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19ème version des Règles de Procédure de la JUB : l’opt-out se complexifie avec la possibilité de sa suppression

Article Brevets | 02/08/22 | 12 min. | François Pochart Lionel Martin

Après la renonciation à l’opt-out et la correction de l’opt-out, vient maintenant s’ajouter… la suppression de l’opt-out.

Abstract : La 19ème version des Règles de Procédure, qui devrait être publiée dans le courant de l’été, ajoutera une règle 5A prévoyant la possibilité de supprimer un opt-out ou une renonciation d’opt-out qui n’aurait pas été autorisés. Cette nouvelle règle tente de répondre à certaines inquiétudes qui avaient été exprimées par les titulaires de droits au sujet de potentielles demandes frauduleuses d’opt-out ou de renonciation à opt-out. Cette nouvelle règle, qui rajoute encore de la complexité à l’édifice JUB ; présente des zones d’incertitudes que la jurisprudence pourrait avoir du mal à trancher de manière uniforme.

Dans le cadre de la préparation à l’entrée en vigueur de la Juridiction Unifiée des Brevets (JUB), évoquée maintenant pour mars 2023, la dernière réunion du Comité Administratif le mois dernier a conduit à l’adoption et la diffusion de plusieurs modifications aux Règles de procédure qui seront intégrées à la version finale de ces Règles dont la publication a été annoncée pour le courant de l’été[1]. Parmi ces modifications, une nouvelle règle 5A vient ajouter de la complexité au mécanisme de l’opt-out.

L’opt-out est, pour mémoire, l’option posée par le titulaire d’un brevet européen (ou d’une demande de brevet européen) pour exclure la compétence juridictionnelle de la nouvelle JUB pour connaître de ce brevet. Cette option sera réversible une fois par le biais d’une demande de renonciation à l’opt-out[2] prévue à la Règle 5.7 rétablissant la compétence de la JUB[3]. C’est cette renonciation à opt-out qui est souvent improprement qualifiée d’« opt-in »[4].

Une mise en œuvre déjà complexe de l’opt-out et de la renonciation à opt-out

Un des enjeux concrets et immédiats de l’entrée en vigueur de la JUB sera celui de la gestion de l’opt-out. En effet, alors que les premiers contentieux devant la JUB – et les complexités qu’ils induiront nécessairement – pourraient ne pas intervenir de sitôt, la question de demander ou non l’opt-out va, elle, se poser immédiatement pour toutes les demandes de brevet européens et tous les brevets européens pour lesquels il ne sera pas demandé d’effet unitaire.

C’est d’ailleurs parce que cette question de l’opt-out se pose pour la totalité des brevets et demandes de brevets européens déjà existants qu’une période progressive de 3 mois (« sunrise period ») est prévue préalablement à l’entrée en vigueur de la JUB durant laquelle les titulaires qui le souhaitent pourront commencer procéder à des opt-outs. Si l’entrée en vigueur a lieu le 1er mars 2023, comme cela semble être envisagé, cette période progressive devrait démarrer le 1er décembre 2022.

D’un point de vue de sa mise en œuvre pratique, une demande d’opt-out devra être réalisée par chaque propriétaire titre par titre. Cela représente une première difficulté en cas de demande d’opt-out massive, c’est-à-dire pour un nombre important de titres. Le recours à un sous-traitant pour déposer ces demandes opt-out pourra alors être envisagé. Ce recours à un tiers nécessitera le dépôt d’un pouvoir spécial, sauf si ce tiers dispose du titre de représentant qualifié auprès de la JUB[5] (ci-après « mandataire JUB »[6]).

Une seconde difficulté se posera dans les cas de titularité « non triviale » comme par exemple en cas de copropriété ou de titularité non inscrite aux registres. Dans ces cas, la demande d’opt-out nécessitera la justification de l’accord de l’ensemble des titulaires réels[7].

En cas d’erreur ou d’incomplétude de la demande d’opt-out, il existe une procédure de correction qui décale d’autant la date d’effet de l’opt-out[8].

Une complexité supplémentaire liée à la sécurisation de l’accès à l’opt-out au seul titulaire légitime

L’enjeux de l’opt-out est tellement fort (exclusion ou conservation de la compétence JUB) que certains acteurs ont exprimé leur crainte que des demandes d’opt-out ou de renonciation à opt-out soient déposées de manière frauduleuse sans l’autorisation des véritables titulaires des titres.

Ces craintes semblent avoir été entendues avec l’adoption de la nouvelle règle 5A des Règles des procédures[9]. Selon cette nouvelle règle, il sera possible de demander au greffe la suppression d’une demande d’opt-out ou de renonciation à opt-out. Cette demande de suppression devra être motivée (« setting out reasons »). En cas de refus, un appel sera possible auprès du président de la Cour d’appel de la JUB[10].

Ainsi, en plus de la possibilité de renoncer à un opt-out et de corriger un opt-out, il sera également possible de supprimer un opt-out, si on arrive à motiver que cet opt-out a été demandé sans autorisation.

La nouvelle règle ne dit pas à quoi correspondra une absence d’autorisation.

• Est-ce qu’un mandataire JUB qui aurait sollicité un opt-out pour le compte d’un titulaire, mais sans pouvoir (puisque non requis du fait de sa qualité) laissera la place à une suppression ultérieure de l’opt-out ?

• Est-ce qu’une simple erreur dans la demande d’opt-out sera suffisante ou est-ce qu’une véritable fraude devra être démontrée ?

• Est-ce qu’un mandataire JUB dont les qualités l’obligent à être inscrit sur la liste spéciale des mandataires OEB tenu par le greffe et qui procèderait à une demande d’opt-out pendant la sunrise period sera considéré a posteriori comme non-autorisé, car cette liste spéciale n’existe pas avant l’entrée en vigueur de la JUB ?

La nouvelle règle ne dit pas non plus quels seront les effets dans le temps d’une suppression d’opt-out ou de renonciation à opt-out, notamment :

• quel sera le sort d’une action engagée devant la JUB – que ce soit par un demandeur à la nullité, ou par un copropriétaire pressé d’agir de façon centralisée – préalablement à une demande suppression d’une renonciation à opt-out ? Sera-t-il sursis à statuer en attendant la résolution de la question de la suppression de l’opt-out ? L’action sera-t-elle tout simplement recevable ?

• après la période transitoire, comment les juridictions nationales traiteront-elles une action en cours devant elles sur la base d’un opt-out non autorisé et dont la suppression serait reconnue par le greffe de la JUB puisque, comme indiqué dans la note de bas de page 10, il y a un problème avec la compétence de la JUB sur l'opt-out ?

La critique est aisée, mais l’art est difficile

Cette nouvelle Règle 5A présente des zones d’incertitudes qui devraient être tranchées par la jurisprudence.

On aurait pu souhaiter qu’une consultation plus large des futurs usagers de la JUB ait été menée avant l’adoption formelle de ce texte par le Comité administratif. Cela aurait peut-être permis de trancher des zones d’ombre plus rapidement, sans attendre la jurisprudence qui aura peut-être du mal à trancher certaines questions de manière uniforme.

Cela étant dit, la mise en place de la « juridiction ex-nihilo » qu’est la JUB rend sans doute difficile l’absence d’une telle complexité. Les propositions du drafting committee, informellement formé autour du comité préparatoire de la JUB[11], représentent un travail titanesque qui doit, avant toute chose, être salué.

 

[1] Cette version finale n’est pas encore publiée. Elle devrait l’être avant son entrée en vigueur le 1er septembre 2022. La version actuellement en ligne sur le site de la JUB est celle intégrant des modifications datant de 2017 : https://www.unified-patent-court.org/sites/default/files/upc_rules_of_procedure_18th_draft_15_march_2017_final_clear.pdf. Une traduction en français et en allemand est annoncée d’ici au 1er septembre 2022 selon https://www.unified-patent-court.org/content/official-documents-2nd-meeting-upc-administrative-committee-8-july-2022.

[2] La version anglaise des Règles de Procédure parle de « withdrawal of an opt-out » ce que nous traduisons en français par « renonciation ». « Withdrawal » pourrait également se traduire par « retrait » mais nous préférons « renonciation » car « retrait » sera peut-être utilisé pour traduire le mot « remove » utilisé dans la nouvelle Règle 5A qui prévoit la possibilité de « remove » une demande de « withdrawal ». La traduction de « withdrawal » par « renonciation » apparait d’autant plus adéquate que l’opt-out ne peut être sollicité qu’une seule fois, la décision de « withdraw » correspond donc bien à un renoncement.

[3] Sachant que, pendant la période transitoire de 7 ans (renouvelable une fois), la compétence de la JUB pour connaitre des actions portant sur des brevets européens restera en concurrence avec la compétence antérieure des juridictions nationales.

[4] Le terme « opt-in » pour désigner la renonciation à un opt-out est impropre car opt-out et renonciation à opt-out ne sont pas symétriques. En effet, lors de la phase transitoire d’au moins 7 ans, le titulaire du brevet qui a fait une demande de renonciation à un opt-out revient à la situation antérieure de « non opt-out » : il peut introduire son action devant la JUB ou devant les juridictions nationales. A l’inverse, le titulaire du brevet qui a fait une demande d’opt-out ne peut introduire son action que devant les juridictions nationales.

[5] La règle 5(3)b)i des règles de procédure, en contraste avec le point ii, n’indique pas la nécessité d’un pouvoir pour les représentants qualifiés auprès de la JUB : on peut ainsi comprendre que tous tiers peut assister un titulaire au dépôt de l’opt-out, sous réserve d’un pouvoir explicite ad hoc, alors qu’un représentant qualifié auprès de la JUB peut assister un titulaire pour l’opt-out sans nécessité de pouvoir (sauf la possibilité prévue à la Règle 285 des règles de procédure qu’à la Juridiction de demander, au cas par cas, un pouvoir en cas de contestation).

[6] Un représentant qualifié auprès de la JUB est défini à l’article 48 de l’accord JUB et est soit un avocat dans un des Etats membres contractants, soit un mandataire européen auprès de l’OEB avec une qualification supplémentaire tel que prévue dans une liste arrêtée par le comité administratif selon l’article 48(3).

[7] Voir Règle 5(3)e) des règles de procédure, à laquelle renvoie la partie de règle 5(1)a)

[8] Voir Règle 5(5) des règles de procédure

[10] Ici, il est particulièrement notable de relever que la compétence sur cette question a été explicitement attribuée à une instance judiciaire à la différence des autres questions sur l’opt-out ou la renonciation à l’opt-out. En effet, déjà il n’y aucun mécanisme explicite de recours direct sur la décision de refus d’opt-out ou de renonciation à l’opt-out. Par ailleurs, la compétence exclusive de la JUB, tel que prévu à l’article 32(1) ne s’étend pas, au moins littéralement, à l’opt-out ou à la renonciation à l’opt-out. Tout au plus, selon les Règles 19 et 20 des règles de procédure, la JUB pourra être compétente, a posteriori, pour connaître de la validité d’un opt-out dans le cadre d’une objection préliminaire, mais les juridictions nationales pourraient tout aussi bien être compétentes pour examiner cette question (en particulier à l’expiration de la période transitoire).

[11] La composition de ce comité ne fait pas l’objet d’une communication officielle mais il semblerait, d’après les informations que nous avons recueillis lors d’une récente formation sur la JUB, qu’il serait composé de M. Klaus Grabinski, qui le présiderait, M. Wilfried Tilman, M. Willem Hoyng, M. Stefan Johansson, M. Kevin Mooney (partner chez Simons & Simons UK), Mme Alice Pézard, M. Pierre Véron, et Mme Nathalie Sabotier.

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