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Sanctions | Adoptions par l’UE du 14ème train de sanctions économiques et individuelles contre la Russie

Article Compliance | 25/06/24 | 16 min. | Olivier Attias Alfred Reboul Sophie Peter Noureen Nhari

FOCUS SUR L’INTRODUCTION DE MESURES IMPACTANT LES OPÉRATEURS DE L'UE

Le 24 juin 2024, après des négociations intenses entre les États membres, l'Union européenne a adopté son 14ème train de sanctions à l'encontre de la Russie. Ce nouveau paquet de mesures, caractérisé par sa fermeté et ses stratégies ciblées, vise à affaiblir l'économie russe et à restreindre ses capacités militaires.

Les sanctions imposées incluent des restrictions significatives dans les secteurs de l'énergie, de la finance, du commerce et des transports, avec pour objectif de réduire les opportunités de contournement des sanctions existantes.

 
1. MESURES LIÉES À L'ÉNERGIE


Le règlement (UE) 833/2014 interdit désormais la fourniture de biens, de technologies ou de services aux projets de gaz naturel liquéfié (GNL) en construction en Russie, tels que les terminaux Arctic LNG 2 et Murmansk LNG.

Cette initiative, qui vise à restreindre la capacité de la Russie à accroître ses infrastructures GNL, se couple à une interdiction de transbordement de GNL russe dans les ports de l'UE, ainsi que la fourniture de services techniques associés. Une dérogation peut être demandée pour le transbordement de GNL lorsque la destination de la cargaison est un autre État membre. Cette mesure devrait accroître les coûts pour la Russie, qui ne pourra plus profiter des infrastructures de l'UE pour optimiser le transport de son GNL dans le monde. Une période de transition de 9 mois est prévue.

Les États européens pourront toujours importer du GNL russe, qui représente 16% du GNL consommé dans l'UE. Toutefois, il ne sera plus possible de réexporter ce GNL depuis les ports européens. L'UE vise également à entraver le schéma logistique actuel des exportations de gaz russe en provenance de l'Arctique – notamment de l’usine de Yamal – , et qui, pendant les mois d'hiver requiert l'utilisation de méthaniers brise-glace. Ces navires livrent le GNL dans des ports européens qui disposent d'infrastructures permettant de transférer directement le GNL d'un navire à un autre, principalement les ports de Bilbao, Zeebrugge et de Montoir-de-Bretagne, d'où il est ensuite acheminé, notamment vers les marchés asiatiques dont la Chine ou la Turquie par des méthaniers classiques.

En outre, l'importation de GNL russe dans des terminaux spécifiques non connectés au réseau de gazoducs de l'UE est désormais interdite, renforçant les efforts du paquet « Gaz et hydrogène décarbonés » pour réduire la dépendance européenne au gaz russe. Les navires soutenant la guerre menée par la Russie se voient également interdits d'accès aux ports et services européens.
 

2. LISTES SUPPLÉMENTAIRES DE PERSONNES SOUS SANCTIONS


La liste des personnes sanctionnées s'allonge de 116 entrées supplémentaires, concernant 69 personnes et 47 entités, faisant l'objet d'un gel des avoirs, portant le total à plus de 2 200. Dans le cas des personnes, elles sont également soumises à une interdiction de voyager au sein de l’Union Européenne. Les nouvelles entrées ciblent divers secteurs économiques, notamment des sociétés militaires, des entreprises spécialisées dans l'ingénierie spatiale, le secteur chimique, les explosifs, ainsi que des entreprises énergétiques de premier plan. Concernant les personnes physiques, il s'agit principalement d'individus impliqués dans des activités de désinformation et de propagande, soutenant ainsi la guerre d'agression menée par la Russie contre l'Ukraine.

Parmi les nouveaux ajouts, notons néanmoins l’ajout de l'entreprise publique russe de transport maritime Sovcomflot – déjà visé par des sanctions américaines depuis début 2024.
 

3. MESURES CONCERNANT LE SECTEUR FINANCIER


Les sanctions financières se renforcent avec une interdiction pour les banques de l'UE situées en dehors de la Russie d'utiliser le système de messagerie financière de la Banque centrale de Russie (SPFS). Actuellement utilisé par environ 160 banques dans le monde, ce système avait été mis en place après son exclusion du système financier SWIFT.

Il est également interdit aux banques de pays tiers utilisant le SPFS d'entrer en contact avec des opérateurs de l'UE, limitant ainsi les transactions financières qui pourraient soutenir les capacités militaires russes. Les transactions avec des banques et fournisseurs de crypto-actifs facilitant les transactions de la défense russe sont également proscrites.
 

4. MESURES LIÉES AU COMMERCE


61 nouvelles entités ont été ajoutées à la liste des entités liées au complexe militaro-industriel russe, dont 33 sont basées dans des pays comme la Chine, Hong Kong, la Turquie, le Kirghizstan, l'Inde, le Kazakhstan et les Émirats arabes unis. Ces entités sont sujettes à des restrictions d’exportation plus strictes concernant les biens à double usage et les technologies susceptibles de contribuer au renforcement des capacités de la Russie dans les secteurs de la défense et de la sécurité. Le 14ème train de sanctions impose des restrictions supplémentaires aux exportations de biens susceptibles de contribuer en particulier au renforcement des capacités industrielles de la Russie, tels que les substances chimiques comme le minerai de manganèse, terres rares, les matières plastiques, les engins d'excavation, les moniteurs et les équipements électriques. En outre, cinq nouveaux articles communs hautement prioritaires sont désormais soumis aux restrictions à l’exportation des biens. 

Le 14ème train de sanctions interdit l'importation d'hélium russe pour diminuer les dépendances en ressources et priver la Russie de revenus importants. Les règles concernant les importations de diamants russes sont clarifiées, permettant temporairement l'importation ou l'exportation de bijoux pour des foires commerciales ou des réparations, et a retardé jusqu’au 1er mars 2025 le déploiement du système de traçabilité obligatoire des diamants importés dans l’UE.

Enfin, l'importation de biens culturels ukrainiens volés est interdite pour protéger le patrimoine culturel de l'Ukraine.

 
5. MESURES RELATIVES AUX TRANSPORTS


Dans le secteur de l'aviation, les sanctions interdisent désormais les vols non réguliers décidés par des personnes russes, indépendamment de la propriété et du contrôle de l'avion. Cette mesure s'accompagne d'une obligation uniforme pour les opérateurs de fournir, à la demande des autorités nationales, des informations détaillées sur la propriété de l'avion et les passagers à bord.

Autre mesure importante, les restrictions dans le secteur routier sont renforcées. Les entreprises de l'UE détenues à 25 % ou plus par des personnes russes ne sont plus autorisées à transporter des marchandises par route à travers l'Union, y compris en transit. Cette interdiction s'applique également aux entreprises de transport routier qui sont actuellement détenues à ce niveau de participation, les empêchant ainsi de poursuivre leurs opérations de transport de marchandises. En outre, ces entreprises ne pourront plus prétendre devenir des transporteurs routiers au sein de l'UE à l'avenir.

Pour le transport maritime, une interdiction d'accès aux ports et aux services est imposée aux navires figurant sur la liste des sanctions pour avoir contribué à l'effort de guerre de la Russie. Aux termes de ce 14ème train de sanctions et à ce jour, 27 navires sont ainsi concernés. Ces navires sont impliqués dans le transport d'équipements militaires, le transport de GNL, le transport de céréales ukrainiennes volées, et participent à la « flotte fantôme » qui acheminent du pétrole russe tout en recourant à des pratiques maritimes trompeuses pour contourner le plafond de prix imposés par l'UE et la coalition. Cette liste de navires pourra être mise à jour aussi souvent que nécessaire pour contrer l'implication, en constante évolution, des navires qui soutiennent la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine.

 
6. MESURES DE PROTECTION DES DROITS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE (DPI)


Les offices de propriété intellectuelle de l'UE n'accepteront plus les demandes de nouvelles marques ou brevets émanant de personnes russes ou résidant en Russie. Cette mesure vise à priver la Russie du savoir-faire industriel de l'Union tout en empêchant les entreprises russes de bénéficier de la protection de leurs DPI en Europe. Les Russes peuvent toujours utiliser leurs nouvelles marques et technologies dans l'Union. Ils ne seront simplement pas protégés contre l'utilisation par une société de l'Union ou les échanges en tant que titre de propriété. Leurs droits de propriété intellectuelle enregistrés ne seront cependant pas annulés. 

 
7. MESURES DE LUTTE CONTRE L'INGÉRENCE RUSSE


Les partis politiques, les ONG, fondations, groupes de réflexion et les médias de l'UE ne peuvent plus accepter de financements, dons ou avantages économiques de l'État russe ou de ses mandataires, protégeant ainsi l'intégrité des processus politiques européens et défendant contre les campagnes de désinformation orchestrées par la Russie, notamment menées à l’aune des dernières élections européennes du 6 au 9 juin 2024.

L'UE a ajouté Voice of Europe, RIA Novosti, Izvestia et Rossiyskaya Gazeta à la liste des médias sanctionnés.

Ces mesures se couplent à une nouvelle interdiction pour l'UE et les États membres de financer toutes les entités russes - et pas seulement les entités publiques, comme c'était le cas auparavant. Cette mesure s'alignera sur les restrictions déjà existantes en matière de marchés publics.

 

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FOCUS SUR L’INTRODUCTION DE MESURES IMPACTANT LES OPÉRATEURS DE L'UE

Le nouveau train de sanction introduit certaines mesures visant à protéger les opérateurs de l’UE qui seraient encore implantés en Russie :

  • Allongement de la période de dérogation pour les services et logiciels fournis par des entités contrôlées par des personnes situées sur le territoire de l’Union européenne.

Le nouveau train de sanctions introduit la possibilité de solliciter une dérogation auprès de l’autorité compétente jusqu’au 30 septembre, contre le 20 juin 2024 auparavant. En France, les demandes sont à adresser à la Direction générale du Trésor, via la plateforme Téléservice.

  • Exemption pour les ressortissants européens résidants en Russie avant février 2022

Afin de ne pas restreindre indûment le droit à l'emploi des ressortissants de l'Union qui résidaient en Russie avant l'invasion de l'Ukraine en février 2022 et qui sont employés par des filiales d'entités de l'Union et de pays partenaires en Russie, la décision (PESC) 2024/1744 instaure une exemption à l'interdiction de fournir certains services au gouvernement russe ou à des personnes morales, des entités ou des organismes établis en Russie.

  • Création d'une base juridique permettant aux opérateurs de l'UE de demander une indemnisation dans l'UE pour les dommages causés par les entreprises russes dans le cadre de la mise en œuvre des sanctions et de l'expropriation.

Actuellement, les entreprises de l'UE qui, par exemple, mettent fin à un contrat avec une société russe pour se conformer aux sanctions sont protégées contre d'éventuelles plaintes dans l'UE. Toutefois, elles peuvent être poursuivies en Russie pour cette raison et voir leurs actifs saisis dans ce pays. Le nouvel instrument établit une base juridique spécifique permettant aux entreprises de l'UE de recouvrer ces dommages auprès des éventuels actifs de leur homologue russe dans l'UE.

Le règlement (UE) 2024/1745 permet ainsi aux entreprises de l'UE qui auraient été dépossédées ou expropriées de demander des dommages et intérêts, et ce compris non seulement la compensation pour la perte de leurs actifs, mais aussi la couverture des frais de justice engagés dans le cadre de ces procédures.

Plus particulièrement, lorsqu'une entreprise a subi un préjudice consécutif à "la gestion temporaire illégitime imposée par une décision des décideurs russes ciblant des biens situés sur le territoire de la Fédération de Russie et appartenant à des personnes étrangères associées à des « États étrangers hostiles », c'est-à-dire des États ayant pris des mesures restrictives contre la Russie", il sera désormais possible pour cet opérateur d'obtenir réparation.

Ces mesures concernent notamment la possibilité de récupérer des dommages et intérêts auprès de ceux qui ont bénéficié d'une décision prise en vertu du décret 302 du président de la Fédération de Russie, du 25 avril 2023, autorisant la prise de contrôle d'actifs gérés par des investisseurs d'États hostiles.

En parallèle, certaines mesures viennent durcir certaines obligations de contrôle des société mères sur leur filiales établies dans des pays tiers, afin d’éviter les opportunités de contournement des sanctions européennes :

Les entreprises de l'UE devront faire tout ce qui est en leur pouvoir pour s'assurer que leurs filiales dans les pays tiers ne participent pas à des activités compromettant les sanctions de l'UE.

Il s’agit principalement de s’assurer qu’une clause de non-réexportation vers la Russie (« No Russia clause ») sont intégrées dans les contrats prévoyant des transferts de droits de propriété intellectuelle (DPI), afin de garantir que le savoir-faire industriel transféré en dehors de l'Union n'est pas utilisé pour fabriquer des biens de haute priorité commune destinés à la Russie.

Les entreprises de l'UE devront faire preuve de diligence raisonnable pour empêcher les biens de haute priorité commune d'atteindre la Russie via des pays tiers, souvent du Caucase et d’Asie centrale, qui servent bien souvent de plaques tournantes pour le réacheminement des produits occidentaux et s’astreindre à ce que leurs filiales étrangères commercialisant des ces biens fassent de même. Ainsi, les opérateurs européens, ainsi que les entités non-européennes qu’ils possèdent ou contrôlent, pourraient être tenus cas de non-respect de cette obligation et de violation des sanctions.

En ce sens, le 14ème train de sanctions précise que les conditions du contournement des sanctions européennes sont remplies non seulement lorsqu'une personne recherche délibérément l'objet ou l'effet de contourner les mesures restrictives, mais également lorsqu'une personne participant à une activité ayant pour objet ou pour effet de contourner les mesures restrictives est consciente que cette participation peut avoir cet objet ou cet effet, et en accepte la possibilité (y compris lorsque l’individu a agi par imprudence ou par négligence alors qu’il avait des motifs raisonnables de suspecter que ses actes violeraient lesdites sanctions, conformément à la jurisprudence de la CJUE[1]).

 

[1]               Voir notamment l’interprétation de la CJUE dans l’arrêt C-72/11 du 21 décembre 2011, Mohsen Afrasiabi et autres.

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