Article Brevets | 27/10/25 | 6 min. | Grégoire Desrousseaux Geoffroy Thill
La cour d'appel s'est encore prononcée sur les possibilités de limitation par le breveté, après une décision du tribunal judiciaire annulant un brevet - avec exécution provisoire (N° RG 23/01389 du 24/10/2025).
La cour d'appel considère que les limitations du brevet devant l'INPI, postérieurement au jugement, sont irrégulières et partant inopposables aux sociétés intimées.
Cet arrêt va plus loin encore que celui du 16 mai 2025[1], qui avait considéré qu’en ne portant pas le jugement à la connaissance de l’INPI, la limitation obtenue était frauduleuse et inopposable.
En l’espèce, l’INPI n’a pas non plus été informé du jugement, mais la cour ne semble pas lier cette absence d’information à l’inopposabilité de la limitation ; il semble suffire pour être inopposable que la limitation porte sur des revendications annulées avec exécution provisoire.
Et la cour rejette la requête en limitation présentée devant elle, tendant à restreindre la portée du brevet aux revendications telles que déjà limitées par l’INPI.
La possibilité pour le breveté de limiter le brevet compte tenu du jugement semble donc sérieusement compromise.
Une limitation devant l'INPI paraît désormais impossible : la limitation est inopposable du fait de l’exécution provisoire, voire frauduleuse si l'INPI n'avait pas connaissance du jugement. L'INPI semble d’ailleurs avoir adopté la pratique de refuser la limitation dès lors qu’il est informé du jugement.
Une limitation judiciaire paraît incertaine : la Cour de cassation a confirmé, en 1994, la possibilité d’une limitation d'un brevet par les juridictions judiciaires sur le fondement des dispositions qui sont maintenant celles des articles L.613-25 et L.614-12 du code de la propriété intellectuelle : si les motifs de nullité n'affectent le brevet qu'en partie, la nullité est prononcée sous la forme d'une limitation correspondante des revendications[2]. Le breveté avait été renvoyé devant le directeur de l'INPI conformément aux dispositions qui sont maintenant dans l'alinéa 3 de l'article L.613-27 du code de la propriété intellectuelle.
Depuis cet arrêt, seuls deux jugements de première instance ont reconnu la possibilité pour le tribunal judiciaire de limiter le brevet – sans renvoi devant l'INPI[3]. La cour d'appel, depuis 1992, ne semble pas avoir confirmé la possibilité d'une limitation devant elle[4]…
Et le droit du titulaire à limiter est pourtant avéré :
Reste par ailleurs la question de savoir quel est l'effet de l'exécution provisoire sur la nullité : à l'inverse d'un paiement, la nullité n'implique aucune exécution… mise à part l’inscription de la décision au Registre national des brevets[5] qui a été exclue expressément de l’exécution provisoire par le tribunal, et on peut s'interroger sur les effets de l'exécution provisoire en l'absence de toute disposition du jugement à exécuter.
En attendant que la Cour de cassation ne clarifie :
il serait sans doute plus simple que le tribunal judiciaire n'assortisse pas systématiquement les décisions prononçant la nullité de l'exécution provisoire…
[1] CA Paris, 16 mai 2025, N° RG 23/11407. Dans cette affaire, la limitation portait sur la combinaison des revendications 1 et 11, toutes deux annulées. Dans l’affaire du 24 octobre, la limitation portait sur l’introduction de caractéristiques issues de la description dans les revendications indépendantes 1 et 8.
[2] Cass. Com., 15 novembre 1994, pourvoi n° 93-12.917
[3] TJ Paris, 24 mars 2023, N° RG 20/03907 et TJ Paris, 14 septembre 2023, N° RG 22/08669
[4] CA Paris, 1er décembre 1992, N° RG 91/006314 et 91/003887
[5] Cette inscription ne relève pas du bénéfice de l’exécution provisoire (article L.613-27 alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle). Cela était d’ailleurs expressément indiqué dans le dispositif du jugement.