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Arrêt Sony de la cour de cassation du 24 avril 2024 : recevabilité des demandes en contrefaçon même pour les faits intervenus avant l’inscription de la cession

Article Brevets | 22/05/24 | 8 min. | Grégoire Desrousseaux Geoffrey Grandjean Océane Millon de La Verteville

Tech & Digital

L’inscription de la cession au registre national des brevets (RNB) permet au cessionnaire d’un brevet d’opposer le brevet cédé aux tiers dans le cadre d’une action en contrefaçon.  Une question restait cependant largement débattue : une fois que l’inscription a eu lieu, quels sont les actes de contrefaçon pour lesquels le cessionnaire peut obtenir réparation ? seuls ceux commis après l’inscription ? ou également ceux commis entre la date de la cession et la date de l’inscription ? ou même ceux commis avant la date de la cession ? Dans son arrêt du 24 avril 2024 (pourvoi n° 22-22.999), la Cour de cassation se positionne en faveur de la réponse la plus large sans doute sous l’impulsion des arrêts rendus par la CJUE en 2016 dans les affaires Hassan et Phillips[1], rendus en matière de marque et de dessins et modèles, selon lesquels le licencié peut agir en contrefaçon du titre de propriété intellectuelle faisant l’objet de la licence bien que cette dernière n’ait pas été inscrite au registre.

Cet arrêt fait suite à un arrêt de la cour d’appel de Paris du 9 septembre 2022, dans un litige opposant des sociétés du groupe Sony, en particulier la société japonaise Sony Interactive Entertainment Inc. (« Sony JP ») titulaire des brevets invoqués, à la société française Subsonic.

A l’origine : l’histoire classique de brevets cédés dans le cadre d’une transmission universelle d’actifs intra-groupe incluant des droits de propriété intellectuelle, mais dont la cession n’a pas été inscrite au moment de l’assignation.

La défenderesse arguait du défaut de qualité à agir de Sony JP aux motifs (i) qu’elle ne rapportait pas la preuve de la transmission universelle d'actifs par laquelle elle prétendait s’être vue cédée les brevets en 2010, et (ii) qu’en tout état de cause, n’ayant fait inscrire au RNB la cession intra-groupe prétendument intervenue dans le cadre de cette transmission universelle que postérieurement à l'assignation, les brevets étaient inopposables au moment de l’assignation et Sony JP par conséquent irrecevable pour tous les faits antérieurs à l’inscription.

Cette argumentation permettait à Subsonic de balayer toutes les demandes au titre de la contrefaçon puisqu’en l’occurrence tous les faits argués de contrefaçon étaient antérieurs à l’inscription de la cession.

En première instance, le tribunal jugeait Sony JP irrecevable en raison du premier motif : elle ne rapportait pas la preuve qu’elle était bien titulaire des brevets[2].

En cause d’appel, Sony JP produisait de nouvelles pièces au vu desquelles la cour retenait, contrairement aux juges de première instance, que la preuve de la transmission universelle de patrimoine intervenue en 2010 était bien rapportée[3]. En revanche, constatant que la cession intervenue dans le cadre de cette transmission avait été inscrite au RNB 18 mois après l’assignation, la cour suivait l’argumentation de la défenderesse en retenant que Sony JP n'était pas, au moment de l’assignation, titulaire d'un droit opposable aux tiers et n'était donc pas, à cette date, recevable à agir en contrefaçon. La cour d’appel considérait en outre que « si, comme le prévoit l'article 126 du code de procédure civile, la fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée en cours d'instance, cette régularisation ne peut avoir effet que pour les actes commis postérieurement à l'inscription opérée ». Sony était donc déclarée irrecevable à agir en contrefaçon pour tous les actes commis avant l’inscription, c’est-à-dire pour l’entièreté des actes argués de contrefaçon en l’espèce.

Au visa des articles L.613-9, premier alinéa et L. 615-2, premier alinéa du Code de la propriété intellectuelle et de l’article 126 du Code de procédure civile, la Cour de cassation commence par rappeler le principe désormais bien établi selon lequel, tant que le transfert n’a pas été inscrit au RNB, l’ayant cause (en l’occurrence le cessionnaire) ne peut se prévaloir des droits au brevet découlant de l’acte lui ayant transmis la propriété du brevet et n’est donc pas recevable à agir en contrefaçon[4]. L’importance d’inscrire pour pouvoir agir est donc réaffirmée.

Mais la Cour de cassation casse ensuite le raisonnement de la cour d’appel qui considérait qu’à compter de l’inscription au RNB le cessionnaire n’était recevable que pour les faits de contrefaçon commis postérieurement à l’inscription.

La Cour de cassation affirme en effet qu’à compter de l’inscription, le cessionnaire est recevable à agir en contrefaçon aux fins d'obtenir réparation (i) du préjudice que lui ont causé les faits commis depuis le transfert, ainsi que, (ii) si l'acte transmettant les droits le spécifie, du préjudice que lui ont causé les faits commis avant le transfert.

Il n’est pas étonnant que le cessionnaire puisse agir à l’encontre des actes commis avant le transfert si l’acte de cession du brevet prévoit une cession du droit à agir pour les faits antérieurs à la cession puisque, dans ce cas, le cessionnaire est subrogé dans le droit d’agir du cédant. 

Il est plus étonnant en revanche qu’en présence d’une inscription intervenue en cours de procédure (hypothèse de la régularisation), le cessionnaire soit recevable à agir non seulement à l’encontre des actes commis depuis l’inscription mais également à l’encontre des actes commis entre la cession et l’inscription.

En conclusion, cette décision est très favorable aux cessionnaires qui auraient tardé à procéder à l’inscription de la cession. Néanmoins, on continuera à encourager nos clients cessionnaires de brevets (i) à bien prévoir dans l’acte de cession la possibilité pour l’ayant cause d’agir en contrefaçon pour les faits antérieurs à la cession et (ii) à procéder à l’inscription de l’acte au RNB au plus tôt. D’abord parce qu’on ne sait pas encore comment les juges du fond réagiront face à cet arrêt de cassation. Ensuite parce que l’inscription reste nécessaire pour requérir une saisie-contrefaçon[5] et, la procédure à fin de saisie-contrefaçon étant distincte de la procédure au fond, si la régularisation intervient au cours de la procédure au fond elle ne vaut que pour celle-ci et non pour la procédure antérieure à fin de saisie-contrefaçon qui est close depuis l’ordonnance[6]. Enfin parce que les contrefacteurs pourraient soutenir, par analogie avec la forclusion visée à l’alinéa 2 de l’article 126 du CPC, que seule l’inscription au RNB (et non l’assignation) est interruptive de prescription.

 

[2] TJ Paris 3.2., 4 sept. 2020, RG1701825

[3] CA Paris 5.2, 9 sept. 2022, RG20/12901

[4] Voir notamment Cass Com 10 juill 2007, pourvoi 06-12056

[5] Cass. com., 31 oct. 2006, n° 05-11.149

[6] Cass. Com précité

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