Article Droit européen | | 7 min. | Marc Mossé David Zygas
Le 25 avril 2023[1], la Commission européenne désignait Amazon Store (Amazon) comme « très grande plate-forme en ligne » (la Décision) au titre du règlement du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques (DSA)[2]. Revêtue de cette qualification, Amazon est soumise à certaines obligations particulières. Ainsi, l’article 39 du DSA lui impose la publication d’un registre de publicités, contenant de nombreuses informations dont le contenu de la publicité, l'identité du destinataire, la période de diffusion, les paramètres de ciblage, les communications commerciales sur les grandes plates-formes en ligne, ou encore le nombre total de destinataires atteints.
Par requête déposée le 5 juillet 2023 devant le Tribunal de l'Union européenne (le Tribunal), Amazon a introduit un recours tendant à l’annulation de la Décision. Par acte séparé du 6 juillet 2023, Amazon demandait en référé le sursis de l’exécution de la Décision dans la mesure où elle lui impose (i) de proposer aux utilisateurs une option pour chacun de ses systèmes de recommandation qui ne repose pas sur du profilage, conformément à l’article 38 du DSA et (ii) de constituer et de mettre à la disposition du public un registre des publicités conformément à l’article 39 du DSA.
Par ordonnance du 27 septembre 2023[3], le Tribunal a temporairement suspendu l’obligation de publier ce registre[4].
Par ordonnance du 27 mars 2024[5] (l’Ordonnance), le vice-président de la Cour de Justice de l’Union européenne (la Cour), saisi d’un pourvoi par la Commission, a annulé « le point 1 du dispositif de l’ordonnance du président du Tribunal […] du 27 septembre 2023 ». Le point 1 ordonnait la suspension de l’exécution de la décision de la Commission du 25 avril 2023 « dans la mesure où, en vertu de cette décision, Amazon Store sera obligée de mettre à la disposition du public un registre de publicités, conformément à l’article 39 [du DSA] ».
Dans le cadre de la mise en balance des intérêts, l’Ordonnance a constaté :
En outre, l’Ordonnance relève qu’il ressort (i) des considérants 75 et 76 du DSA que « le législateur de l’Union a estimé, au terme d’une appréciation qu’il n’appartient pas au juge des référés de remettre en question, que les très grandes plateformes en ligne jouent un rôle important dans l’environnement numérique et qu’elles peuvent engendrer des risques pour la société qui diffèrent, par leur ampleur et par leur incidence, de ceux qui sont imputables aux plateformes de plus petite taille » (para. 159), et (ii) du considérant 95 que « le législateur de l’Union a considéré que les systèmes publicitaires utilisés par les très grandes plateformes en ligne présentent des risques particuliers et nécessitent un contrôle public et réglementaire plus poussé » (para. 160).
Sur cette base, le Vice-Président a décidé que « les intérêts défendus par le législateur de l’Union prévalent, en l’espèce, sur les intérêts matériels d’Amazon, de sorte que la mise en balance des intérêts penche en faveur du rejet de la demande en référé ».
Amazon est donc bien tenue de se conformer provisoirement pleinement aux obligations du DSA, y compris la publication du registre publicitaire jusqu’au prononcé d’une décision au fond. L’affaire au fond suit son cours et, pour rappel, les juges du fond ne sont pas tenus par l’appréciation qui a été faite au provisoire.
[3]https://curia.europa.eu/juris/document/document_print.jsf?mode=req&pageIndex=0&docid=277901&part=1&doclang=FR&text=&dir=&occ=first&cid=6859218