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Le paquet « Omnibus » : quelles nouvelles règles européennes en matière de durabilité ?

Article Droit européen | 28/02/25 | 12 min. | Bernard Cazeneuve Pierre Sellal Marc Mossé David Zygas Anaïs Coviaux

La Commission européenne a présenté le 26 février un ensemble de propositions destinées à simplifier les règles imposées aux entreprises au titre de la soutenabilité. Selon elle, ces propositions de « recalibrage » de certaines des règles européennes dans un sens favorable à la croissance permettront une mise en œuvre davantage « cost effective » des objectifs politiques réaffirmés par l’Union européenne, et s’inscrivent ainsi dans le fil des recommandations du rapport Draghi.

Cet ensemble dit « omnibus » comprend :

  • une proposition de modification des directives CSRD et CS3D ;
  • un projet d’acte délégué modifiant les actes délégués adoptés antérieurement en matière de taxonomie ;
  • une proposition de modification du règlement relatif au mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ;
  • une proposition de modification du règlement Invest EU.
     

La présente note d’information se concentrera sur les modifications principales qu’il est proposé d’apporter aux directives CSRD et CS3D ainsi qu’à la taxonomie verte européenne.

 

Les modifications qui seraient apportées à la directive CSRD

  • Seules les grandes entreprises européennes de plus de 1000 salariés et ayant un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (ou un bilan supérieur à 25 millions d’euros) seraient assujetties aux obligations de reporting. Les entreprises étrangères avec un chiffre d’affaires net supérieur à 450 millions d’euros et ayant soit une filiale européenne qui est une grande entreprise (rencontrant les critères susmentionnés), soit une succursale européenne avec un chiffre d’affaires annuel net supérieur à 50 millions d’euros, seraient également concernées.  Ainsi, le champ d’application des entreprises concernées se rapprocherait de celui de la directive CS3D, la Commission estimant que cette réforme réduirait d’environ 80 % le nombre d’entreprises assujetties.
  • Les entreprises désormais exclues du champ d’application de la directive pourraient, sur une base volontaire, établir un reporting selon des normes simplifiées, qui seront adoptées ultérieurement par la Commission.
  • Le calendrier d’application des obligations de reporting est reporté de deux ans pour les entreprises qui n’avaient pas encore commencé à mettre en œuvre la directive, ainsi que pour les PME cotées (il s’agit des vagues 2 et 3 de la directive actuelle), soit 2028 au lieu de 2026 pour les premières et 2029 au lieu de 2027 pour les secondes.
  • Par un acte délégué à venir, la Commission prévoit la mise en place d’un « bouclier » destiné à limiter les informations que des sociétés assujetties à la directive pourraient requérir auprès de sociétés appartenant à leur chaîne de valeur mais qui ne seraient pas incluses dans le périmètre de la directive (« Value chain cap »).
  • Les normes ESRS seraient « substantiellement » réduites en nombre et « clarifiées ». En outre, la Commission renonce à adopter des normes sectorielles. En revanche, il faut souligner que le concept central de double matérialité est maintenu mais, pourrait, par exemple, faire l’objet de précisions.
  • La possibilité, antérieurement ouverte à la Commission, de faire évoluer l’obligation d’assurance limitée[1] à une assurance « raisonnable » est abandonnée.

 

Les modifications qui seraient apportées à la directive CS3D

  • L’échéance de transposition de la directive par les Etats membres serait reportée d’un an, au 26 juillet 2027, de même que son application aux plus grandes entreprises (de plus de 5000 salariés et 1,5 milliard de chiffre d’affaires), reportée à juillet 2028.
  • L’obligation d’évaluer les impacts négatifs de l’activité de l’entreprise dans sa chaîne de valeur est limitée au partenaire direct ou de premier rang, sauf situations spécifiques[2].
  • L’obligation de mettre fin aux relations commerciales en cas d’incidences négatives réelles et potentielles est supprimée[3]. L’entreprise serait désormais encouragée à privilégier une approche plus nuancée, en retenant la suspension temporaire de la relation commerciale au lieu de sa rupture, qui demeurerait une solution de dernier recours[4].
  • La définition de la notion de parties prenantes[5] et l’encadrement de leur consultation dans le cadre du processus de due diligence[6] sont envisagés de manière plus restrictive par la Commission.
  • La périodicité des évaluations requises passe de un an à cinq ans[7].
  • Dans un esprit comparable au « Value chain cap » introduit dans la CSRD, une limite est introduite aux informations susceptibles d’être demandées par un grand groupe à des partenaires d’affaires qui seraient des PME ou des ETI (de moins de 500 salariés).
  • Les dispositions de la directive relatives à un régime harmonisé de responsabilité civile seraient supprimées[8].
  • Les obligations des entreprises en matière de plan de transition climatique seraient alignées sur celles figurant dans la CSRD (alors que celles figurant dans la CS3D initiale étaient sensiblement plus contraignantes).
  • La disposition relative à une révision de la directive pour y inclure ultérieurement les services financiers est abandonnée.

 

Les modifications qui seraient apportées à la taxonomie verte

La proposition envisage d’amender la directive CSRD afin que les entreprises entrant dans son champ d’application mais dont le chiffre d’affaires net ne dépasse pas 450 millions d’euros soient soumises à un régime de déclaration volontaire au titre de la taxonomie verte. En d’autres termes, ces entreprises ne seront plus obligées de rendre compte de l’alignement de leur activité.

  • Les entreprises qui auront progressé vers l’objectif de durabilité pourront rendre compte de l’alignement partiel de leur activité. La Commission élaborera des actes délégués afin d’assurer la standardisation de la présentation et du contenu de la déclaration.
  • La Commission publie également, pour consultation, des projets d'amendement aux actes délégués 2021/2178 et 2021/2139. Ces projets tendent à simplifier les modèles de déclaration, ce qui devrait réduire de près de 70 % les points de données à publier, et incluent un nouveau concept de matérialité afin de permettre l’exemption de l'évaluation de l'éligibilité et de l'alignement des activités économiques qui ne sont pas financièrement importantes (par exemple, celles qui ne dépassent pas 10 % du chiffre d'affaires total, de leurs dépenses d'investissement ou de leurs actifs totaux).
  • Des modifications des principaux indicateurs de performance des institutions financières, en particulier le Green Asset Ratio (GAR) pour les banques, sont également suggérées. La proposition prévoit que les banques pourront exclure du dénominateur du GAR les expositions liées à des entreprises qui ne relèvent pas du futur champ de la CSRD.

 

Les perspectives

 

  • Les modifications que la Commission propose devront être adoptées par le Parlement et le Conseil de l’Union européenne selon la procédure législative ordinaire, soit en codécision. Il importe que cette adoption intervienne très rapidement en 2025 pour avoir un effet utile, notamment pour ce qui concerne le report des calendriers d’application initialement prévus. Naturellement, tant les Etats membres au sein du Conseil que le Parlement gardent tout pouvoir pour amender la proposition de simplification présentée par la Commission, dans tous ses éléments.
  • La France, qui comptait parmi les Etats membres ayant déjà transposé la directive CSRD, devra modifier (et le cas échant abroger) les actes législatifs et règlementaires ayant réalisé cette transposition, afin de les mettre en conformité avec les dispositions de la directive lorsque celle-ci aura effectivement été modifiée. A ce stade, en effet, les sociétés françaises restent assujetties aux dispositions du droit national ayant transposé la directive initiale.
  • Les transpositions que la France effectuera des directives modifiées devront tenir compte, aux fins d’assurer un level playing field satisfaisant au sein du marché unique, des options et facultés supplémentaires qui seront laissées aux Etats membres du fait des modifications et simplifications envisagées. Ce point d’attention concerne notamment le régime de responsabilité civile des entreprises, dès lors que la directive CS3D modifiée abandonnerait tout objectif d’harmonisation des régimes nationaux dans ce domaine.
 

[1] Pour mémoire, le considérant 60 de la version actuelle de la CSRD précise que la conclusion d’une mission d’assurance limitée « est généralement exprimée sous une forme négative, par laquelle le praticien déclare n’avoir constaté aucun élément lui permettant de conclure que l’objet de l’audit est entaché d’inexactitudes significatives ».

[2] La Commission modifie profondément les paragraphes 2, 4 et 5 de l’article 8 de la CS3D en ce sens et ajoute un paragraphe 2 bis. 

[3] La Commission modifie l’article 10§6 de la CS3D en ce sens.

[4] La Commission modifie l’article 10§6 de la CS3D en ce sens.

[5] La Commission propose une nouvelle définition de la notion de « parties prenantes » en son article 3§1, n.

[6] Cela résulte de la nouvelle rédaction de l’article 13§3 de la CS3D issue de du projet de directive. 

[7] La Commission modifie l’article 15 de la CS3D.

[8] Les points 1 et 2 de l’article 29 de la directive CS3D seraient supprimés : « Les États membres veillent à ce qu’une entreprise puisse être tenue pour responsable d’un dommage causé à une personne physique ou morale […] ».

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