des arrêts de travail permettant à des salariés bien que non malades mais étant contraints de cesser leur activité (pour garde d’enfants, personnes fragiles, …) à bénéficier d’indemnités journalières par la Sécurité sociale, dans des conditions plus favorables que les arrêts de travail de droit commun (ex : suppression des conditions d’affiliation et du délai de carence) -  cf. article L. 16-10-1 du code de la sécurité sociale et décret 2020-73 du 31 janvier 2020.

D’autres textes avaient parallèlement modifié les règles relatives à l’indemnisation complémentaire par l’employeur des salariés en arrêt de travail[3] pour intégrer ces nouvelles situations, avec de la même manière des règles plus favorables (ex : pas de condition d’ancienneté, pas de délai de carence) - cf. loi 2020-290 du 23 mars 2020 + ordonnance 2020-322 du 25 mars 2020 et décret 2020-434 du 16 avril 2020.

Pour les salariés de droit privé, la seule situation donnant encore lieu à ces arrêts de travail dérogatoires est celle des personnes dites « cas-contact à risque de contamination » ne pouvant pas télétravailler depuis que les autres cas (parents d’enfants ou personnes vulnérables) ont basculé en mai 2020 dans le dispositif de l’activité partielle.

La plupart des règles dérogatoires pour ces salariés dits « cas-contact » (délai de carence notamment) avait pris fin le 10 octobre dernier (soit, selon les textes, trois mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire - EUS).

Or avec l’instauration d’un nouvel EUS le 17 octobre par le décret 2020-1257 du 14 octobre, il restait à réactiver ces dérogations de manière explicite.

C’est en partie ce que le décret n° 2020-1386 du 14 novembre 2020 réalise puisque pour l’indemnisation par la Sécurité sociale, il modifie le décret du 31 janvier et :

- Restructure les cas d’arrêts de travail dérogatoires en mettant mieux en exergue les motifs d’arrêt ;
- Supprime la référence aux trois mois suivant la fin de l’EUS en la remplaçant par une date fixe, le 31 décembre 2020 ; en d’autres termes les salariés cas-contact peuvent à nouveau bénéficier des dérogations jusqu’à cette date ;
 

Quant à l’indemnisation complémentaire par l’employeur, les textes correspondants prévoyaient la fin des mesures dérogatoires par renvoi au calendrier posé par le décret du 31 janvier. Aussi peut-on considérer que ces mesures sont à nouveau applicables jusqu’au 31 décembre 2020.

En revanche un doute subsiste sur le point de départ de cette prolongation. En effet, au lieu de prévoir – comme pour les textes de la 1e vague – un article explicite sur les arrêts de travail concernés, prescrits ou renouvelés à compter de telle date (parfois rétroactive ; ex : les arrêts depuis le 12 mars 2020), le décret du 14 novembre ne vise que la fin de la période (31 décembre 2020).  

Une question se pose plus particulièrement sur la période courant du 11 octobre au 16 novembre à savoir la date d’entrée en vigueur du nouveau décret.  Le Ministère de la Santé avait dès début octobre annoncé que les dérogations seraient prolongées et de fait la Sécurité sociale semble avoir continué leur application au-delà du 11 octobre. En revanche, la question est plus floue pour l’indemnisation complémentaire employeur.

Une certaine logique (par renvoi de textes sur le terme du 31 décembre) voudrait que les dérogations passées s’appliquent sur le même point de départ et la même période. Cependant, il n’est pas certain que les employeurs, en l’absence de dispositions réglementaires, aient pris l’initiative d’appliquer ces dérogations. Des précisions supplémentaires sur cette question seraient les bienvenues pour éviter d’éventuelles contestations de salariés.

Résiliation infra-annuelle des contrats d’assurance en complémentaire santé – Décret n° 2020-1438 du 24 novembre 2020 – Mesure au 1er décembre 2020

Les assurés dans le cadre d’un contrat individuel ou d’un contrat collectif facultatif (pour leur propre adhésion) ou les souscripteurs (souvent des employeurs) dans le cadre d’un contrat collectif obligatoire ou facultatif en complémentaire santé vont pouvoir à compter du 1er décembre 2020 résilier leur adhésion ou leur contrat à tout moment dès lors qu’ils sont conclus depuis au moins 1 an, et non plus comme jusqu’à présent à la seule échéance annuelle.

La résiliation prend alors effet un mois après la réception par l’assureur de la notification.

Ce droit est issu de la loi 2019-733 du 14 juillet 2019 qui renvoyait à un décret le soin de préciser les modalités de mise en œuvre de ce droit, pour une entrée en vigueur au plus tard le 1er décembre 2020.

Il doit figurer dans les contrats d’assurance et dans les notices d’information (pour les contrats collectifs facultatifs) – ce qui devrait générer l’émission d’avenants, à articuler avec la date prévue pour l’entrée en vigueur.

Quelques jours seulement avant la date limite, le décret a été publié au Journal officiel du 25 novembre 2020. Il apporte des précisions utiles sur plusieurs points :

- le champ d’application des contrats :  sont résiliables les contrats qui ont pour objet exclusif le remboursement des frais de santé mais également ceux qui proposent des garanties accessoires (telles que l’assistance, une allocation obsèques, un forfait naissance, de la protection juridique, de la responsabilité civile ou des indemnités journalières forfaitaires hospitalières) ; cette précision prend ainsi toute la mesure de la diversité des contrats en complémentaire santé existant sur le marché ; en revanche, pour les contrats collectifs obligatoires souscrits par un employeur mais comportant en son sein des options au choix des salariés, il semble que le droit ne soit pas ouvert aux salariés assurés (contrairement à vraisemblablement la situation d’une « surcomplémentaire » dans un contrat collectif souscrit par l’employeur mais à adhésion facultative pour le salarié) ;
 
- la communication relative au droit de résilier : outre le fait de figurer au contrat , ce droit doit être rappelé à chaque avis d’échéance et pour les contrats collectifs obligatoires, ce rappel peut être effectué lors de la transmission du rapport annuel prestations / cotisations sur les résultats du contrat ;
 
- les modalités de résiliation : lorsque l’assuré ou le souscripteur envisage de résilier pour changer d’assureur, une procédure spécifique peut être mise en œuvre, les formalités étant accomplies par le nouvel assureur. Si l’objectif est d’alléger les responsabilités de l’assuré/souscripteur, les nouveaux assureurs devront être vigilants sur cette action mais pourront aussi de cette manière mieux accompagner leur nouveau client.
 

S’il est plus que probable que les organismes assureurs s’étaient préparés à intégrer cette nouveauté dans leurs systèmes de commercialisation et gestion, ils vont pouvoir mettre en œuvre désormais ce nouveau droit des assurés et souscripteurs …

 

 

Epargne salariale : des mesures dans le projet de loi d’accélération et simplification de l’action publique (ASAP)

Le projet de loi d’accélération et simplification de l’action publique (ASAP), sur lequel le Conseil constitutionnel doit prochainement rendre un avis, vient apporter une série de mesures sur un grand nombre de domaines du droit, principalement ceux ayant des incidences pour les entreprises avec pour objectif la relance économique.  Comme dans la loi « Pacte » en son temps, l’épargne salariale n’a pas été négligée.

⇨ Le projet de loi comporte des dispositions concernant les négociations de branche en matière d’épargne salariale. Pour mémoire, la loi « Pacte » du 22 mai 2019 avait imposé aux branches l’engagement de négociations sur le sujet, « conclues » au plus tard le 31 décembre 2020.

Cette date est prolongée au 31 décembre 2021, partant du constat que peu de branches avaient été à même de mener à bien ces négociations du fait du contexte sanitaire de l’année 2020.

Plus généralement, les règles applicables aux régimes de branche sont clarifiées et refondues.

Enfin, un dispositif d’agrément des accords de branche conclus, sur le modèle de celui existant pour les accords d'entreprises, est créé : lorsque l’accord de branche est agréé, les exonérations fiscales et sociales relatives à ces dispositifs au sein des entreprises adhérentes à l’accord de branche ne pourront plus être remises en cause, même si la conformité des termes de l’accord de branche aux réglementations légales en vigueur est contestée.

⇨ Jusqu’à présent limitée, la possibilité de conclure un accord d’intéressement d’une durée comprise entre 1 et 3 ans est généralisée.

⇨ Pour les accords d’épargne salariale déposés à compter du 1er septembre 2021, le processus de sécurisation des accords est remanié pour permettre une plus grande implication de l’Urssaf. La Direccte contrôlerait les formalités de dépôt, les modalités de négociation, dénonciation et de révision des accords. En revanche, les Urssaf se chargeraient des contrôles de fonds de ces accords.

Selon l’exposé sommaire de l’amendement à l’origine de cette mesure : « Les DIRECCTE pourront ainsi recentrer leur action sur l’accompagnement à la négociation de ces accords et répondre sur les points de droit du travail, le ministère du travail conservant le pilotage de la politique publique en matière d’épargne salariale ». On ne peut qu’espérer que cet accompagnement soit enfin encadré par décret, par l’instauration d’une procédure spécifique.

⇨ Une entreprise peut désormais instituer ou adhérer à un plan d’épargne interentreprises de manière unilatérale.

Si l’on peut bien entendu se féliciter de ces modifications, on peut toutefois se demander si elles sont suffisamment ambitieuses pour véritablement concourir à la relance de l’économie. Dans cette optique, des réductions et exonérations de charges sociales sont toutefois prévues pour certains dispositifs d’actionnariat salarié dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021. Au regard de l’état des finances actuelles de la sécurité sociale, un tel effort peut être salué. Mais sera-t-il suffisant ?




 

[1] Une autre mesure sociale, fort à propos, avait été prévue par cette loi : permettre aux salariés en activité partielle entre le 12 mars et le 31 décembre 2020 de valider ces périodes pour l’ouverture de leur droit à pension de retraite. Cette mesure est intégrée - et de manière pérenne - dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 en cours de discussion.

[3] Cf. article L.1226-1 du code du travail

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