Le décret n°2020-225[1], pris pour l'application de l'ordonnance n°2020-116 ayant créé un droit d'opposition aux brevets français[2], a été publié au Journal Officiel le 6 mars 2020.
Le même jour, un arrêté a été pris fixant à 600 euros la redevance qui sera à verser à l'Institut national de la propriété industrielle pour faire opposition à brevet français[3].
Le décret fixe notamment les modalités de formation d'une opposition (en particulier les conditions de la demande auprès de l'INPI, les conditions de représentation des personnes pouvant faire opposition, ainsi que les conditions de recevabilité d'une opposition), les modalités de traitement de l'opposition (en particulier les étapes de la phase d’instruction par l'INPI et les conditions de suspension de la procédure) ainsi que les conditions de modification d'un brevet par son titulaire en réponse à une opposition.
Cette « opposition à la française », en préparation depuis de nombreux mois, a déjà fait l’objet de plusieurs flashs auxquels nous renvoyons[4].
Les principaux changements intervenus par rapport au texte soumis à consultation publique[5] sont les suivants :
1. Concernant l’avis d’instruction de l’INPI
[6] :
- Le délai octroyé à l’INPI pour rédiger cet avis a été allongé : il n’est plus de 2 mois mais de 3 mois (suivant l’expiration du délai imparti par l’INPI au titulaire pour présenter ses observations sur l’opposition)
- Le projet de décret soumis à consultation prévoyait que cet avis
« détaillait l’analyse de l’institut ». Cette mention a disparu du texte publié, l’avis se contentant désormais d’être
« rédigé à partir des éléments fournis par les parties ». En pratique, cela donnera la possibilité à l’INPI d’émettre des avis très sommaires se contentant de reprendre les motifs des parties sans en faire un début d’analyse, à l’image de ce qui pouvait se pratiquer au niveau des Chambre de recours de l’OEB (pratique qui apparaît maintenant comme clairement abandonnée avec l’avènement du nouveau règlement de procédure des chambres de recours en 2020
[7])
2. Concernant l’admissibilité des éléments présentés tardivement, le décret prévoit toujours que
« le fondement et la portée de l’opposition ne peuvent être étendus après l’expiration [du]
délai [de 9 mois pour faire opposition]
»[8]. Cependant, il a été ajouté une disposition selon laquelle le directeur général de l’INPI peut fonder sa décision sur des faits invoqués ou des pièces produites postérieurement à l'expiration des délais d’opposition et d’instruction, c’està-dire jusqu’au jour du débat oral
[9]. Néanmoins, ces éléments tardifs ne seront admissibles que
« sous réserve que les parties aient été à même d'en débattre contradictoirement », ce qui devrait limiter en pratique l’admission des éléments tardifs, surtout ceux présentés uniquement juste avant ou pendant le débat oral.
3. La possibilité pour le directeur général de l’INPI de rejeter l’opposition de manière implicite, unanimement critiquée par les praticiens lors de la consultation publique
[10], a été maintenue dans l’ordonnance
[11] mais le décret fait passer le délai au bout duquel le « silence vaut rejet » dit « délai SVR » - de 3 à 4 mois
[12]. Il est à espérer que le rallongement de ce délai permettra à l’INPI d’exaucer son propre vœu de ne jamais laisser expirer ce délai sans décision motivée…
4. Les conditions de la suspension de la phase d’instruction ou du délai SVR en cas d’action en revendication à l’encontre du brevet dont il est fait opposition ont été assouplies : cette suspension peut être demandée par « toute personne », donc notamment par l’homme de paille opposant le cas échéant, et plus uniquement par celle qui a introduit l’action en revendication
[13] ;
5. En revanche, seul l’opposant qui « justifie d’un intérêt légitime à l’obtention d’une décision d’opposition » peut obtenir la poursuite de la procédure d’opposition lorsque les effets du brevet ont cessé. En pratique cette condition empêchera donc les opposant homme de paille d’obtenir la poursuite de la procédure
[14] ;
6. Si la procédure d’opposition a été suspendue en raison de l’existence d’une procédure en revendication ou en nullité parallèle, elle reprend à la demande d’une partie lorsque la décision statuant sur la revendication ou la nullité est « passée en force de chose jugée ». Cette nouvelle formulation
[15] désigne, en application de l’article 500 du Code de procédure civile, « le jugement qui n'est susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution ». La procédure d’opposition pourra donc reprendre alors qu’un recours en cassation contre l’arrêt statuant sur la revendication ou la nullité serait en cours.
7. Comme cela avait été annoncé
[16] et face, sans doute, aux critiques abondantes lors de la phase de consultation
[17], le projet d’article R. 6151 A a finalement été abandonné. En substance, cette disposition aurait conféré l’autorité de la chose jugée à la décision (de rejet ou de maintien du brevet sous une forme modifiée) du directeur général de l’INPI statuant sur l’opposition dès lors que celle-ci n’était plus susceptible de recours. A défaut de disposition dédiée, certains pourraient être tentés d’invoquer le principe général de l’autorité de la chose jugée de l’article 1355 du code de procédure civile. Néanmoins, on rappellera que les juridictions françaises refusent de conférer l’autorité de la chose jugée aux décisions de l’OEB statuant sur des oppositions
[18]. En toute logique, cela devrait également être le cas pour les décisions de l’INPI. On peut cependant se demander ce qu’il en sera des décisions de la cour d’appel de Paris statuant sur les recours en matière d’opposition : aurontelles autorité de la chose jugée et/ou imposeront-elles un « estoppel » aux parties lors d’une action en nullité concernant le même brevet ?
8. Enfin, une disposition s’est glissée dans le décret concernant la requête en renonciation ou en limitation : l’article R. 61345 prévoit désormais qu’une telle requête peut être présentée par le titulaire du brevet à tout moment, même lorsque les effets du brevet ont cessé.
Comme l’ordonnance, ce décret s’applique aux brevets dont la mention de délivrance a été publiée au Bulletin officiel de la propriété industrielle à compter du 1er avril 2020
[19]. Cependant, l’INPI n’a pas encore publié le formulaire qu’il conviendra de remplir pour faire une demande d’opposition. Nous rappelons en outre que des directives relatives à l’opposition sont en cours de rédaction par l’INPI. Fin janvier
[20], l’INPI a indiqué qu’une première version devrait être disponible début avril et serait complétée au fur et à mesure par des mises à jour qui seront annoncées sur le site internet de l’INPI.
[1] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041698006&categorieLien=id
[2] Voir notre précédent flash sur le sujet : https://www.august-debouzy.com/fr/blog/1408-publication-de-lordonnance-n-2020-116-du-12-fevrier-2020-portant-creation-dun-droit-dopposition-aux-brevets-dinvention-francais
[3] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041698223&categorieLien=id
[4] https://www.august-debouzy.com/fr/blog/1238-loi-pacte-et-propriete-industrielle-comment-rendre-le-brevet-francais-plus-attractif , https://www.august-debouzy.com/fr/blog/1380-mise-en-place-dune-procedure-dopposition-a-un-brevet-francais-preparez-vous-maintenant?=V2 , https://www.august-debouzy.com/fr/blog/1388-publication-du-decret-n2019-1316-relatif-aux-marques-de-produits-ou-de-services-son-impact-sur-lensemble-des-recours-formes-contre-les-decisions-du-directeur-general-de-linpi , https://www.august-debouzy.com/en/blog/1321-adoption-du-projet-de-loi-pacte-par-lassemblee-nationale-quel-impact-sur-la-propriete-industrielle , https://www.august-debouzy.com/fr/blog/1408-publication-de-lordonnance-n-2020-116-du-12-fevrier-2020-portant-creation-dun-droit-dopposition-aux-brevets-dinvention-francais
[5] Voir le projet de « Dispositions consolidées résultant des projets d’ordonnance et de décret n°2019-XXX du XX/XX/XXXX relatifs à la création d’un droit d’opposition aux brevets d’invention » disponible sur le site de l’AFPPI : https://www.afppi.fr/commissions/loi-pacte/loi-pacte/
[6] Projet d’article R. 613-44-5 2° soumis à consultation v. article R. 613-44-6 2° tel qu’il résulte du décret n°2020-225
[7] Voir notre précédent flash sur le sujet : https://www.august-debouzy.com/en/blog/1383-le-nouveau-reglement-de-procedure-des-chambres-de-recours
[8] Article R. 613-44-1 al. 8 du CPI
[9] Article R. 613-44-7 du CPI
[10] Voir notamment la réponse de l’Institut de Boufflers https://drive.google.com/file/d/1U1hXrmvM7UNK9ztYqjIud55n6RHb--Aq/view et celle de l’AFPPI : https://www.afppi.fr/wp-content/uploads/AFPPI_commentaires_ord_decret_proc_opposition_2019-12-16_final.pdf
[11] Article L. 613-23-2 du CPI, issu de l’ordonnance n°2020-116
[12] Article R. 613-44-8 du CPI, ce délai court à compter de la fin de la phase d’instruction
[13] Article R. 613-44-10 du CPI
[14] Article R. 613-44-12 du CPI
[15] Le texte soumis à consultation prévoyait que la procédure reprenait à la demande d’une des parties transmettant à l’INPI la décision statuant sur la revendication de propriété ou la nullité « qui n’est plus susceptible de recours ».
[16] Notamment lors de la conférence organisée par l'APEB le 29 janvier 2020 sur les impact(s) de la loi PACTE
[17] Voir notamment la réponse de l’Institut de Boufflers https://drive.google.com/file/d/1U1hXrmvM7UNK9ztYqjIud55n6RHb--Aq/view et celle de l’AFPPI : https://www.afppi.fr/wp-content/uploads/AFPPI_commentaires_ord_decret_proc_opposition_2019-12-16_final.pdf
[18] TGI Paris, 3.3, 28 mai 2002 ; Cass. Com, 26 mars 2008 ; CA Paris, 4e ch., 7 déc. 2005, n° 2004/16096
[19] A l'exception de certaines dispositions relatives à l’Outre-mer
[20] lors de la conférence organisée par l'APEB le 29 janvier 2020 sur les impact(s) de la loi PACTE