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Refonte de la réglementation européenne sur les CCP et projet de CCP unitaire : avancées récentes et perspectives prochaines

Article Brevets | 22/04/24 | 21 min. | François Pochart David Zygas Geoffrey Grandjean Océane Millon de La Verteville

Propriété Intellectuelle

En avril 2023, soit un an après l’appel à contributions dont nous vous faisions part dans un flash[1], la Commission européenne présentait un projet de réforme des Certificats complémentaires de protection unitaire (CCP)[2]. Concernant les CCP pour les médicaments, ce projet consiste en deux textes prévoyant pour l’un la création d’un CCP unitaire (Proposition CCP Unitaire)[3] et pour l’autre la refonte du règlement (CE) No 469/2009 concernant le certificat complémentaire de protection pour les médicaments (Proposition Refonte)[4]. Des propositions de règlements jumelles ont été faites concernant les CCP pour les obtentions végétales.

Notre analyse porte ici uniquement sur les textes concernant les CCP pour les médicaments.

Présentés en plénière par le député social-démocrate allemand Tiemo Wölken, et discutés au préalable au sein de la commission affaires juridiques (JURI), ces textes viennent d’être adoptés par le parlement européen, le 28 février dernier, à une très large majorité[5], avec quelques modifications à la marge.

La gestation du CCP unitaire, futur petit frère du tout jeune Brevet unitaire, suit donc son cours.  

A quelques semaines des élections européennes, et alors que le Conseil de l’Union européenne n’a pas encore fait connaître publiquement sa position sur ce projet de réforme, quels sont les enjeux autour de ces deux textes ?

L’EUIPO deviendra l’organe d’examen des demandes de CCP nationaux et unitaires

Les textes prévoient de donner compétence à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) pour examiner les demandes de CCP fondées sur des brevets de base[6] relatifs à des médicaments ayant obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) de l’Agence européenne du médicament (EMA) en cours de validité[7].

A l’issue de son examen, l’EUIPO émettra un avis d’examen motivé[8].  

La délivrance des CCP nationaux restera du ressort des offices nationaux des Etats membres mais ces derniers seront contraints par l’avis de l’EUIPO[9]. Pour le CCP unitaire, c’est l’EUIPO qui délivrera directement le titre[10].

Pour répondre aux inquiétudes concernant le manque d’expertise de l’EUIPO en matière de brevets, de CCP et, plus globalement, de médicaments[11], le Parlement a inscrit dans les considérants des deux textes que les examinateurs en charge de l’examen (un examinateur de l’EUIPO et deux examinateurs issus des offices nationaux) disposeront de « l’expertise pertinente et d’une expérience suffisante dans l’évaluation des certificats complémentaires de protection »[12]. Cette exigence se retrouve aux articles « Comités d’examen » des deux textes mais l’étalon retenu dans ces articles pour déterminer si l’expertise/expérience requise est « pertinente » et « suffisante » nous parait avoir été fixé bien bas : « il est notamment veillé à ce qu’au moins l’un d’entre eux ait au moins cinq ans d’expérience dans l’examen des brevets et des certificats complémentaires de protection »[13]. En d’autres termes, un comité composé d’un examinateur ayant 5 ans d’expérience dans les brevets et CCP et deux examinateurs ayant moins de 5 ans d’expérience pourrait être considéré comme suffisamment expérimenté dans son ensemble…

Comme le pointait la CNCPI dans ses commentaires à la Commission[14], il est « primordial d’assurer un examen de haute qualité » car « les enjeux économiques attachés à chaque demande de certificat sont très élevés ». On peut malheureusement craindre que les ajouts du Parlement ne soient pas suffisants pour que cette haute qualité soit assurée… et inviter le Conseil a réhausser le standard.

Observations de tiers, opposition et recours contre les décisions de l’EUIPO

Lors de la phase d’examen devant l’EUIPO, des tiers pourront soumettre des observations[15]. Cette possibilité pour les tiers d’émettre des observations avant la délivrance du CCP a été vivement critiquée par conseil fédéral allemand (Bundesrat) dans des observations soumises au parlement[16].

Une opposition sera possible dans les deux mois suivant la publication de l’avis d’examen de l’EUIPO[17].

Les décisions de l’EUIPO seront susceptibles de recours devant les chambres de recours de l’EUIPO, une décision de recours pouvant elle-même faire l’objet d’un recours devant le Tribunal de l’Union Européenne (TUE), voir en dernier ressort d’un pourvoi devant la CJUE sur le modèle de la procédure en marques et dessins et modèles de l’UE.

Prise en considération de la jurisprudence de la CJUE en matière de CCP

Dans l’exposé des motifs de la Proposition Refonte, la Commission indiquait « Il a été relevé que le règlement (CE) nº 469/2009 ne comportait pas de considérants appropriés susceptibles de faciliter l’interprétation de l’article 3. Certains considérants [de la Proposition Refonte] concernent dès lors les conditions de délivrance des CCP énoncées à l’article 3 et intègrent la jurisprudence de la Cour de justice. L’objectif est de garantir la cohérence. En particulier, les arrêts rendus dans les affaires C‑121/17 et C‑673/18 interprètent respectivement l’article 3, point a), et l’article 3, point d), du règlement (CE) nº 469/2009 et devraient être considérés comme une jurisprudence constante. C’est également le cas de l’arrêt C‑471/14, selon lequel la date de la première autorisation de mise sur le marché dans l’Union, au sens de l’article 13, est la date à laquelle la décision accordant l’autorisation a été notifiée au destinataire de la décision ».

L’exposé des motifs de la Proposition CCP Unitaire contient en substance la même indication.

Cette intégration de la jurisprudence de la CJUE dans la loi est symptomatique d’un courant de fond qui pousse la commission à aller dans un niveau de détails très important dans ses propositions de textes.

Surenchérissant sur cette exigence de cohérence, le Parlement a modifié plusieurs considérants pour coller encore plus à la jurisprudence de la CJUE.

Ainsi, au considérant 16 de la Proposition CCP Unitaire et 8 de la Proposition Refonte, le Parlement a très exactement entériné la jurisprudence de la CJUE sur la notion de « produit protégé par un brevet de base en vigueur »[18] (amendements en gras) :

« Il convient que l’une des conditions de délivrance d’un certificat soit que le produit soit protégé par le brevet de base, c’est-à-dire que ce produit devrait entrer dans le champ d’application d’une ou de plusieurs revendications de ce brevet, tel qu’il est interprété par l’homme du métier à la lumière de la description et des dessins du brevet, en se fondant sur la connaissance générale de cet homme du métier dans le domaine concerné et sur l’état de la technique à la date de dépôt ou à la date de priorité du brevet de base. Cette condition n’impliquerait pas nécessairement que la substance active du produit soit explicitement identifiée dans les revendications ou, dans le cas d’une association médicamenteuse, que chacune des substances actives de celle-ci soit explicitement identifiée dans les revendications, à condition que chaque substance active soit spécifiquement identifiable à la lumière de toutes les informations divulguées par ce brevet, en se fondant sur l’état de la technique à la date de dépôt ou à la date de priorité du brevet de base ».

Le Parlement a par ailleurs pris en considération une critique émise par conseil fédéral allemand (Bundesrat)[19] qui reprochait une formulation imprécise du considérant 9 concernant la délivrance d’un nouveau CCP pour un produit composé d’une combinaison de substances actives si l’une de ces substances avait déjà fait l’objet d’un CCP. Selon le Bundesrat, cette formulation pouvait entrainer une contradiction avec la jurisprudence de la CJUE et notamment son arrêt Actavis c. Sanofi[20]. Suite à l’examen par le Parlement européen, le considérant 9 de la Proposition Refonte et le considérant 17 de la Proposition CCP Unitaire sont désormais rédigés ainsi (amendements en gras) :

Afin d’éviter une surprotection, il convient de prévoir qu’un même produit ne peut être protégé par plus d’un certificat, qu’il soit national ou unitaire, dans un même État membre. Par conséquent, il convient d’exiger que le produit, ou tout dérivé équivalent sur le plan thérapeutique tel que des sels, des esters, des éthers, des isomères, des mélanges d’isomères, des complexes ou des biosimilaires, n’ait pas déjà fait l’objet d’un certificat antérieur, que ce soit seul ou en combinaison avec un ou plusieurs principes actifs supplémentaires, pour la même indication thérapeutique ou pour une indication thérapeutique différente.

En gravant ainsi dans le marbre l’état actuel de la jurisprudence de la CJUE, le législateur semble vouloir marquer un coup d’arrêt aux fluctuations inhérentes à cette jurisprudence et empêcher ainsi tout nouveau revirement sur les points ainsi figés. On sait en effet, depuis la série d’arrêts Yissum-Neurim-Santen que la CJUE peut opérer des revirements à 180 degrés…

Prochaines étapes

Puisque les élections européennes se tiendront du 6 au 9 juin prochain, le Parlement européen actuel a établi ses priorités pour finaliser certains textes législatifs avant le transfert de son mandat vers le Parlement nouvellement élu. D’une manière générale, un changement de Parlement implique qu’il n’est pas acquis que tous les dossiers soient repris par le nouveau Parlement.

Pour ce qui concerne les textes analysés dans cette brève et pour lesquels le Parlement actuel a arrêté sa position, le processus législatif entamé devrait suivre son cours après les élections, même si le prochain Parlement est gouverné par une autre coalition. Il s’agit en tous cas de l’annonce faite par ce Parlement qui, dans son communiqué de presse du 28 février 2024, écrit que : « Le dossier sera suivi par le nouveau Parlement après les élections européennes des 6-9 juin »[21]

En outre, le Parlement actuel annonce pouvoir démarrer les discussions avec le Conseil de l’Union européenne dans le cadre des trilogues, lorsque celui-ci aura également arrêté sa position. Pour rappel, les trilogues sont les négociations interinstitutionnelles qui se déroulent avec des représentants des trois institutions (Parlement européen, Conseil de l’Union européenne, Commission européenne) en vue d’aboutir à un accord provisoire sur le texte.

A notre connaissance, aucune information quant à la position du Conseil sur ces deux textes n’a encore été rendue publique. Le Conseil de l’Union européenne est en train de les examiner au niveau de son groupe de travail sur la propriété intellectuelle[22].

Lorsqu’un accord provisoire sera trouvé dans le cadre des trilogues, le texte reviendra au Parlement européen et au Conseil de l’Union européenne afin que ceux-ci l’approuvent formellement. La version finale sera ensuite publiée au Journal officiel de l’Union européenne.

Il peut être déduit de ces différents éléments que les élections européennes ne devraient pas empêcher le processus législatif relatif à ces textes de suivre son cours, mais que la mouture actuelle des textes est, sans doute, amenée à évoluer avant leur publication au Journal officiel de l’Union européenne.

 

[3] Rapport sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant le certificat complémentaire de protection unitaire pour les médicaments, et modifiant les règlements (UE) 2017/1001, (CE) nº 1901/2006 et (UE) nº 608/2013. L’ensemble des travaux parlementaires et le texte adopté par le Parlement européen sont accessibles sur : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2024-0097_FR.html

[4] Rapport sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant le CCP pour les médicaments (refonte). L’ensemble des travaux parlementaires et le texte adopté par le Parlement européen sont accessibles sur : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2024-0099_FR.html

[5] Proposition CCP Unitaire : 518 votes pour, 29 contre, 70 absentions ; Proposition Refonte : 526 votes pour, 23 contre, 70 absentions.

Le détail des votes est accessible au lien suivant : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/PV-9-2024-02-28-VOT_FR.html

[6] Le brevet de base est défini comme « un brevet unitaire qui protège un produit en tant que tel, un procédé d’obtention d’un produit ou une application d’un produit et qui est désigné par son titulaire aux fins de la procédure d’obtention d’un certificat unitaire » (Article 2 des deux rapports).

[7] Article 3 de la Proposition Refonte.

[8] Article 24 de la Proposition Refonte et Article 13 de la Proposition CCP Unitaire.

[9] Article 32 de la Proposition Refonte.

[10] Article 18 de la Proposition CCP Unitaire.

[12] Amendement 7 modifiant le considérant 30 de la Proposition Refonte et Amendement 11 modifiant le Considérant 26 de la Proposition CCP Unitaire.

[13] Amendement 45 modifiant l’article 28 de la Proposition Refonte et Amendement 48 modifiant l’article 17 de la Proposition CCP Unitaire.

[15] Article 25 de la Proposition Refonte et Article 14 de la Proposition CCP Unitaire.

[17] Article 26 de la Proposition Refonte et Article 15 de la Proposition CCP Unitaire.

[18] CJUE, Gr. Ch., 25 juillet 2018, Teva UK Ltd. c. Gilead Sciences Inc., affaire C-121/17 et surtout CJUE, 4e ch., 30 avril 2020, Royalty Pharma Collection Trust c. DPMA, affaire C-650/17.

[20] CJUE, 3e ch., 12 déc. 2013, Actavis c. Sanofi, affaire C-443/12.

[21] Traduction libre de: « The file will be followed up by the new Parliament after the European elections on 6-9 June”. https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20240223IPR18090/meps-approve-protection-for-innovative-medicinal-and-plant-protection-products

[22] Conseil de l’Union européenne, List of working papers (WK) distributed to the Working Party on Intellectual Property in the Q3 2023: https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=CONSIL:ST_14208_2023_INIT 

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