retour

10 ans de contrôle accru des investissements étrangers en France (IEF)

Article Droit public et commande publique | 26/06/24 | 10 min. | Vincent Brenot Nicolas Baverez

La France, championne d’Europe de l’attractivité pour la cinquième année consécutive, organisait, le 13 mai dernier à Versailles, son sommet annuel Choose France dédié aux investissements étrangers. De très nombreuses entreprises étrangères, séduites par l’environnement économique et juridique qu’offre notre pays, ont décidé d’investir dans des sociétés françaises ou d’y réaliser leurs projets, à l’image de l’investissement record de Microsoft pour créer ses datacenters.

Si la France se réjouit d’attirer toujours plus d’investisseurs étrangers, elle a toutefois renforcé, ces dernières années, sa réglementation en matière de contrôle des investissements étrangers en France (« IEF ») afin de préserver sa souveraineté dans les secteurs jugés stratégiques (défense, énergie, santé, aérospatiale etc…).

C’est dans ce contexte que Vincent Brenot et Nicolas Baverez, associés chez August Debouzy, ont eu la chance de recevoir Thomas Ernoult, chef du bureau du contrôle des IEF au sein de la Direction générale du Trésor du ministère de l’Économie et des Finances, qui est revenu sur les principes et les modalités d’exercice de ce contrôle ainsi que les éventuelles évolutions dont cette réglementation pourrait faire l’objet.

Quelques données

Un dossier concernant une opération d’acquisition ou d’investissement soumis au bureau de contrôle des IEF peut donner lieu à quatre décisions :

  • l’opération est jugée inéligible (c’est-à-dire ne relevant pas du champ d’application du contrôle),
  • elle fait l’objet d’une autorisation simple,
  • elle fait l’objet d’une autorisation sous conditions, ou
  • elle se voit opposer un refus.


En 2023, le bureau de contrôle des IEF a instruit 309 dossiers[1] déposés par des investisseurs étrangers à l’occasion d’opérations d’acquisitions. Le bureau de contrôle des IEF, a autorisé plus de la moitié des investissements étrangers soumis à son contrôle (53%), dont 60 autorisations sous conditions (44% des autorisations)[2]. Près de la moitié des autres opérations sont déclarées comme inéligibles tandis qu’un certain nombre fait l’objet d’un refus.

L’instruction des dossiers par le bureau des IEF

Concrètement, le bureau en charge de l’instruction des dossiers s’attache en priorité à évaluer la sensibilité de l’activité de la cible, indépendamment de l’investisseur. Respectant un principe de non-discrimination, le contrôle ne se fonde sur aucune hiérarchie des risques pays et ne vise aucun Etat en particulier, tout en demeurant, bien sûr, au fait de l’état du monde et des relations diplomatiques.

Ensuite, les services examinent la stratégie et l profil de l’investisseur, au-delà de sa nationalité, au regard de son honorabilité, notamment s’il a fait l’objet de précédentes condamnations, s’il y a des présomptions fortes qu’il commette des agissements à risque ou si, dans le passé, s’il a eu des comportements contestables dans la mise en œuvre de décisions(s) d’autorisation(s) rendue(s) par le ministre de l’Economie et des Finances.

Dans la circonstance où le ministre estimerait qu’un refus est nécessaire, deux paramètres entrent en ligne de compte. Le premier s’attache à déterminer si les conditions envisageables sont susceptibles de réduire les risques identifiés. Le second est relatif aux liens qu’un ou plusieurs investisseurs peuvent entretenir avec un État étranger. Ces liens peuvent être de nature capitalistique, institutionnelle et parfois un peu plus impalpable, mais le ministère doit toujours être en mesure de justifier de leur matérialité. Les décisions de refus font, par définition, grief et sont donc susceptibles de recours.

Un traitement prioritaire des dossiers urgents malgré l’absence de « fast track »

S’agissant des délais, la réglementation[3] impose d’une part, à l’administration un délai de 30 jours ouvrés pour effectuer la première phase du contrôle et d’autre part, 45 jours ouvrés pour l’éventuelle seconde phase, si le dossier nécessite un examen complémentaire. Il a été rappelé l’importance de sensibiliser au plus tôt les investisseurs sur l’importance de déposer un dossier si l’opération est susceptible d’être concernée par le contrôle des IEF, tout particulièrement dans le cas de reprises d’entreprises en difficultés déjà en procédure devant le tribunal de commerce.

Malgré l’absence de procédure d’examen accélérée dite « fast track », même dans le cas de reprises d’entreprises en difficultés qui se trouvent devant le Tribunal de commerce, les services s’attachent à traiter le plus rapidement possible les dossiers. En général, le bureau de contrôle des IEF parvient généralement à instruire les demandes dans les délais imposés par le calendrier de reprise. Il applique un principe de bonne administration, qui conduit à ne pas retenir un dossier au tribunal de commerce par l’absence d’une décision IEF.

L’intérêt des demandes d’examen préalable

Il est également possible de déposer une demande d’examen préalable en prévision d’une opération afin de donner de la visibilité aux investisseurs et aux cibles, bien que l’avis rendu ne vaille pas pour une durée illimitée, puisque les circonstances de fait et de droit peuvent évoluer. La connaissance de l’administration de l’activité de la cible sera ainsi bien meilleure après avoir procédé à l’instruction d’une demande d’examen préalable qu’en son absence. En revanche, si un projet d’investissement est déjà quasiment certain, il reste indispensable de déposer une vraie demande. Sinon il y aura un cumul des délais.

Par ailleurs, dans le cas où, après une première instruction, l’opération s’avère complexe et nécessite un examen complémentaire durant une deuxième phase d’instruction, cette dernière peut donner lieu soit à un refus ou à une autorisation assortie de conditions. Ces conditions peuvent consister, par exemple, dans le cas d’une activité sensible, à l’obligation de conserver des capacités industrielles et des compétences clés sur le territoire national, ou encore à protéger des droits de propriété intellectuelle.

En revanche, le contrôle des IEF ayant pour objet de préserver l’ordre public, la sécurité publique et les intérêts de la défense nationale, le fait d’exiger la sauvegarde de l’emploi en France ne peut faire l’objet d’engagements dans ce cadre.

Conditions et suivi des engagements

Le contrôle du respect des conditions par l’investisseur est un des défis majeurs de cette phase « adulte » du contrôle IEF, d’autant plus que le stock de lettres d’engagements s’accroît. En effet, une forte majorité des conditions sont imposées pour une durée indéterminée, bien qu’il n’y ait pas d’automaticité dans la durée de vie indéfinie des lettres d’engagements. Là encore, l’administration essaie d’avoir l’approche la plus proportionnée possible en fonction des risques identifiés et de leur durée. Si une condition n’était valide que pour la durée d’un programme d’investissement ou d’un contrat, il n’y aurait alors aucune raison de la faire perdurer.

Assurant la cohérence de l’ensemble du dispositif, le bureau des IEF délègue le suivi opérationnel des engagements au Service de l'information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE) du ministère de l’Economie et des Finances. Ce dernier recourt pour ce faire à l’expertise des administrations compétentes, par exemple la direction générale de l’armement (DGA) dans le secteur militaire.

Par ailleurs, ce contrôle s’effectue en bonne intelligence avec le cadre européen régulant les IEF, formalisé par le règlement de 2019[4], mis en œuvre depuis octobre 2020. Les autres Etats membres et la Commission européenne se voient notifier les dossiers qui les impactent et peuvent émettre un avis sur l’opération au regard de son incidence sur leurs propres intérêts fondamentaux. Ils ne peuvent cependant pas imposer des conditions supplémentaires, les Etats demeurant souverains en matière de contrôle des investissements étrangers.

Il existe également d’autres discussions informelles, notamment au sein de l’OCDE ou du G7, mais ces échanges portent sur les principes sans jamais aborder les demandes individuelles.

Absence d’autorisation, non-respect des engagements et régularisation

En cas de réalisation d’un IEF sans autorisation ou de non-respect des engagements qui subordonnaient une autorisation, plusieurs sanctions peuvent être actionnées par le ministre. Il peut s’agir de mesures de police administrative dans le cas où l’on constaterait la violation d’un manquement aux conditions imposées dans le cadre de l’autorisation, ou dans le cas d’une opération qui aurait été réalisée sans autorisation préalable. Il est possible de demander à l’investisseur de rétablir à ses frais la situation prévalant antérieurement à l’investissement (la sanction la plus sévère), de modifier l’investissement, ou de lui enjoindre de déposer une demande d’autorisation. D’autres sanctions peuvent aller jusqu’à retirer l’autorisation, priver l’investisseur de ses droits de vote dans le cadre de la gouvernance de l’entreprise cible, substituer de nouvelles conditions aux conditions qui n’ont pas été respectées.

Une régularisation reste possible lorsqu’un investissement étranger a été réalisé sans autorisation. Le ministre peut de sa propre initiative, au titre de ses pouvoirs de police, enjoindre à l’investisseur de déposer un dossier de demande d’autorisation qui ne sera plus préalable mais qui permettra de purger la nullité civile liée à la réalisation irrégulière de l’opération.

L’investisseur peut également de son propre chef solliciter le bureau des IEF pour régulariser une opération. L’examen de cette demande est effectué au regard des circonstances de fait et de droit à la date à laquelle l’opération a été réalisée. Si la régularisation purge la nullité civile, elle n’exonère pas l’investisseur de la possibilité d’être sanctionné. Bien que l’administration ne publie pas de statistiques sur les sanctions, leur nombre est a priori limité.

L’absence de projets d’évolution du champ des IEF

Alors que le champ des opérations d’investissement étranger en France soumises à procédure a été élargi le 1er janvier 2024, avec l’abaissement du seuil de déclenchement du contrôle à la détention de 10% de droits de votes dans les sociétés françaises, aucune nouvelle évolution du régime n’est actuellement envisagée. Les opérations greenfield demeurent également hors du champ de contrôle des IEF par les autorités françaises et leur intégration ne constitue pas un axe privilégié de réforme.

Néanmoins, sous l’autorité du ministre chargé de l’économie, la direction générale du Trésor suit attentivement l’évolution des menaces sur la souveraineté économique de la France. Elle se réserve la possibilité de réévaluer la capacité de notre droit positif à y répondre et de modifier en conséquence le cadre réglementaire des IEF.

 

[1] 325 dossiers instruits en 2022.

[2] Entre le 1er janvier et le 31 décembre 2023, 255 décisions ont ainsi été rendues sur des demandes d’autorisation d’investissement. Sur cette période, 135 investissements étrangers ont été autorisés au titre du contrôle IEF.

[3] Article R. 151-6 du Code monétaire et financier.

[4] Règlement n° 2019/452 du 19 mars 209 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union

Explorez notre collection de documents PDF et enrichissez vos connaissances dès maintenant !
[[ typeof errors.company === 'string' ? errors.company : errors.company[0] ]]
[[ typeof errors.email === 'string' ? errors.email : errors.email[0] ]]
L'email a été ajouté correctement